Jean-Paul Hernandez a échangé dans une ambiance studieuse et chaleureuse avec une quarantaine d’agents de la pastorale jeunesse de Suisse romande au Centre international réformé John Knox, au Grand-Saconnex. Il était accompagné dans sa tâche par «l’évêque des jeunes», Mgr Alain de Raemy, et Claire Jonard, coordinatrice pour le Centre romand des vocations (CRV). Les discussions ont notamment porté sur la bonne compréhension et la concrétisation de Christus Vivit (Le Christ est vivant), l’exhortation du pape François qui a conclu le processus synodal.
Le Père Hernandez était un intervenant de choix. Le théologien espagnol a notamment été un important acteur du Synode des évêques sur la foi, les jeunes et le discernement vocationnel, qui s’est déroulé à Rome en octobre 2018. Il a en particulier fait partie du panel des 23 experts agréés de la rencontre.
Il est également une cheville ouvrière de la démarche «Living Stones», qui s’efforce de faire découvrir aux jeunes le sens profond et spirituel des œuvres artistiques, principalement architecturales, chrétiennes. Une initiative qui coordonne des groupes de guides spécialement formés dans plus de 30 villes du monde, dont un a débuté à la cathédrale de Fribourg.
Le pape François a interpellé les jeunes en leur rappelant que «le Christ est vivant». Un message fort, mais quelque peu abstrait. Comment l’avez-vous décrypté face aux personnes chargées de le transmettre aux jeunes?
Jean-Paul Hernandez: «Il n’y a rien de plus concret que de rencontrer Dieu», a écrit l’auteur spirituel espagnol Pedro Arrupe. C’est une provocation, parce qu’on pense souvent Dieu comme quelque chose de très abstrait, de lointain, une théorie, voire une loi. Ce qui m’a été confirmé par les expériences dont les agent pastoraux ont témoigné, c’est le très grand défi de permettre aux jeunes de rencontrer le Christ vivant. Parce que c’est une rencontre personnelle qui change concrètement ma vie. La rencontre elle-même est de l’ordre du mystère, on ne peut pas la commander. Mais il est possible d’en créer les conditions favorables.
Quelles sont-elles?
La première est l’écoute. Profonde, intelligente, spirituelle, qui sait déceler le vrai cri du cœur du jeune. Il s’agit de lui faire reconnaître la soif de Dieu qui existe en lui.
Une autre condition est de poser la bonne parole. Sur ce point, le pape dans Christus Vivit, insiste sur «ce qu’il ne faut jamais taire». Principalement que Dieu nous aime. C’est une lutte surtout contre les fausses images de Dieu. Notamment d’un Dieu qui distribuerait des récompenses ou des punitions au regard de nos actions. Une image inscrite dans notre inconscient collectif et que même l’Eglise a véhiculée.
Il ne faut pas taire non plus que cet amour sauve. Qu’il fait sortir tout ce qui dans notre vie a le goût de la mort. Ce peut être le péché, l’enfermement dans nos blessures, l’incapacité de trouver un sens à la vie.
Mais surtout, il faut insister sur le fait que Dieu est une personne réelle, vivante, avec laquelle j’établis une vraie relation.
On sait que l’Eglise peine à mobiliser ou attirer les jeunes. Quel est votre diagnostic? Ont-ils une fausse image de l’Eglise? Qu’est-ce que l’Eglise doit changer pour être plus attrayante?
Nous avons besoin de redécouvrir l’image évangélique du bon berger. Mais dans le texte grec, le terme est «kalos», qui veut dire plutôt «beau». Cette beauté, c’est de donner sa vie pour ses brebis. Et cette beauté attire.
S’il y a si peu de jeunes, c’est que l’Eglise n’incarne pas encore pleinement cette beauté. Nous devons ainsi tous revenir au Christ pour lui demander, à genoux, qu’il fasse de nous de «beaux pasteurs», capables de donner leur vie.
«Le cléricalisme n’est pas uniquement le problème des prêtres»
Les agents pastoraux vous ont beaucoup interpellé sur la question du cléricalisme et du pouvoir des prêtres. N’est-ce pas là un des obstacles pour la jeunesse?
L’essence du cléricalisme, c’est le manque de confiance sur la présence de l’Esprit-Saint dans le cœur de l’autre. Finalement, c’est un manque de foi. La personne devient l’idole d’elle-même, ne compte que sur elle-même, ne cherche plus le Christ. Alors que nous sommes destinés à être des chercheurs et des révélateurs de l’Esprit-Saint chez l’autre.
Mais le cléricalisme n’est pas uniquement le problème des prêtres. C’est le problème de toute l’Eglise, lorsque nous préférons les réponses toutes faites, les définitions de dictionnaires, les programmes… et que nous refusons d’écouter l’Esprit, dans le jeune, dans le dernier venu, dans le plus petit.
Egalement dans celui qui n’a rien à voir avec l’Eglise?
Certainement.
Avec les groupes «Living Stones», vous cherchez à sensibiliser la jeunesse à la spiritualité à travers l’art religieux.
Je crois que l’art est une métaphore de la vraie beauté, qui est Dieu. Tout art est par essence spirituel, car c’est une démarche pour rendre visible l’invisible. C’est pour cela que l’art possède cette force d’attraction pour les croyants comme pour les non-croyants. Ensuite, il s’agit de faire le saut de l’émerveillement à l’expérience intérieure, spirituelle. Donc oui, l’art peut certainement être une porte vers Dieu, notamment pour les jeunes. C’est ce que nous essayons de faire avec «Living Stones».
Mais aujourd’hui, les jeunes se retrouvent beaucoup plus dans la musique ou le cinéma. Serait-il souhaitable que l’Eglise les rejoigne dans ces univers artistiques?
Je crois que la musique spirituelle existe déjà, même en dehors de l’Eglise. De grands artistes contemporains de musique ou de cinéma prennent souvent des thèmes spirituels ou religieux. Même si ces œuvres sont mélangées de culture profane, on y retrouve profondément la recherche de Dieu. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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