200 millions de chrétiens sont discriminés et persécutés aujourd’hui dans le monde, relève l’organisation catholique AED/ACN, qui a organisé dans l’après-midi un podium intitulé «La plus grande persécution des chrétiens depuis 2000 ans». «Un chrétien est assassiné toutes les cinq minutes dans le monde en raison de son appartenance à la communauté chrétienne», a-t-on pu entendre en introduction.
Sur la scène du centre culturel et de congrès ZWEI RABEN d’Einsiedeln: Mgr Thomas E. Gullickson, nonce apostolique pour la Suisse et le Liechtenstein, Mgr Obiora Francis Ike, professeur d’éthique et d’études interculturelles à l’Université Godfrey Okoye, à Enugu, au Nigeria, et Rafael d’Aqui, responsable des projets de la section Afrique d’AED-ACN International, à Königstein, près de Francfort.
Près de 500 auditeurs ont prêté une oreille attentive à la description de cette dure réalité par des témoins connaissant particulièrement bien la situation sur le terrain, dans des «zones rouges» où sévissent des groupes djihadistes comme Boko Haram.
«La persécution par l’islam fondamentaliste – j’en fais l’expérience – prend malheureusement de l’ampleur en Afrique. C’est le vieux rêve de l’islamisation du continent africain, porté en son temps par Mouammar Kadhafi, le dictateur libyen renversé et assassiné», relève Rafael d’Aqui.
Le Brésilien se rend deux fois par an dans les régions d’Afrique dont il a la charge pour AED-ACN. «Ce n’est pas du tourisme, souvent c’est dangereux. J’y rencontre des paroissiens, des évêques, des missionnaires, des prêtres ou des sœurs», explique celui qui doit traiter près de 700 demandes d’aide en provenance des Eglises de 27 pays d’Afrique. Citant l’exemple du Burkina Faso, du Cameroun, du Mali et d’autres pays connus pour la coexistence pacifique d’autrefois entre chrétiens et musulmans, il note «une soudaine atmosphère de haine et d’hostilité».
Sur place, certains interlocuteurs – dont il ne cite pas le nom pour des raisons de sécurité – déplorent une «arabisation» de l’islam africain, en principe plutôt ouvert et tolérant. En cause notamment les fonds provenant d’Arabie saoudite ou du Qatar pour financer le développement d’une interprétation rigide du Coran. «Les problèmes et les conflits se développent massivement là où on prêche et impose le ‘wahhabisme’ aux populations. Au Burkina Faso, la situation s’est détériorée rapidement, en quelques mois seulement, avec une multiplication des attentats».
La tension a augmenté ces derniers temps dans toute l’Afrique de l’Ouest, en particulier là où les Peuls, des tribus nomades appelées aussi Foulanis, se déplacent en raison des changements climatiques et se heurtent à des populations sédentaires.
«Tandis que nos amis en Europe dorment, lance Mgr Obiora Ike, le Nigeria compte déjà 200’000 victimes, non seulement ciblées par les terroristes de Boko Haram, mais également par les bergers foulanis, qui sont armés et n’hésitent pas à piller les villages et à tuer».
«Le sang coule et la majorité des victimes sont des chrétiens. Il y a des attaques de Foulanis dans 40 diocèses du Nigeria… pour eux, une vache est plus importante que la vie d’un être humain!», lance le Nigérian. Cet ardent défenseur des droits de l’Homme préside le Globethic.net, une ONG basée à Genève qui bénéficie d’un statut consultatif auprès de l’ECOSOC, le Conseil économique et social de l’ONU. Lui aussi relève que si l’on a tué Kadhafi, les armes dont regorgeait la Libye ont été récupérées par divers groupes. «Elles sont désormais dispersées dans toute la région, et c’est le peuple qui en paie le prix…»
«L’Organisation de la coopération islamique (OCI), l’ancienne Organisation de la conférence islamique, déplore Mgr Obiora Ike, veut que l’on construise des mosquées tous les dix kilomètres, même dans les régions où il n’y a pas de musulmans: on dort en Occident!» Touche d’optimisme: au sein des familles africaines comme la sienne, on rencontre des membres appartenant à diverses confessions.
