Hazem Tahsin Said, chef du Conseil spirituel suprême des Yézidis, l’a confirmé une nouvelle fois dans une déclaration publique fin avril 2019. A Alqosh, à la frontière du Kurdistan irakien, le Père Aram Romel Hanna, fondateur du centre d’aide psychologique aux victimes des terroristes de Daech, le New Hope Trauma Center of Iraq, avait déjà évoqué cette dure réalité lors de la visite de cath.ch en automne dernier dans cette ville dont le nom signifie ‘Le Dieu de la droiture’. Son institution vient en aide aux victimes des djihadistes, qu’ils soient chrétiens ou yézidis.
La communauté kurdophone des Yézidis, parmi les populations les plus anciennes de la Mésopotamie, pratique un monothéisme qui puise une partie de ses croyances dans le zoroastrisme, la religion de la Perse antique.
Malgré leur croyance en un Dieu unique, qu’ils appellent Xwedê, les Yézidis ont toujours été méprisés par leurs voisins musulmans, qui les accusent d’être des «adorateurs du diable». Ils ont été pris pour cible par les islamistes, qui ont commis contre eux un véritable génocide dans la région des monts Sinjar en août 2014.
Voulant effacer l’identité yézidie, les djihadistes de Daech, qui ont envahi la région en août 2014, ont imposé aux Yézidis, dès le début de l’instauration de leur «califat», la conversion forcée à l’islam, l’enlèvement de femmes et d’enfants qu’ils revendaient comme esclaves à d’autres djihadistes, notamment étrangers.
Après avoir séparé les hommes et les enfants de plus de 14 ans, souvent directement exécutés, les djihadistes ont envoyé les jeunes garçons dans des camps d’endoctrinement et d’entraînement militaire, notamment à Tall Afar, pour les transformer en «lionceaux du califat». Nombre de ces enfants yézidis, transformés en chair à canon après leur avoir lavé le cerveau, sont morts au cours d’opérations militaires.
Ces pratiques barbares étaient codifiées dans un fascicule affirmant que l’esclavage, la capture et l’asservissement des femmes et des enfants yézidis servaient notamment de récompenses pour ses propres combattants. Ces écrits justifiaient l’humiliation de cette «communauté d’infidèles» avec des arguments religieux tirés de leur propre interprétation d’un islam «wahhabite».
Les enfants nés de mères yézidies violées par les terroristes de Daech lors de la prise de cette région située au nord-ouest de l’Irak ne sont pas considérés comme des Yézidis. Ils sont donc exclus de la communauté, et ne peuvent pas vivre avec leurs proches. Le chef du Conseil spirituel suprême avait bien publié auparavant un arrêté «acceptant tous les survivants» des crimes de Daech, les considérant comme victimes d’actes commis «contre leur volonté». Mais le Conseil a ensuite précisé que les enfants nés de viols commis par les djihadistes n’en faisaient pas partie.
A Alqosh, la communauté chaldéenne locale, qui parle encore l’araméen, rappelle avec fierté qu’elle a été l’une des première à avoir accepté le message du Christ. Mais la bourgade n’est pas passée loin de la catastrophe qui a frappé en août 2014 les villages chrétiens de la Plaine de Ninive et les monts Sinjar, bastion historique des Yézidis.
«Les djihadistes de Daech ne sont pas entrés à Alqosh, mais ils étaient arrivés le 6 août 2014 à moins de 4 km d’ici ! Pendant 3 ans, nous avons vécu dans l’insécurité, essuyant des tirs de temps en temps. Ceux qui étaient restés avaient des sacs prêts avec leurs affaires essentielles, en cas d’évacuation…», témoigne le Père Aram Romel Hanna.
«Dans les villages de la région du Sinjar, les hommes de la communauté yézidie ont par contre été systématiquement assassinés», confirme le prêtre chaldéen. Les djihadistes ont vendu leurs femmes et leurs filles sur les marchés à Mossoul ou à Raqqa, leur fief en Syrie. Les survivants kidnappés devaient choisir entre se convertir à l’islam ou être immédiatement exécutés.
«La région a beaucoup souffert de Daech, des femmes chrétiennes ont aussi été enlevées par les islamistes, mais les Yézidis ont été particulièrement visés et nécessitent des soins particuliers».
Le New Hope Trauma Center of Iraq, fondé avec le soutien de l’ONG américaine St Rita Hands of Hope Michigan, traite depuis trois ans les diverses victimes qui souffrent d’état de stress post-traumatique (ESPT), de sévères dépressions, d’anxiété, d’irritabilité, d’explosions de violence, de risques de suicide. Il s’occupe également de cas d’autisme et de dyslexie, dans un pays qui manque cruellement de personnel spécialisé, notamment de psychiatres.
«Nous faisons face à des problèmes immenses, et nous ne bénéficions d’aide que de la part d’ONG chrétiennes, notamment d’Aide à l’Eglise en Détresse (AED-ACN). La communauté internationale ne s’intéresse guère à nous… Face aux immenses traumatismes que nous devons affronter, nous manquons de moyens. Nous formons des professeurs spécialisés qui vont dans les écoles à Alqosh et dans le gros bourg voisin de Teleskuf, à la frontière du Kurdistan irakien, peuplé de chrétiens assyriens appartenant à l’Eglise chaldéenne».
La délégation d’AED – à laquelle participait cath.ch – ne pourra se rendre dans les divers camps – sévèrement gardés – où vivent les femmes yézidies réfugiées au Kurdistan très proche, et que visitent les volontaires du New Hope Trauma Center of Iraq, qui y développent leurs programmes de santé mentale. Ces femmes, qui ont été enlevées, battues et violées, ne pourront pas rentrer avec leurs enfants dans leur communauté.
«Elles subissent ainsi une double peine, car elles ont été vendues comme esclaves sexuelles pour satisfaire les djihadistes et après avoir été violées, leurs enfants risquent d’être apatrides, car en Irak, les enfants héritent de leur père leur nationalité et l’appartenance à une communauté…»
Ainsi, ceux dont les pères ont disparu ou ont été tués deviennent de facto apatrides en raison du manque d’informations sur l’identité du père. Dans son travail avec les victimes de Daech, qu’elles soient chrétiennes ou yézidies, le Père Aram Romel Hanna, un homme qui s’approche de la quarantaine, déclare dans un large sourire qu’il cherche «à rebâtir notre humanité commune: nous devons la retrouver, car Daech nous l’avait ôtée!» JB
La communauté des Yézidis, estimée à 500-600’000 âmes, vivait principalement dans les zones rurales des monts Sinjar. Durant l’occupation de la région par Daech, qui s’en est emparée en août 2014, plus de 3’000 Yézidis ont été massacrés, et près de 5’000 enlevés, dont de nombreuses femmes et enfants. Le 90% de cette population a été dispersée. Des dizaines de fosses communes ont été découvertes dans les régions libérées des djihadistes en 2017, et l’on compte encore de nombreux disparus.
Selon l’ONG Yazda, une organisation internationale yézidie établie après les massacres de 2014, près de 100’000 Yézidis ont quitté l’Irak depuis 2014, soit près d’un cinquième des membres de cette communauté, principalement réfugiés en Allemagne, et dans une moindre mesure aux Etats-Unis. Une ancienne communauté yézidie vit en Arménie. Des Yézidis réfugiés à l’étranger retournent en Irak pour trouver un époux ou une épouse, car il n’est pas permis de se marier à l’extérieur de la communauté. La majorité des Yézidis, même ceux qui ne pratiquent pas leur religion, veulent maintenir cette tradition ancestrale. (cath.ch/be)
Jacques Berset
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