Sur les relations en générales, je dirais: les relations de la main tendue quand il y a des conflits. Aujourd’hui un pays en développement, avec un niveau de naissances élevé comme le vôtre [la Roumanie], pour l’avenir ne peut se payer le luxe d’avoir des ennemis à l’intérieur. Il faut faire des processus de rapprochement, toujours, entre diverses ethnies, diverses confessions religieuses, surtout les deux [confessions] chrétiennes. C’est le premier point: toujours la main tendue, l’écoute de l’autre.
Avec l’orthodoxie, vous avez un grand patriarche [le patriarche orthodoxe Daniel, ndlr], un homme de grand cœur, un grand savant qui connaît la mystique des pères du désert, la mystique spirituelle, il a étudié en Allemagne… mais c’est aussi un homme de prière, il est facile de se rapprocher de Daniel, c’est facile, parce que je le sens comme un frère, et nous avons parlé comme des frères.
Je ne dirais pas: mais pourquoi, vous… ? Et lui ne dira pas: pourquoi, vous… ? Nous avançons ensemble en ayant toujours cette idée: l’œcuménisme ce n’est pas arriver à la fin d’un match, d’une discussion. L’œcuménisme se fait en marchant ensemble: en marchant ensemble, en priant ensemble. L’œcuménisme de la prière. Nous avons dans l’histoire l’œcuménisme du sang. Quand ils tuaient les chrétiens, ils ne demandaient pas: tu es orthodoxe ? Tu es catholique ? Tu es luthérien ? Tu es anglican ? Non, tu es chrétien! Le sang se mêlait, c’est l’œcuménisme du témoignage, un autre œcuménisme – de la prière, du sang, du témoignage… puis l’œcuménisme du pauvre comme je l’appelle, travailler ensemble là où nous pouvons le faire, pour aider les malades, les infirmes, les gens qui sont à la marge du minimum du bien-être.
Aider. Matthieu 25 est un beau programme œcuménique (donné par) Jésus. Marcher ensemble, c’est déjà l’unité des chrétiens. Mais pas attendre que les théologiens se mettent d’accord pour arriver à l’eucharistie. L’eucharistie se fait tous les jours, par la prière, par la mémoire de nos martyrs, par nos œuvres de charité, et aussi en s’aimant. Dans une ville d’Europe, il y a une bonne relation entre l’archevêque catholique et l’archevêque luthérien. L’archevêque catholique devait venir au Vatican un dimanche soir, il a appelé pour dire qu’il arriverait le lundi matin.
Quand il est arrivé il m’a dit: «excusez-moi, mais hier l’archevêque luthérien a dû s’en aller à une de leur réunion, il m’a demandé s’il te plaît, viens à ma cathédrale et fais toi-même le culte». Il y a de la fraternité, arriver à cela, c’est beaucoup. Le catholique a fait la prédication, il n’a pas fait l’Eucharistie, mais il a fait la prédication.
Quand j’étais à Buenos Aires, j’ai été invité par l’Eglise écossaise à faire plusieurs prédications, j’y allais, je prêchais… On peut marcher ensemble: unité fraternité, main tendue, bien se regarder, ne pas médire des autres. Nous avons tous des défauts, tous; si nous marchons ensemble, laissons les défauts de côté – les critiques des vieux garçons.
Je vais te faire une confidence: je ne suis pas resté en silence. J’ai prié le ›Notre-Père’ en italien. Toi aussi ? C’est bien ! J’ai vu pendant le ›Notre-Père’, les gens – que ce soit en roumain ou en latin – priaient. Les gens vont au-delà de nous, les chefs, nous les chefs devant faire des équilibres diplomatiques pour s’assurer que nous allons ensemble. Il y a des habitudes, des règles diplomatiques qu’il est bon de protéger pour que les choses ne tombent pas en ruines. Mais le peuple prie ensemble. Nous aussi quand nous sommes seuls nous prions ensemble. Cela est un témoignage. J’ai l’expérience de prière avec tant, tant de pasteurs luthériens, évangéliques et aussi orthodoxes. Les patriarches sont ouverts.
Nous aussi les catholiques nous avons des gens fermés qui ne veulent pas et disent ›non, les orthodoxes sont schismatiques’. Ce sont des vieilles choses, les orthodoxes sont chrétiens. Il y a des groupes catholiques un peu intégristes. Nous devons les tolérer, priez pour eux pour que le Seigneur, l’Esprit Saint, attendrisse un peu leur cœur. Mais moi j’ai prié pendant les deux, je n’ai pas regardé Daniel, mais je pense que lui aussi.
