«Je n’aime pas trop m’exprimer en public. Sauf dans une église», glisse Anne-Marie Kaufmann en traversant la nef de l’église Saint-Pierre-et-Paul de Berne. Prêtre depuis bientôt 15 ans, elle a suivi une voix discrète et tenace qui l’enjoignait à prendre sa place derrière l’autel. «Tout ne s’est pas fait en un jour», explique-t-elle avec une pointe d’accent suisse-allemand à peine perceptible.
Chez elle, la foi est une affaire de famille. «Mon père était curé. Nous avons grandi dans une cure». Pour autant, le choix du sacerdoce est venu sur le tard. «Une fois ma maturité en poche, j’ai quitté Zurich pour une formation d’agricultrice dans la campagne chaux-de-fonnière». Elle y rencontre son mari. Ensemble, ils parcourent le monde avant de revenir en terres neuchâteloises pour reprendre une ferme. Entre les vaches laitières et les champs de céréales, trois enfants verront le jour. A l’intérieur du couple, l’égalité se vit sereinement. «Mon mari s’occupait des enfants et moi de la ferme, à tour de rôle».
La vie s’écoule ainsi jusqu’à ce qu’une crise l’amène à entreprendre des études de théologie. Nous sommes en 1995, Anne-Marie Kaufmann se retrouve sur les bancs de la Faculté de théologie catholique-chrétienne de Berne. Le couple s’adapte. «Nous avons dû lâcher les vaches laitières et demander un peu d’aide pour le ménage».
De la ferme à l’autel, le saut n’est pas si grand: le travail de la terre prédispose à celui de l’esprit. D’ailleurs le Nouveau Testament est truffé de semeurs, de bergers, de champs et de moissons. Alors qu’Anne-Marie Kaufmann parfait ses connaissances de grec et d’hébreu, son Eglise est sur le point de faire aboutir une réflexion de plus de 30 ans en vue d’accepter l’ordination des femmes.
«Qu’est-ce qui empêche une femme d’être ordonnée prêtre?»
«Je savais que j’allais devenir curé durant mes études, même si ce n’était pas encore autorisé». L’Eglise catholique-chrétienne en Suisse permet en effet l’ordination des femmes depuis 1999. «Le processus de réflexion fut tout à fait intéressant, se rappelle Anne-Marie Kaufmann. Dans les années 1970, nous nous demandions: ›Est-ce qu’une femme peut devenir prêtre?’ Quelques années plus tard, nous nous demandions – et cela change tout: ›Qu’est-ce qui empêche une femme d’être ordonnée prêtre?’ La Bible ne donne pas de réponse toute faite, mais elle montre que Jésus ne faisait pas de distinction entre homme et femme». Pour les catholiques-chrétiens, aucune raison donc de ne pas ouvrir le sacerdoce aux femmes. Ordonnée en 2005, Anne-Marie Kaufmann sera la deuxième femme prêtre de Suisse.
Dans son Eglise elle se sent comme un poisson dans l’eau. Après sept ans de ministère entre La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel, elle officie comme curé de la paroisse de Berne depuis 2012. Avec un collègue prêtre, elle célèbre la messe, s’occupe du catéchisme, reçoit des visites, accompagne bon nombre de personnes. Un quotidien bien chargé jalonné par la célébration de l’Eucharistie le dimanche et le mercredi soir. «Deux points fixes qui me ressourcent», confie-t-elle sans prêter attention à la sonnerie du téléphone.
Femme et curé. Incongru pour certains. «Un dimanche, je célébrais la messe dans l’église. Un capucin est entré. Il visitait sans doute Berne. Lorsqu’il m’a vu, il a froncé les sourcils. Quand il a compris, il a fait un signe de croix à toute vitesse avant de prendre ses jambes à son cou». Un large sourire se dessine sur son visage. La majorité des 12’000 catholiques-chrétiens du pays acceptent sans broncher la présence de femmes à l’autel. Lorsque la décision a été prise, au terme d’un long consensus, les contestations restèrent «marginales». Une femme qui refusait de recevoir la communion de sa main, se souvient-elle. Un prêtre qui a quitté l’Eglise lorsqu’elle s’est ouverte à cette pratique.
Pourrait-il en être de même dans l’Eglise catholique romaine? Anne-Marie Kaufmann est sceptique. «Notre pratique évolue plus facilement parce que notre Eglise est petite. Changer une doctrine séculaire dans une Eglise d’un milliard de fidèles, c’est autrement plus compliqué. En Suisse, je crois que tout le monde serait d’accord pour que le ministère sacerdotal s’étende aux femmes. Beaucoup de catholiques romains me le disent. Est-ce la même chose à Rome et ailleurs dans le monde? Je ne crois pas».
Reste que cette pratique ne résout pas tout. L’Eglise catholique-chrétienne, comme ses consœurs romaine et réformée, connaît elle aussi un déclin qui semble inéluctable. Que leur manque-t-il donc? Anne-Marie Kaufmann réfléchit. «Aujourd’hui il faut du succès. C’est une logique que l’on retrouve partout. Mais on s’épuise à essayer d’être attractifs. Bien sûr, c’est important de faire au mieux, de proposer parfois de magnifiques messes pour les jeunes. On peut aussi s’interroger sur nos liturgies et leur capacité à parler aux gens». Mais l’essentiel n’est pas là. A l’entendre, il tient en deux mots: charité et rayonnement. «Comme chrétiens, nous devons être la voix de ceux qui se font marcher dessus. Et essayer de faire rayonner ce qui nous habite, en étant en phase avec le monde dans lequel on vit.»
A l’heure où les femmes de tout le pays s’apprêtent à battre le pavé pour davantage d’égalité, Anne-Marie Kaufmann se prépare à rejoindre le synode de son Eglise, qui se tiendra à Lancy (GE), les 14 et 15 juin prochain. Elle regrette de ne pas pouvoir se joindre à toutes ces femmes dont les revendications comptent beaucoup à ses yeux. Elle regrette peut-être encore davantage que son Eglise n’ait rien mis en place pour fêter les 20 ans de l’ordination des femmes, cette année. «J’espère que nous nous rattraperons l’année prochaine, sourit-elle. Nous pourrons ainsi fêter le vingtième anniversaire de la première femme ordonnée prêtre en Suisse». (cath.ch/pp)
Un pont entre l’Eglise catholique et protestante?
Composée d’environ 12’000 fidèles, l’Eglise catholique chrétienne – ou vieille-catholique – est une des trois Eglises reconnues en Suisse. Elle est née de la crise qui a opposé les courants libéraux et conservateurs au sein du catholicisme au XIXe siècle. Le point de rupture a été le Concile de Vatican I en 1870, lors duquel ont été proclamées l’infaillibilité et la primauté du pape. Une partie des catholiques libéraux refusèrent ces dogmes et furent excommuniés. Ils souhaitèrent cependant rester catholiques en se donnant comme modèle l’Eglise chrétienne des premiers siècles, d’où leur nom de " vieux-catholiques «. Sa liturgie ressemble à celle de l’Eglise catholique romaine alors que son organisation se rapproche des Eglises réformées – certains y voient donc un pont entre les deux Eglises. A tous les niveaux de décision, laïcs et clergé sont associés à la marche de l’Eglise. Le synode national (législatif, formé des délégués laïques, des paroisses et du clergé) se réunit au moins une fois par an. Il dirige l’Eglise avec l’évêque et le Conseil synodal (exécutif).
Pierre Pistoletti
Portail catholique suisse
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