«On se rencontre, sur le plan humain, sans aucun problème, dans le respect les uns des autres. Mais quand on commence à instrumentaliser la religion, quand on veut imposer aux chrétiens la charia, la loi islamique, alors que nous avons dans notre pays une loi pour tous, cela ne va pas. Pourquoi les pays européens ne réagissent-ils pas ?»
Mgr Thomas E. Gullickson abonde: «En Occident, on est trop passifs face à de tels défis!» Mais la préoccupation du nonce concerne avant tout la région dont il a la charge depuis septembre 2015. «Dans les pays qui nous entourent, en France, en Allemagne, etc., on entend parler d’actes violents contre des croyants, contre des hommes et des femmes de l’Eglise. Il s’agit avant tout d’actes de vandalisme», déclare le nonce, qui relève qu’on peut effectivement être heureux de vivre en Suisse et au Liechtenstein, où on ne signale pas de tels cas.
«Mais sommes-nous vraiment sur une île de bienheureux», lance-t-il, tout en se défendant d’être hypersensible ou de prendre une loupe, à la recherche de possibles délits. «Mais nous ne devons jamais oublier que le diable a toujours essayé de déguiser et de cacher ses attaques contre l’Epouse du Christ. Il essaie de dépeindre le martyre avec ambivalence et d’obscurcir le témoignage des confesseurs. Cela a toujours été ainsi dans l’histoire».
A l’inverse des martyrs et des confesseurs de la foi des premiers siècles, qui étaient souvent la cible d’une cruelle répression, insiste-t-il, en Occident aujourd’hui, la situation n’est pas comparable. Toutefois, pour les chrétiens, la foi est confrontée à une atmosphère de relativisme omniprésente, qui prescrit que tout est égal.
«Comme notre position est connue, la liberté de témoigner de l’unique Seigneur dans l’espace public est pour nous restreinte, voire même refusée!» Mgr Thomas Gullickson admet qu’en face du martyre auquel font face les chrétiens de nombreux pays, cette situation de relativisme ne serait pas si grave. «Ce qui est dévastateur, cependant, c’est que cette dynamique se produit aussi et surtout au sein de l’Eglise catholique». Et de citer par exemple l’abandon du devoir de tous les catholiques qui ont fait leur première communion de prendre part à la messe le dimanche et les jours de fête. «Le mépris de ce commandement est un péché mortel!» JB
En Europe occidentale, et en Suisse particulièrement, confie-t-il à cath.ch, on ne peut parler de violences, seulement de discriminations. «Ainsi, il arrive que l’on ne laisse pas d’espace aux chrétiens, aux catholiques, pour vivre leur foi librement. Dans certains cantons, les fonctionnaires ne peuvent pas porter une petite croix. Dans l’Eglise catholique, des gens se disant catholiques prétendent définir ce qu’est la nature de l’Eglise, alors qu’ils n’ont pas la légitimité de le faire. Tous ces gens sont prêts à réinventer l’Eglise selon leur goût. L’Eglise est toujours la même, c’est une blague de dire que le monde change toujours et que l’Eglise doit s’adapter. Même si, avec l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux, et malgré les progrès de la science, tout se complexifie, cela ne change pas la nature fondamentale de l’homme et de l’Eglise !»
Le nonce affirme qu’il existe en Suisse une «Eglise quasiment souterraine», «des chrétiens qui ne veulent pas se laisser dépouiller de leur catholicité, de la sainte messe du dimanche, qui sont prêts à se mobiliser pour trouver un endroit où ils pourront communier. C’est la vérité, il y a des Unités pastorales (UP) où on a perdu la possibilité de fréquenter la messe». (cath.ch/be)
Jacques Berset
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