Ce Manifeste Universel est la charte fondamentale du mouvement, qui veut «servir premiers les plus souffrants», «dans un partage de leurs peines et de leurs luttes, privées et civiques, jusqu’à la destruction des causes de chaque misère».
Temps fort de l’histoire du mouvement Emmaüs, le Manifeste se décline aujourd’hui par: une économie éthique et solidaire, une justice sociale et environnementale pour un monde durable, la paix et la liberté de circulation et d’installation pour une citoyenneté universelle.
Il y a 50 ans, le 24 mai 1969, c’est dans cette même salle du Parlement fédéral – à nouveau prêtée cette année quelques heures pour cette manifestation – que 150 délégués des groupes Emmaüs, alors présents dans 20 pays, adoptaient le Manifeste Universel, disponible aujourd’hui en 21 langues. Ce document a été élaboré au cours de cette assemblée historique présidée par l’Abbé Pierre lui-même, aux côté de son ami, le président de la Fédération Emmaüs Suisse, Marcel Farine. Ce natif de Moutier, qui fut militant à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et syndicaliste, a défendu toute sa vie la cause des plus pauvres et des plus faibles.
Cette année, le 24 mai 2019, à exactement un demi-siècle d’intervalle et au même endroit, 235 compagnons d’Emmaüs, bénévoles, sympathisants et amis du mouvement – dont la moitié venus de l’étranger -, sont invités par Marina Carobbio, la première citoyenne du pays. La venue dans cette salle, qui est exceptionnellement à disposition pour de tels événements, a été facilitée par la bonne entente entre Dominique de Buman, le précédent président du Conseil national, et l’actuelle présidente. Le fait que l’Abbé Pierre était présent il y a 50 ans dans ce lieu symbolique de la démocratie suisse a également joué un rôle.
Les participants vont lancer à cette occasion la déclaration pour un monde juste, solidaire et durable d’Emmaüs International pour appeler tous les membres du mouvement et leurs alliés à renforcer encore leur mobilisation pour le changement.
«Outre le temps fort au Parlement fédéral, le matin, où nous rappellerons la nécessité de se battre à tout instant et partout dans le monde contre les causes de la pauvreté et de la misère, nous avons voulu organiser un événement festif», confie à cath.ch le Fribourgeois François Mollard, président de la Fédération Emmaüs Suisse et l’une des chevilles ouvrières de cette journée du 24 mai, qui se déroule sous le slogan «Manifestons-nous pour la justice et la dignité».
Dès 13h15, les participants se rendront en cortège de la Bärenplatz à la Waisenhausplatz. Sur la Waisenhausplatz, un repas solidaire sera offert par les groupes Emmaüs de Suisse, en présence de Marina Carobbio. Une occasion aussi de découvrir les combats que mène le mouvement à travers le monde en faveur des plus exclus, sans oublier les animations: street art, musique, jeux participatifs. La journée se clôturera par le vernissage d’un «banc du 50e" installé sur l’Europa-Promenade, tout près du Palais fédéral.
«Ce sera une occasion de rencontres tant entre les membres et amis du mouvement qu’avec la population, pour dire d’où l’on vient, parler de la réalité de la pauvreté et de la misère aujourd’hui chez nous et dans le monde, et esquisser des pistes pour l’avenir», poursuit François Mollard.
L’événement a pour affiche un magnifique Abbé Pierre à la barbe blanche et au sempiternel béret noir vissé sur la tête, portant dans une main un arrosoir et de l’autre un globe terrestre d’où surgit un arbre dont les branches portent tour à tour un cœur, le Manifeste Universel et des mains qui se serrent. Le tout entouré des leitmotivs du mouvement en plusieurs langues: accueil inconditionnel, droits humains, solidaire pour la justice, citoyenneté universelle, éducation pour la paix, égale dignité, liberté de mouvement, etc.