Dans un entretien qu’a fait Andrea Monda dans l’Osservatore Romano– vous le lisez, hein, l’Osservatore ? – il y a quelques jours il y avait une citation qui m’a beaucoup plu du musicien Gustav Mahler. Parlant des traditions, il disait: la tradition, c’est la garantie de l’avenir. Et pas le gardien des cendres. Ce n’est pas un musée, elle ne garde pas les cendres. La nostalgie des intégristes [est] de revenir aux cendres. Je répète ce bout de poème argentin que j’aime citer: ‘ce que l’arbre a de fleuri vient de ce que l’arbre a d’enterré’.
Je suis content parce qu’à Iasi, j’ai fait référence à cette grand-mère. Ça a été un geste de complicité avec les yeux à ce moment – là j’étais tellement ému que je n’ai pas réagi. Et la papamobile a avancé, j’aurais pu lui dire de s’approcher. J’ai dit au Seigneur Jésus ›c’est dommage, mais Tu es capable de le résoudre’. Et notre brave Francesco [le photographe], quand il a vu cet échange, il a déclenché la photo et ensuite il l’a publiée… elle est publique. Ça ce sont les racines, ça grandira, moi je donne du mien… C’est important cette rencontre et puis il y a les mots. Quand les grands-parents sentent que leurs petits-enfants iront de l’avant en portant l’histoire… Ils commencent à rêver, sinon ils dépriment… Et les jeunes encouragés commencent à prophétiser et à faire l’histoire.
Avant tout, cela me fait penser à l’amour de la famille, parce que se diviser ainsi en deux ou trois, ce n’est pas une chose facile. Il y a toujours la nostalgie de se retrouver. Se diviser pour qu’il ne manque rien à la famille est un acte d’amour. A la messe d’hier, nous avons entendu la dernière intention [de la prière universelle], de cette femme qui travaillait à l’extérieur pour aider sa famille. Un arrachement comme celui-là est toujours douloureux. Mais pourquoi s’en vont-ils ? Pas pour faire du tourisme: par nécessité. Nécessité. Et très souvent, ce n’est pas parce que leur pays (n’en veut plus). Très souvent ils sont le résultat d’une politique mondiale qui est à l’origine de cela. Je sais que l’histoire de ton pays [la Roumanie], après la chute du communisme, tant d’entreprises étrangères ont fermé pour ouvrir à l’étranger et pour gagner plus. Fermer aujourd’hui une entreprise pour laisser des gens à la rue. Et cela c’est aussi une injustice mondiale et générale, un manque de solidarité. C’est une souffrance.
Comment lutter ? En cherchant à ouvrir des sources de travail. Ce n’est pas facile. Ce n’est pas facile dans la situation mondiale actuelle des finances et de l’économie. Mais pensez que vous avez un niveau de naissances impressionnant. Ici on ne voit pas l’hiver démographique qu’on voit en Europe et c’est une injustice de ne pas avoir de sources de travail pour tant de jeunes, non ? Et pour cela, j’espère que se résoudra cette situation qui ne dépend pas seulement de la Roumanie mais de l’ordre financier mondial. De cette société de consommation, d’avoir plus, de gagner plus alors que tant de gens restent là. C’est ma réponse: un appel à la société mondiale en ce moment où la Roumanie à la présidence de l’Union européenne.
Personne dans le gouvernement [italien] ne m’a demandé une audience à part le Premier ministre [Giuseppe] Conte. Ça a été une belle audience d’une heure, c’est un homme intelligent, professeur, qui sait de quoi il parle. Je n’ai pas reçu de demande du vice-Premier ministre [Matteo Salvini], ni des autres ministres. Du président de la République, oui.
Je ne lis que deux journaux, le journal du ›parti’, à savoir l’Osservatore Romano – et ce serait bien que vous le lisiez aussi, car il y a dedans des clés d’interprétations très intéressantes, il y a aussi des choses que je dis dedans. Et puis je lis le Messaggero, qui est différent parce qu’il a des gros titres sur lesquels je m’arrête. Je ne suis pas entré dans les informations de propagande.
Il y a un troisième élément, j’avoue mon ignorance, je ne comprends pas la politique italienne, c’est vrai, je dois l’étudier. Avoir une opinion sur des comportements dans une campagne électorale d’un des partis sans information serait très imprudent de ma part. Je prie pour tous, pour que les Italiens avancent, qu’ils s’unissent, qu’ils soient loyaux. Je suis Italien parce que je suis fils de migrants italiens, mes frères ont tous la citoyenneté italienne, moi je n’ai pas voulu l’avoir parce que j’étais évêque et pour faire partie de la patrie [où j’étais évêque] je n’ai pas voulu prendre la nationalité [italienne].
