Vous êtes diplomate du Vatican depuis plus de 30 ans. Comment devient-on diplomate du Vatican?
Mgr Thomas Gullickson: J’ai étudié la théologie à Rome, puis je suis retourné cinq ans dans mon diocèse à Sioux Falls, dans le Dakota du Sud, aux Etats-Unis. Mon évêque a été sollicité à mon sujet par la Secrétairerie d’Etat du Vatican. Je suis donc revenu à Rome en 1981 pour étudier le droit canon et, en 1985, je suis entré au service diplomatique.
J’ai commencé au Rwanda, pendant deux ans, où j’étais toujours malade. Puis je suis passé en Autriche, pour trois ans. En 1990, j’ai rouvert la nonciature à Prague. Et un mois plus tard, le premier nonce apostolique depuis la Deuxième Guerre Mondiale a été installé. Après trois ans, ce fut Jérusalem, puis l’Allemagne, cinq ans à Bonn et trois à Berlin. Puis après mon ordination épiscopale, j’étais nommé nonce aux Caraïbes. Puis ce fut Kiev en Ukraine, et enfin la Suisse.
«Il ne suffit pas d’avoir de l’argent pour assurer la vitalité de l’Eglise.»
Vous devez accepter les postes qu’on vous propose? Vous êtes d’accord de changer, chaque fois?
Pour mesurer la valeur de notre service, il faut plus qu’une expérience. Et il faut avoir l’ancienneté pour juger si cette carrière convient. Pour moi, après deux ans au Rwanda, j’avais plutôt envie de rentrer chez moi!
Car notre vocation n’est pas normale. Une vocation sacerdotale est orientée vers la vie en communauté, en paroisse ou dans une école. Or nous vivons souvent comme des ermites, à cause des situations dans les pays: la guerre qui rend les déplacements impossibles, les contextes culturels avec des langues difficiles, sans contacts sur place. Ce n’est pas facile pour un prêtre, spécialement pour un jeune. Au Rwanda, par exemple, les personnes autour de moi ne parlaient que le kinyarwanda et je n’ai eu que des contacts avec des diplomates et des missionnaires. On était coupés du pays.
On voit souvent le nonce comme une sorte «d’espion du pape». Cela correspond-il à votre expérience?
Mon assistant venu du Nigeria était scandalisé, parce qu’ici personne ne connaissait le nonce, alors que dans son pays, tout le monde le connaît. Même à Washington, aux Etats-Unis, on ne connaît pas bien l’existence du nonce apostolique. Ici, en Suisse, on me demande: «Quand est-ce que vous êtes arrivé de Rome?». Je réponds: «Désolé, je suis arrivé de Berne». (Rires)
Quel est le rôle d’un nonce apostolique?
Les acteurs de l’Eglise, évêques, prêtres, fidèles, ce sont les gens du lieu. Et le rôle du nonce est secondaire. Je l’ai dit au pape François: «La figure du nonce est collégiale, car je dépends de vous et aussi de la réception de l’Eglise locale, c’est-à-dire des évêques. Si vous me donnez votre confiance et si les évêques m’acceptent, je peux être le pape pour l’Eglise en Suisse!» Il a bien ri.
Vous avez des relations avec la Secrétairerie d’Etat, à Rome?
Pour beaucoup de choses, oui. Mais aussi avec la Congrégation des évêques, la Congrégation du Clergé pour des questions de prêtres ou les grands séminaires. Et puis la Doctrine de la foi, aussi.
Mais tout ne passe pas par le nonce, car les évêques ont le droit de prendre contact directement avec Rome. Certaines personnes m’écrivent en disant: le Saint-Père n’a pas répondu à mon message d’il y a six mois… Parfois, c’est vrai, il vaut mieux passer par la nonciature apostolique.
Quel regard portez-vous sur la Suisse ?
Ce qui me frappe ici, c’est que le sens de l’autorité appartient aux cantons. C’est une chose unique. A cause de cela, il faut s’habituer à certaines complications dans la réalité démocratique. Mais pour les contacts, c’est excellent.
L’Eglise catholique suisse n’est-elle pas trop focalisée sur le diocèse de Coire et la succession épiscopale?
Vous les journalistes, vous êtes focalisés sur cette succession. Il faut voir si dans un mois, avec la grève des femmes, le focus change… En Autriche où j’ai été en poste, on évoquait toujours les scandales dans l’Eglise en juillet quand on manquait de sujets…
«C’est comme si on faisait maintenant la démolition que Zwingli et Calvin n’ont pas été capables de faire il y a 500 ans»
Mais, à Coire, des gens se sont couchés devant la cathédrale, à l’ordination de Mgr Haas, en 1988…
Ce n’était pas que des catholiques de Zurich, mais aussi des Autrichiens… Mais la Suisse a aussi tellement de choses positives. Les Suisses sont toujours capables de surprises. Quand on pense aux souffrances vécues par certains cantons catholiques, je trouve ça incroyable. Ou quand je pense à la suppression de certains ordres religieux, comme les jésuites en Suisse. D’autre part, on pense à la croissance en même temps des capucins suisses, qui ont dominé leur congrégation au niveau mondial, à certains moments.
Aujourd’hui encore il y a des choses incroyables… Par exemple le mouvement mondial Juventutem, lancé par un laïc de Berne. Grâce au génie d’un «petit Suisse», un mouvement à portée internationale existe aujourd’hui.
Le diocèse de Coire attend une décision quant à son nouvel évêque. Quel profil devrait avoir celui-ci?
Il devrait être presque le double de Jésus lui-même! (Rires) La crise dans le diocèse est une crise dans les cœurs des prêtres, qu’il faut changer. J’insiste qu’il faut présenter des candidats pour le choix du chapitre de Coire, comme une chose normale. Si le chapitre est assuré de faire un choix libre entre des candidats dignes de la charge, c’est aux prêtres du diocèse de soutenir ce choix.
Quelle est votre perception des relations entre catholiques et protestants en Suisse?
Tout dépend des attentes face à l’œcuménisme. Le problème fondamental, c’est la faiblesse de la foi, de tous les côtés. Et cette faiblesse a un impact sur les relations œcuméniques. Si chaque communauté, réformée, évangélique, catholique, était forte dans sa foi, on aurait les moyens de se rencontrer et de cultiver quelque chose ensemble.
Comment voyez-vous l’articulation entre prêtres et laïcs?
Les diocèses de St-Gall et de Bâle cherchent depuis des années à se réorganiser avec les unités pastorales. On veut conserver toutes les structures du passé en mettant aux côtés des prêtres des diacres permanents et des laïcs. Mais comment faire quand il n’y a plus que quelques personnes à l’église?
La réalité d’ici est tellement différente de celle du Sud du Dakota où beaucoup des communautés de campagne disparaissent à cause de la démographie. Mon évêque a dû fermer des églises… Pourtant ce sont les paroissiens qui fréquentent l’église qui doivent maintenir ces lieux de culte. Ici, avec les impôts ecclésiastiques, on n’est pas forcé de prendre ce type de décisions. Mais les dirigeants n’ont pas compris qu’il ne suffit pas d’avoir de l’argent pour assurer la vitalité de l’Eglise.
Or des personnes qui sont formées ne militent pas pour faire respecter la règle de la messe du dimanche. On cherche à éliminer la messe! C’est comme si on faisait maintenant la démolition que Zwingli et Calvin n’ont pas été capables de faire il y a 500 ans. (cath.ch/bl/dp)
Pierre Pistoletti
Portail catholique suisse
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