«Nous vivons des temps de post-démocratie et d’État sans loi», a expliqué d’emblée Leonardo Boff dans une interview publiée sur le blog italien Confini. Rappelant que le gouvernement de Jair Bolsonaro était composé de huit militaires (sur 22 ministres) et de plus de cent fonctionnaires issus des forces armées, le théologien a estimé que l’État brésilien était «militarisé». Pour lui, «le projet destiné à imposer un ultra-néolibéralisme amène le gouvernement à passer outre la Constitution et à ne respecter aucune loi».
Leonardo Boff en est convaincu: «La stratégie du nouveau gouvernement Bolsonaro, clairement d’extrême droite, est de s’associer à des régimes autoritaires comme les Etats-Unis, le Chili et Israël». Les meilleures preuves à ses yeux sont les concessions accordées à Donald Trump lors de la visite de Jair Bolsonaro aux États-Unis (du 18 au 20 mars), sans aucune compensation. «La pire de toutes (ces concessions) est de permettre aux capitaux nord-américains d’exploiter l’Amazonie et les terres indigènes, où se concentrent des richesses stratégiques pour les intérêts des Etats-Unis».
Dans le cadre de l’interview, Leonardo Boff n’hésite pas à déclarer que «Bolsonaro utilise un langage qui a été utilisé par Hitler: détruire tout pour construire du neuf ensuite». Le théologien argumente en expliquant que «tous les projets sociaux des gouvernements de Lula et de Dilma Rousseff, qui ont permis à 36 millions de personnes de sortir de la pauvreté (…), sont démantelés».
Et Leonardo Boff de souligner que la principale intention du président Lula –la lutte contre la pauvreté- était en train d’être détruite puisque des millions de pauvres sont retournés à la misère. «Le Brésil, qui était sorti de la liste des pays souffrant de la faim, a réintégré la liste, selon l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO)».
Dans l’entretien, Leonardo Boff s’en est également pris avec véhémence à Paulo Roberto Nunes Guedes, le ministre brésilien de l’Economie. «Il n’est pas le porte-voix d’un libéralisme traditionnel et conventionnel, il est issu de l’École de Chicago, qui propose un ultra-néolibéralisme, une espèce de capitalisme sauvage (…)».
Rappelant que «le capitalisme brésilien n’a jamais été civilisé», Leonardo Boff estime que Paulo Roberto Nunes Guedes n’a pour seul objectif que la privatisation de fleurons de l’économie brésilienne, la réforme du régime de retraite, particulièrement pénalisante pour les plus pauvres. «Derrière Guedes, assure Leonardo Boff, il y a une oligarchie brésilienne, l’une des plus égoïstes et dépourvue de solidarité, et qui est celle qui s’enrichit le plus au monde».
Interrogé sur le rapport de Jair Bolsonaro avec le lobby des armes, le théologien brésilien a rappelé que plusieurs psychanalystes voient dans le président un homme paranoïaque. «Il voit des communistes partout, considère le nazisme comme un mouvement de gauche (…). Le premier décret qu’il a signé comme chef d’État a établi comme un droit le fait que chaque citoyen puisse posséder jusqu’à quatre armes, avec comme objectif de réduire la violence au Brésil. C’est absurde, car justement cela favorise la violence et donne une légitimité à une culture de la violence de la part de la police qui tue de nombreux jeunes noirs dans les favelas (bidonvilles)».
Alors que se tient jusqu’au 26 avril 2019 à Brasilia, devant l’Esplanade des ministères, le rassemblement annuel des indiens du Brésil venus réclamer le respect de leurs droits, Leonardo Boff a été sollicité pour s’exprimer sur la situation préoccupante des indiens du Brésil, en particulier ceux d’Amazonie. «Bolsonaro ne comprend pas ce qu’est un indigène ni la culture de ces peuples. Il croit qu’ils doivent être des Brésiliens comme n’importe quels autres, sans respecter leur identité, leurs traditions et leurs territoires. Il ne sait pas que le territoire fait partie de l’identité indigène et qu’il doit donc être respecté. Il estime que les indiens possèdent beaucoup de terres, en particulier en Amazonie».
Leonardo Boff, qui défend depuis plusieurs décennie une «écologie de la spiritualité», déplore que le président Jair Bolsonaro «ne reconnaît pas les démarcations officielles et permet la pénétration d’entreprises étrangères pour l’exploitation de ressources minérales, de bois nobles et autres minerais rares, importants pour les nouvelles technologies. Bolsonaro est complètement ignorant en ce qui concerne les questions d’ordre écologique». C’est pour cette raison, d’après le théologien, que le Brésil va subir une pression mondiale des principaux gouvernements qui savent que la préservation de l’Amazonie et de sa biodiversité est liée au futur de la vie et à l’équilibre climatique de la planète.
Leonardo Boff, né en 1938 à Concórdia (Brésil), franciscain, ordonné prêtre en 1964, a enseigné la théologie au Brésil où il est apparu comme l’un des principaux théologiens de la libération. Il a écrit de nombreux livres et fut conseiller de la Conférence épiscopale du Brésil. Interdit de prédication, il a quitté le sacerdoce et les franciscains pour s’engager à Petropolis dans le Service d’organisation populaire d’aide aux mères et aux enfants des rues.
Le 15ème «Campement Terre Libre» pour dénoncer la politique indigéniste de Jair Bolsonaro
«Nous n’allons nous soumettre aux menaces d’aucun gouvernement autoritaire. Nous sommes ici pour montrer que nous sommes debout». Tels sont les mots prononcés par Sônia Guajajara, coordinatrice éxécutive de l’Articulation des peuples indigènes du Brésil (Apib) lors du lancement, le 24 avril, du 15ème «Campement Terre Libre» (ATL), une manifestation qui rassemble chaque année des milliers d’indigènes du Brésil, sur l’Esplanade des ministères, à Brasilia, la capitale du géant sud-américain.
Vivement critiqué par Jair Bolsonaro et placé sous haute surveillance policière, ce 15ème ATL intervient dans un contexte particulièrement inquiétant pour les quelques 850’000 indiens du pays (0,4% de la population). L’une des principales préoccupations des indiens est l’intention du gouvernement de paralyser complètement la démarcation des terres indigènes, comme l’indique la décision du président de confier la gestion de ce dossier sensible au ministère de l’Agriculture, dirigé par Tereza Cristina, longtemps à la tête du Front parlementaire de l’agriculture (FPA), parti défendant les intérêts de l’agrobusiness, majoritaire au Congrès et principal appui de Jair Bolsonaro pour son élection.
Au-delà des milliers d’indiens venus de tout le pays qui sont attendus à Brasilia, le 15ème ATL va compter également, selon les organisateurs, la présence de représentants d’indiens de 12 pays d’Amérique centrale et d’Asie, ainsi que des États-Unis.
Ce 15ème ATL a été précédé, le 23 avril, d’une visite d’une délégation d’indiens du Brésil au Forum permanent de l’ONU, pour dénoncer les graves atteintes de la politique de Jair Bolsonaro. (cath.ch/jcg/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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