Il y a dans la politique de nombreux pays la maladie de la corruption, partout. Je dis que la maladie de la politique, partout, c’est de glisser dans la corruption, universelle. Ne dites pas le pape a dit: la politique italienne est corrompue. Non, partout. Nous devons aider les politiques à être honnêtes, à ne pas faire campagne avec des bannières malhonnêtes, la calomnie, la diffamation, les scandales. Souvent, semer la haine et la peur, c’est terrible. Jamais un politique ne doit semer la haine et la peur, jamais. Seulement de l’espoir, avec justesse, exigence mais de l’espoir parce qu’il doit conduire le pays devant et ne pas donner de la peur.
Pardon si je me cite moi-même, je le fais sans vanité. J’ai parlé de ce problème dans les deux discours à Strasbourg, dans le discours que j’ai fait quand j’ai reçu le prix Charlemagne et puis le discours que j’ai fait à tous les chefs d’Etat et de gouvernement dans la chapelle Sixtine. Ils étaient tous là pour l’anniversaire des traités de fondation. Dans ces discours, j’ai dit tout ce que je pense. Et il y a un cinquième discours, que je n’ai pas fait moi, mais la maire d’Aix-la-Chapelle, c’est un bijou, un bijou.
L’Europe doit parler, elle ne doit pas dire ‘nous sommes unis et c’est à Bruxelles d’aller de l’avant’. Nous sommes tous responsables de l’Union européenne. Tous et cette circulation de la présidence n›est pas un geste de courtoisie comme parler… C’est un symbole de la responsabilité que chaque pays a sur l’Europe. Si l’Europe ne regarde pas bien les défis futurs, l’Europe souffrira, sera rabaissée.
Je me suis permis de dire à Strasbourg que l’Europe arrêtait d’être la mère Europe et devenait la grand-mère Europe, elle s’est vieillie. On peut se poser la question, ne serait-ce pas là la fin d’une aventure de 60 ans? Reprendre la mystique des pères fondateurs, reprendre cela. L’Europe a besoin d’être elle-même, d’avoir sa propre identité, sa propre unité, de dépasser cela, avec tant de choses que donne la bonne politique, surmonter les divisions et les frontières. Nous voyons des frontières en Europe et cela ne fait pas de bien, au moins des frontières culturelles et cela ne fait pas de bien. Il est vrai que chaque pays a sa propre culture et doit la protéger, mais avec la mystique du polyèdre… Il y a une mondialisation où se respectent les cultures de tous, mais tous unis.
S’il vous plaît, que l’Europe ne se laisse pas vaincre par le pessimisme ou par les idéologies. L’Europe est attaquée non pas par des canons ou des bombes en ce moment, mais pas des idéologies, des idéologies qui ne sont pas européennes, qui viennent d’ailleurs, ou qui naissent dans de petits groupes de l’Europe… Pensez à l’Europe divisée de 1919, de 1932-33 à 1939… Apprenons de l’histoire. Une fois de plus le seul animal qui tombe deux fois dans le même trou est l’homme. Mais lisez ce discours de la maire d’Aix-la-Chapelle, un joyau.
Je sais que certains de vous sont croyants, d’autres pas tant, mais je dirai aux croyants: priez pour l’Europe, priez pour l’Europe. Pour l’unité, que le Seigneur nous donne cette grâce. Et les non-croyants, espérez la bonne volonté, le vœu du cœur, le désir pour que l’Europe redevienne le rêve des pères fondateurs.
Aujourd’hui, cette journée [mondiale des communications sociales] attire nos pensées vers vous qui travaillez dans la communication, vous êtes des opérateurs… Avant tout, vous êtes, ou devriez être, des témoins de la communication. Aujourd’hui, la communication va en général en arrière. Le contact va de l’avant, faire des contacts et non pas arriver à communiquer. Et vous, par vocation, êtes des témoins du ›communiquer’. C’est vrai, vous devez faire des contacts, mais ne vous arrêtez pas là, allez de l’avant. Je vous souhaite d’aller de l’avant dans cette vocation, dans ce témoignage du ›communiquer’. Ce temps a tellement besoin d’un peu moins de contacts et un peu plus de communication. Merci et bravo pour votre journée.
A cause du climat, j’ai dû prendre la voiture hier pendant 2h40. Ça a été une grâce de Dieu, j’ai vu un paysage très beau, comme je n’avais jamais vu. J’ai traversé toute la Transylvanie et c’est une beauté, je n’avais jamais vu une chose du genre ! Et aujourd’hui, pour aller à Blaj, la même chose. Une chose belle, belle, belle… Je remercie aussi la pluie qui m’a fait voyager ainsi et non dans l’hélicoptère, avoir un contact plus direct avec la réalité. (cath.ch/imedia/xln/be)
Jacques Berset
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