Valerio Maj: «J'avais 13 ans, mon prédateur s'appelait Don Mario»

«Je suis un survivant aux abus sexuels d’un prêtre… Je n’ai pas perdu la foi, je ne parle pas pour condamner l’Eglise, mais je veux qu’elle prenne conscience!» Les mots percutants de Valerio Maj, un retraité de 63 ans vivant près de Fribourg, ont secoué la trentaine de paroissiens invités le 22 mai 2109 à Riaz par l’équipe pastorale de l’UP Notre-Dame de Compassion.

En ouverture, Martine Floret, agente pastorale de l’UP Notre-Dame de Compassion, a rappelé «le choc, l’incrédulité, la sidération, l’effroi, la stupeur, la colère, l’incompréhension après la révélation successive de ces derniers mois sur l’ampleur des crimes pédophiles au sein de notre Eglise.

Incrédulité, sidération, effroi, colère

C’est dans ce contexte de turbulences que notre équipe pastorale a souhaité offrir un espace de vérité, de dialogue et d’échange». Cette soirée, une première dans le district de la Gruyère et une deuxième pour le canton de Fribourg, avait pour orateurs Valerio Maj et Sœur Adrienne Barras, de la congrégation des Sœurs de Saint-Maurice, à La Pelouse, à Bex.

Dans une atmosphère recueillie, Valerio Maj, né en 1956 dans la province de Bergame, au nord de l’Italie, et depuis 40 ans en Suisse, explique qu’il fut abusé à l’Institut Don Bosco quand il avait 13 ans. Le prédateur était Don Mario, un religieux qui avait capté sa confiance. La victime était une proie facile et idéale pour ce prêtre pervers et prédateur, qui avait rapidement repéré ce garçon discret, effacé, «sans copains», prenant la place d’un père alcoolique et souvent absent à l’étranger pour son travail.

Abus dans le bureau du prêtre, dans le dortoir

Il subit ces abus dans le bureau de Don Mario, «derrière des portes vitrées, la honte que quelqu’un passe et nous voie!», dans le dortoir avec les lits des amis à côté, et même à la maison, dans sa chambre fermée à clef, à côté de celle de mes parents…»

«Pendant 46 ans, j’ai cru qu’il y avait qu’un seul coupable, moi, et je n’ai parlé à personne. Dans mon village  de 800 habitants où tous étaient des chrétiens pratiquants, où le prêtre était la personne la plus influente, je pensais que personne ne m’aurait cru et ne me défendrait… J’aurais été plutôt considéré comme un menteur, un pervers! L’Eglise était la Sainte Mère, les prêtres étaient intouchables!»

A un moment donné, Valerio Maj s’interrompt et laisse Martine Floret lire son témoignage, «De l’abus… à l’abuseur! «Comment peux-tu le dire? A qui le dire? Qui va te croire? Est-ce de ma faute? J’ai aussi eu du plaisir… Toutes ces questions, pour un enfant, sont des montagnes infranchissables, surtout si l’agresseur est un prêtre. Donc, tu ne te pose pas de questions, et c’est mieux d’oublier ce qui s’est passé. Ton cerveau ne peut pas accepter et métaboliser le vandalisme fait sur ton être, sans défense, alors il case ces douleurs insurmontables dans un tiroir pour t’aider à survivre. Mais le tiroir n’est pas fermé hermétiquement, il suffit d’une secousse, et il peut s’ouvrir, et l’ouvrir signifie se souvenir!»

Conséquences dévastatrices

Les conséquences: un manque de confiance en soi, la sensation d’être rien, inutile et incapable, un comportement autodestructeur, une hypersensibilité, des crises d’angoisse, des problèmes d’alcool, des symptômes psychosomatiques, une vie sentimentale compliquée…

«Une force invisible m’attirait dans l’abîme. Heureusement, j’avais ma femme, c’est elle qui a découvert ce qui n’allait pas et qui m’a aidé». Valerio lui a avoué sa souffrance intérieure qui créait ces perturbations, «46 ans après!» «Il me fallait donner un nom à ce mal qui me rongeait et me détruisait. Oser dire: tu es une victime d’abus sexuels ! Donner le nom de mon agresseur qui a transformé ma vie en chemin de croix: Don Mario!»

Le prédateur était toujours actif dans l’Eglise

«Je savais que tant que je n’avais pas le courage de le chercher, de le dénoncer ou de lui parler, je serais toujours la proie de moi-même. Toujours!» Valerio a suivi une thérapie en 2016, qui lui a permis de sortir du «désert des doutes» et de se reconstruire.

En 2016, Valerio a recherché Don Mario et a retrouvé sa trace. Il lui a écrit, mais le prêtre abuseur, qui continuait à œuvrer au sein de l’Eglise, ne lui a pas répondu.

La victime a trouvé de l’aide auprès du Groupe SAPEC (Soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse) et l’oreille attentive de Mgr Morerod, l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. «Enfin un homme d’Eglise qui m’écoute et qui me croit! Mis à part Mgr Francesco Panfilo, archevêque en Papouasie-Nouvelle Guinée, tous les autres prêtres italiens que j’ai contactés, en Suisse et en Italie, ne m’ont pas aidé dans mon angoisse, ils ont simplement défendu l’institution».

«Ils ne connaissent pas les conséquences des abus pédosexuels et ne sont pas disposés à aider les victimes. Quelle déception! Je n’ai reçu aucune excuse, ni de l’abuseur, ni de sa congrégation, ni du Vatican. Son dossier a été envoyé et traité à la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi, mais je n’ai reçu aucune communication écrite sur les mesures qui ont été prises contre Don Mario, ni des excuses écrites de sa congrégation». Valerio Maj a reçu une réparation, avec l’engagement de ne pas dire le nom de son agresseur et de sa congrégation.

