Suicide assisté: la révolte d’un frère blessé

En novembre 2016 le Genevois Claude Mermod saisit la justice car son frère Charles veut se suicider avec l’aide d’Exit, alors qu’il est en bonne santé. Le jugement lui est favorable, mais Charles va tout de même se suicider. Révolté, son frère revient sur ce parcours singulier dans un livre «Je vais mourir mardi 18».

Il tape sur la table, Claude Mermod. Car il reste sous le choc. Celui de la mort de son frère Charles, à l’âge de 83 ans. Celui d’une décision qu’il qualifie de «délirante». Le choc aussi du travail d’Exit qui a préparé Charles à l’issue fatale.

«Une décision délirante»

Taper sur la table pour exprimer sa peine, son désarroi. Mais l’ancien instituteur mêle à la tristesse la réflexion d’un homme qui se dresse contre l’assistance au suicide en Suisse. D’où le sous-titre de l’ouvrage, paru en mars 2019: «Le suicide assisté au paradis helvète».

«Ça ne tient pas la route !»

Reprenons le fil de l’histoire. Charles, aîné de 13 ans, annonce, fin septembre 2016, qu’il veut en finir avec la vie. Il n’est pas particulièrement atteint dans sa santé, mais dit souffrir de la perte de sa compagne. En contact avec Exit, il a fixé la date de son «départ» au 18 octobre. Informés, Claude et Roger, ses deux frères, s’opposent immédiatement, par la voie judiciaire, au geste programmé. «On a réagi instinctivement, confie Claude. C’est sidérant qu’un homme en pleine forme parle de départ. Ça ne passait pas. Roger, pareil: ça ne tient pas la route!». La justice leur donne raison, Empêché d’accomplir son geste, Charles se suicidera tout seul.

Le résumé de l’histoire omet des détails que le livre met en lumière. La fraternité entre Charles et Claude, ponctuée de balades régulières, d’échanges épistolaires, de connivences profondes. La situation financière délicate de l’aîné. Le silence à son égard en préparant le candidat à la mort programmée. Charles a adhéré au discours d’Exit. Et les opposants au «départ», dans ces cas, ce sont souvent les membres du clan familial, qui contreviendraient aux desseins de l’aide au suicide.

Le droit de mourir, une «supercherie»

D’autres éléments jalonnent cette saga médiatisée: un débat télévisé Infrarouge à la RTS, la santé chancelante de Claude suite au décès de Charles, la défense posée par les enfants de la compagne de Charles à la présence des deux frères aux obsèques.

«Mon livre est un témoignage et un cri. Car je vis un sentiment d’injustice, tonne le frère survivant. Je lance un plaidoyer pour ma défense, que je dois assumer seul». Plus largement, Claude Mermod dénonce la «supercherie» du droit de mourir. C’est un «droit à se suicider». «La question posée par mon frère déborde le cadre familial. C’est une question de société, pas de famille! Et je me sens dans l’obligation de témoigner».

«Je suis déçu de mon pays»

L’individualisme contemporain, le droit de «convoquer sa propre mort», a généré une société «géronticide», qui tue les vieux. Ce débat concerne tous les pays occidentaux. «Je l’ai dit à mon avocat dès le premier jour: qu’on gagne ou qu’on perde, on s’engage!, raconte Claude Mermod». C’est pourquoi il fustige l’assistance au suicide que tolère le Code pénal suisse.

«Quand les vieux se suicident, cela coûte moins cher aux assureurs»

«Je m’en prends à la Suisse. Car je suis déçu de mon pays. Nous donnons une image de perfection à l’extérieur, mais elle est surfaite. C’est l’argent qui commande… Et quand les vieux se suicident, cela coûte moins cher aux assureurs. C’est un énorme mensonge!»

Pour l’enseignant retraité, il faut se poser ces questions. Car pour commettre l’IVV (»Interruption volontaire de vie»), il faut adhérer à un club comme Exit ou Dignitas. Or les médecins, pris dans la nasse de consignes supposées aidantes pour les patients âgés, perdent le sens de la protection de la vie.

Guerre idéologique

De plus, l’»amour véritable» dont parle le docteur Jérôme Sobel, président d’Exit, l’amour de rejoindre ceux qui nous ont quittés est un leurre, estime Claude Mermod, un leurre propice aux dérives. Ainsi l’association d’aide au suicide aurait acquis un pouvoir exorbitant.

Car le combat d’Exit est «une guerre idéologique». L’association adepte de la thanatophilie (ceux qui aiment la mort) se heurte ainsi à la morale judéo-chrétienne. Et Claude Mermod s’y oppose, fermement, résolument même: «Le ›Tu ne tueras pas’ des dix Commandements m’est revenu en mémoire, avec l’affaire de mon frère. Et je redécouvre l’interdiction de tuer comme un fondement», confie-t-il.

A contre-courant

Contre les «fatwas» des prélats d’Exit, Claude Mermod oppose des raisons de vivre. Devenu militant sans le vouloir, il est entré en résistance contre les associations d’aide au suicide, qui brandissent le droit à l’autodétermination contre les liens humains de proximité. «Mon livre n’a pas d’argument commercial, plaide l’auteur. Mais mourir comme mon frère le voulait, ce n’est pas normal, c’est même illégal».

L’auteur reste déterminé, conscient de nager «à contre-courant». Son juste combat semble guidé par cette phrase du jésuite Pierre Teilhard de Chardin, qu’il cite dans son livre: «Les survivants du monde de demain seront ceux qui n’auront pas perdu le goût de vivre». (cath.ch/bl)

Je vais mourir mardi 18. Le suicide assisté au paradis helvète. Editions L’Harmattan, 315 pages.

 

Bernard Litzler

Portail catholique suisse

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