Cette œuvre du Fribourgeois Alex Ballaman, dessinateur au quotidien La Liberté, sera diffusée à travers le monde, sur les quatre continents, où agissent les 350 organisations Emmaüs présentes aujourd’hui dans une quarantaine de pays, du Portugal à l’Ukraine, de la Finlande à la Bosnie-Herzégovine, de l’Argentine aux Etats-Unis, du Liban à l’Indonésie, de l’Afrique du Sud au Burkina Faso…
Venue de Paris, Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale d’Emmaüs International, a rappelé le 21 mai à Berne que c’est grâce à l’enthousiasme et à l’énergie de «nos amis suisses» qu’à lieu cet événement «qui nous réveille». Et de rappeler qu’il y avait à l’époque déjà une volonté d’inscrire le mouvement dans le sillage de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. L’Abbé Pierre avait participé, entraîné par son ami René Cassin, à la commission de l’ONU chargée de la rédaction de cette Déclaration, au titre de l’ONG Mouvement universel pour une confédération mondiale qu’il présidait.
Au centre, les valeurs d’accueil inconditionnel et de respect de la dignité des plus pauvres
Dès le début, l’Abbé Pierre voulait s’attaquer aux causes de la souffrance, portant une ferme volonté de transformation et de changement social, avec toujours en ligne de mire l’accueil inconditionnel et le respect de la dignité des plus pauvres. «Il fallait aussi trouver les moyens de la solidarité, à l’époque par le travail de récupération de métaux, de tissus, de papier». C’était le temps des ‘chiffonniers d’Emmaüs’.
Ce travail continue aujourd’hui encore dans certains pays. Mais où cette activité n’est pas possible, la communauté développe par exemple l’agro-écologie, comme en Afrique. Dans d’autres endroits, les compagnons récupèrent des meubles, de l’électroménager, de la vaisselle, des vêtements et tout objet utile à notre quotidien. Ils mettent aussi sur pied des brocantes dans leurs échoppes. Ils assurent par leur travail leur propre subsistance, refusant ainsi d’être des «assistés».
Le système mondial actuel crée toujours plus d’inégalités et provoque la marginalisation croissante des plus démunis. A cela s’ajoute le fait que les contraintes légales sont de plus en plus sévères envers les migrants et les réfugiés. L’étau se resserre sur ces catégories, rendant plus difficile l’accueil dans les communautés. Les partis de droite exercent une forte pression en matière d’immigration et d’octroi de permis de séjour.
«Chaque canton applique de façon différente l’accueil des étrangers, mais on sent partout une plus grande pression, en particulier pour les personnes hors de l’espace Schengen», note le directeur d’une communauté romande.
«Et cela même si les compagnons que nous accueillons ne coûtent rien à la société, car nous prenons par exemple en charge leur assurance-maladie. Beaucoup doivent partir après trois mois, le temps de leur visa touristique, tandis que d’autres disparaissent dans la nature, forcés à vivre dans l’illégalité. Les autorités sont de plus en plus restrictives, en particulier vis-à-vis des sans-papiers».
«On assiste à une création artificielle de précarités parce que l’on ne reconnaît aucun droit aux migrants. Partout, que ce soit dans l’UE ou aux Etats-Unis, fixés sur la frontière mexicaine… On doit faire face, de la part de certains milieux politiques, à des discours anti-immigrés, sur le thème de la perte de l’identité nationale, de l’invasion étrangère, c’est totalement irrationnel! Emmaüs se bat pour une citoyenneté universelle», lance Nathalie Péré-Marzano.
Actuellement, la déléguée générale d’Emmaüs International estime le nombre de compagnons à plus de 10’000 dans le monde, mais il n’y a pas de véritable statistique. En France, les compagnons d’Emmaüs sont entre 5 et 6’000, dans 120 communautés. En Suisse, note pour sa part Charles Faessler, président d’Emmaüs Zurich, il y a 11 organisations Emmaüs, affiliées à Emmaüs Suisse, dont 7 communautés qui hébergent des personnes en situation de détresse.
Elles sont principalement en Suisse romande (Genève, Etagnières/VD, Fribourg, Sion, La Chaux-de-Fonds), mais également à Rivera, au Tessin, et à Bern-Bümpliz. Actuellement, ces communautés hébergent une centaine de personnes. Quatre groupes d’Amis d’Emmaüs soutiennent les actions d’aide du mouvement. Les premiers groupes sont nés en Suisse en 1956, après les tournées de conférences de l’Abbé Pierre à Genève en 1954 et à Berne en 1956. (cath.ch/be)
Jacques Berset
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