Le chapitre général des Frères de Saint-Jean, achevé le 10 mai 2019, a procédé à un examen de conscience approfondi sur les abus sexuels qui ont gangrené la communauté. Outre les turpitudes du fondateur, le Père Marie-Dominique Philippe, décédé en 2006, une commission a mis en cause 30 frères accusés d’abus. Le nouveau prieur général, le Frère François-Xavier Cazali s’est dit résolu à assainir ce qui doit l’être.
Après le choc de la révélation en 2013 «d’actes contraires à la chasteté» commis par le fondateur le Père Marie-Dominique Philippe et la nomination d’une commission SOS-abus en 2015, les frères de Saint-Jean, connus aussi sous le surnom de ‘Petits-Gris’, ont affronté un nouveau chapitre sombre de leur histoire. Le communiqué, publié à l’issue du chapitre tenu du 30 avril au 10 mai 2019, évoque la prise de conscience douloureuse des frères sur le besoin de rectification et la nécessité de réformes.
Le rapport de la commission SOS-Abus, présenté lors du chapitre général, quantifie et caractérise les situations d’abus. Il est riche d’enseignements sur les abus commis, leurs causes, leurs conséquences sur les victimes et ce qui doit encore être poursuivi ou entrepris pour aller au bout des réformes engagées, note le communiqué .
Le Frère François Xavier Cazali, prieur général nouvellement élu, a exprimé une demande pardon à toutes les personnes blessées par le fondateur ou par un frère. «Nous devons reconnaître clairement les aspects déviants de notre fondateur. Reconnaître que la grave confusion qui l’habitait, véhiculée par certains aspects de son enseignement, a engendré ou permis des abus qui ont marqué son histoire, et celle de la communauté.»
Interrogé par le quotidien La Croix, le Frère François-Xavier, qui a été responsable de la commission SOS-abus, se refuse cependant à parler de système, «au sens de quelque chose de pensé et organisé de manière consciente» par le Père Philippe. «Mais de fait, les lignes d’influence remontent à lui: la confusion qui était la sienne s’est propagée. Il ne peut être considéré comme un modèle de vie chrétienne, encore moins une référence dans la conduite des âmes.»
A défaut de système, l’étude des cas d’abus sexuels et de conscience, sur mineurs et sur majeurs, permet d’identifier des éléments constituant une «structure d’abus». 80% d’entre eux ont eu lieu dans le cadre de la relation d’accompagnement spirituel. «Soit l’accompagnateur n’avait pas de superviseur, soit son conseiller était ou maladroit, par manque de formation humaine, ou auteur d’abus lui-même. Ce qui nous a marqués, ce sont les justifications spirituelles, théologiques, que les abuseurs s’étaient construites et parfois transmettaient à d’autres», a déclaré à La Croix le Frère François-Xavier. Des auteurs ont pu justifier leurs abus sexuels en expliquant qu’ils étaient «l’expression spirituelle de l’amour d’amitié qui unit le père spirituel à la personne qu’il dirige.»
Au plan quantitatif, le bilan de la commission est lourd. Six frères ont été mis en cause pour abus sexuels sur mineurs, dont quatre ont fait l’objet de procédures judiciaires. Mais les abus sur des personnes majeures constituent 90% des cas. Dans un tiers de ces cas, les victimes ont été des frères ou des sœurs de la communauté. 32 plaintes ont été reçues visant 27 frères, 86 % portant sur des faits antérieurs à 2013. Pour les affaires jugées avant la création de la commission en 2015, 7 frères ont fait l’objet d’une procédure civile. La justice n’a pas donné suite dans 4 cas, les 3 autres sont en cours.
Au niveau des sanctions, quatre frères ont été condamnés par la justice civile pour abus sur mineurs, un pour abus sur majeur. Treize frères font l’objet d’une procédure canonique. Deux affaires devraient être classées sans suite conformément aux conclusions de l’enquête civile. Une autre va aboutir à un renvoi de l’état clérical et à la sortie de la communauté. Selon le rapport, plusieurs autres affaires devraient aboutir à la même conclusion et d’autres à des peines temporaires.
«Nous sommes consternés de cette part de notre histoire. Le travail de vérité que nous avons engagé depuis plusieurs années concernait d’abord notre fondateur et son enseignement. Le chapitre comprend qu’il faut prendre aussi en compte des lignes d’influence ayant favorisé l’emprise et des abus dans notre communauté. Il faut considérer aussi que les abus sexuels ont souvent été accompagnés ou précédés d’abus de conscience et de pouvoir», admet le communiqué.
Après la publication du rapport et les discussions du chapitre, la place à conserver au Père Philippe dans la communauté reste un sujet de débat entre les frères. «Il est incontestable qu’historiquement il est à l’origine de la communauté. Mais le charisme d’une communauté ne se confond pas avec la vie du fondateur. À part encore tel ou tel, aucun frère aujourd’hui ne remet en question les faits reprochés au Père Philippe, mais la question reste ouverte de savoir si son enseignement doit encore être étudié par les frères en formation et de quelle manière» a commenté, pour La Croix, le prieur général. Rappelons qu’il fut professeur à l’Université de Fribourg, en Suisse, de 1945 à 1982.
Cette question ainsi que celles concernant la gouvernance de la communauté seront examinées lors d’une deuxième session du chapitre agendée en octobre.
La communauté des Frères de Saint Jean compte aujourd’hui environ 500 frères, dont 270 prêtres, issus de 34 pays et répartis dans une cinquantaine de prieurés sur les cinq continents. (cath.ch/mp)
Maurice Page
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