Pas de trace écrite

«Pourquoi l’Eglise ne fait-elle que prononcer des paroles et ne fait pas des actions concrètes pour arrêter cette catastrophe? Pourquoi les victimes ne sont-elles pas reconnues comme telles par l’Eglise?», a-t-il lancé. Le fait de ne pas avoir accès au dossier de Don Mario au Vatican le laisse amer. «Je me sens encore une fois victime d’un abus de pouvoir et du cléricalisme….»

Evoquant, à la suite de ce témoignage poignant, les issues possibles, Sœur Adrienne a déclaré d’emblée qu’elle n’était ni spécialiste de la question des abus sexuels, ni théologienne. La religieuse valaisanne, originaire de Crans-Montana, est entrée en communauté il y a 40 ans et a été supérieure de sa congrégation jusqu’à l’an dernier. Au sein de l’Union des supérieures majeures de Suisse romande, qu’elle a présidée, et dans les contacts avec l’Union des Supérieurs majeurs religieux de Suisse, la VOS’USM, elle a été confrontée à cette problématique.

Auparavant, elle avait connu une victime d’un prêtre abuseur, mais c’est quand elle a participé, à la demande de Mgr Morerod, à un groupe de travail chargé de la création d’une commission neutre et indépendante, la Commission Ecoute-Conciliation-Arbitrage-Réparation (CECAR), qu’elle a découvert l’ampleur du problème des abus.

Aux antipodes de l’Evangile

«Que dire, après le témoignage que nous venons d’entendre?», s’est-elle d’emblée demandé. Ne serait-ce pas préférable de garder, ce soir, le silence, d’accueillir, avec le maximum de respect, le poids de cette expérience si douloureuse et qui peut dépasser l’entendement?».

La religieuse a d’abord dit un grand «merci» à Valerio, «et par vous, à toutes les victimes de prédateurs qui, après de longues années de souffrances enfouies, enkystées, ont accédé à la parole». Elle remercie les victimes d’avoir puisé en elles-mêmes le courage de parler sans fard de ces crimes perpétrés par certains prêtres pervers, et de ne pas s’être découragées face au déni, à l’indifférence, aux portes fermées, au silence, à l’absence de considération.

En mentionnant la diffusion récente sur Arte et lors de Temps présent du documentaire «Esclaves sexuelles de l’Eglise», Sœur Adrienne explicite qu’il ne se passe pas une semaine sans que ne soient dévoilés de nouveaux cas de pédocriminalité (plutôt que pédophilie) et d’autres abus, notamment concernant des religieuses. Et cela ne concerne pas que l’Eglise occidentale.

Les métastases du cancer

Mgr Luc Ravel, évêque de Strasbourg, estime que l’on ne voit pour l’instant que les métastases du cancer. «Alors, quand l’Afrique et l’Asie se réveilleront… Certains parlent d’une crise d’une ampleur semblable à celle de la Réforme protestante au XVIe siècle. C’est important d’en prendre la mesure».

La religieuse valaisanne relève le scandale quand des responsables de l’Eglise se sont tus, minimisant parfois la souffrance des petits (c’est un enfant, il va oublier en grandissant, laissent-ils entendre), ou parce qu’on a voulu d’abord et avant tout éviter de porter atteinte à l’image de l’institution. «C’est un scandale, parce qu’on est aux antipodes de l’Evangile, dont l’Eglise veut vivre et qu’elle veut transmettre!»

Faire la lumière, quoi qu’il en coûte

S’appuyant sur la réflexion de la religieuse et théologienne Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieuses et religieux en France, Sœur Adrienne affirme qu’il ne faut pas baisser les bras. «Il faut faire la lumière sur ce qui s’est passé, quoi qu’il en coûtera. C’est ce que disent François et nos évêques. La vérité vous rendra libres. C’est d’ailleurs la devise de Mgr Charles Morerod».

A la suite de Véronique Margron, qui fut doyenne de la Faculté de théologie de l’Université catholique de l’Ouest à Angers, la religieuse valaisanne insiste: «il faut mettre les victimes au centre, les écouter, effectivement, et pas seulement s’informer. Ecouter leur histoire, et aussi les écouter nous parler de l’Eglise, de ses dysfonctionnements, des solutions qu’elles proposent. «L’obsession de l’Eglise ne doit pas être la peur que de nouveaux scandales éclatent et l’éclaboussent, mais le souci des victimes».

Une autre manière de faire Eglise

Et de plaider pour une «autre manière de faire Eglise», une Eglise de type synodal, où l’on redonne le sens au sacerdoce commun des baptisés. Afin que l’on sorte du cléricalisme dénoncé par le pape François, car les abus sexuels ont révélé le risque d’une perversion du ministère du prêtre, qui a été sacralisé. Ainsi, certains fondateurs de communauté religieuses sont devenus de véritables gourons tout puissants. Et de plaider pour une Eglise plus humble.

Quant à Valerio Maj, il déclare vouloir continuer à se battre notamment pour  éviter le plus possible d’autres victimes innocentes, pour promouvoir «une vraie tolérance zéro dans l’Eglise catholique» et pour sensibiliser les croyants à l’ampleur du problème dans leur Eglise. «Car l’abus laisse toujours des séquelles dans la vie de l’enfant, détériore ses relations, sa personnalité, ses intérêts et ses rêves».  (cath.ch/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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