Journaliste et réalisatrice pour la télévision, Katia Chapoutier a souffert le suicide de sa soeur. Longtemps après ce drame, elle en a tiré un livre et un film documentaire: La Vie après le suicide d’un proche. Au-delà de sa propre expérience, elle a voulu donner la parole à des personnes touchées par ce drame. «La souffrance est insondable et le chemin est long, explique-t-elle. Mais il faut avancer, pas à pas, car, à un moment, on verra le premier rayon de lumière!»
Votre soeur s’est suicidée il y a près de treize ans. Comment survit-on au suicide d’un proche?
On commence par souffrir atrocement. Pendant des mois et même des années. Mais la quête de réponses finit par apporter un certain apaisement. Non pas parce qu’elle explique le suicide de celui qui nous a quittés, mais parce qu’elle permet de comprendre des choses essentielles, à savoir que son geste lui appartient, que l’on ne saura jamais pourquoi la personne est passée à l’acte car c’est multifactoriel. Les échanges avec les endeuillés, le travail de thérapie avec un psy qui connaît la problématique, l’écriture, sont autant d’outils qui permettent d’apprivoiser ce drame. Peu à peu, avec le temps, la douleur se transforme en douceur.
Mais avant le mieux, il y a une longue période nébuleuse où les questions tournent en boucle. Au point que l’on a l’impression de perdre la raison. C’est très important de savoir que c’est normal. Cela fait partie du processus de deuil.
«Le chagrin se vit seul et se guérit seul»
Par ailleurs, il est important de souligner qu’un tel tsunami engendre inévitablement une réorganisation de la géographie affective. Certaines personnes vont fuir, d’autres vont se révéler mais, clairement, rien ne sera comme avant.
A quel moment l’idée de réaliser ce film et écrire ce livre s’est-elle imposée comme une évidence et pourquoi?
Dès le début, car je suis journaliste de métier: ma quête effrénée de réponses s’est donc naturellement muée en enquête. Et qui dit enquête dit partage. Il y a dix ans, j’ai essayé de vendre un projet de livre et un projet de film autour du sujet, mais personne n’en voulait. Le sujet faisait peur et j’étais probablement maladroite parce que trop empêtrée dans ma souffrance.
Il a fallu dix ans pour que les choses se décantent. Et puis, un jour, grâce à Eléphant doc et à France 5, on a considéré que cette parole était nécessaire. Dès le premier entretien, j’ai pris conscience du fait que cette parole libérée, profonde et fondamentale devait être gardée dans son intégralité. Un documentaire ne permet pas de s’exprimer dans la longueur, un livre oui. En plus, il peut s’offrir, se laisser sur une table de chevet, se reprendre, se surligner… Nous l’avons pensé comme une trousse à outils avec toutes les informations nécessaires pour aller mieux. Les livres à lire, les associations à contacter etc. Nous sommes heureux qu’il soit sorti en poche, il circulera encore plus facilement. Et espérons-le, continuera à aider à libérer la parole.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappée, émue, surprise, dans les témoignages que vous avez recueillis?
À quel point nous parlons la même langue. Nous sommes une communauté invisible qui bien souvent se reconnaît instinctivement. Les gens qui ont été réunis pour ce film viennent d’horizons très différents, ont des âges divers et, pourtant, nous sommes devenus une bande d’amis presque instantanément.
«Le meilleur chemin pour revenir vers la vie est de se tourner vers les autres»
Vous ont-ils appris quelque chose que vous ignoriez, même si vous avez traversé une épreuve semblable?
Ils m’ont appris que le meilleur chemin pour revenir vers la vie est de se tourner vers les autres et, bien souvent, de les aider. C’est comme si en s’occupant des autres, on se redonnait le droit de vivre sa vie. Un peu comme si on trouvait un moyen de «rattraper» ce que l’on avait raté. Pour beaucoup, c’est le chemin le plus direct vers le mieux-être.
J’ai eu la confirmation également du fait que le chagrin se vit seul et se guérit seul. Il ne faut pas attendre des autres qu’ils nous aident à aller mieux. Bien sûr l’accompagnement psychologique, les groupes de paroles, et souvent l’écriture, sont fondamentaux. Mais le retour de la vie est un cheminement intérieur.
J’ai aussi compris que ce deuil étant long, il faut prendre soin de soi pour tenir sur la longueur. Il faut veiller à dormir, à manger et à faire une activité physique. Cela peut paraître dérisoire ou même une montagne quand on est mal, et pourtant… C’est absolument fondamental. La marche en nature, la piscine, la méditation, pour certains la course à pied, sont des aides précieuses qui permettent de tenir le choc.
Les témoignages peuvent aider certaines personnes endeuillées. Peuvent-ils servir à éviter le drame?
Je ne sais pas. La prévention est quelque chose que je ne connais pas encore bien, mais ce qui est sûr c’est que lorsque quelqu’un dit qu’il va se suicider il faut toujours l’entendre, même si c’est du chantage affectif. Et, idéalement, il faut passer le relais à des professionnels qui sauront prendre en charge cette souffrance aiguë.
«J’ai pu vivre car on m’a laissé dire que je voulais mourir»
Il faut aussi oser poser la question: «As-tu des idées suicidaires?» Cela permet à la personne en grande souffrance d’exprimer son mal-être. Élisabeth, une des témoins, le dit très bien: «J’ai pu vivre car on m’a laissé dire que je voulais mourir.»
En France, on est encore très coincé sur ce genre de questions. Au Canada, ils sont beaucoup plus familiers avec les notions de santé mentale, de crise suicidaire. Ainsi ont-ils dans les lieux publics (hôpital, école, lieux de travail) des sentinelles, des personnes formées pour reconnaître une personne en risque suicidaire. Ce serait un exemple à suivre.
Finalement, qu’aimeriez-vous délivrer comme message par rapport à ce thème douloureux?
Il me semble important de rappeler que, qui que nous soyons, quel que soit le moment de notre vie, quand nous n’allons pas bien, n’ayons pas peur d’aller voir un psy pour poser nos valises, nous soulager d’une souffrance qui nous encombre. Tant de drames auraient pu être évités si les personnes avaient osé confier leur mal-être. Sans oublier que prendre soin de soi, c’est aussi, indirectement, prendre soin de ses proches.
«A un moment, on verra le premier rayon de lumière!»
Enfin, je voudrais citer une phrase fondamentale du film. Alice, qui a perdu son fiancé, affirme: «Il faut être fier de nous, il n’y a pas de petite victoire, à chaque jour suffit sa peine, à chaque heure suffit sa peine!» C’est le message que nous aimerions tous passer aux endeuillés. Oui, la souffrance est insondable et le chemin est long. Mais il faut avancer, pas à pas, car, à un moment, on verra le premier rayon de lumière!
Katia Chapoutier est correspondante à Paris de Radio Canada pour l’émission Culture Club, auteure et réalisatrice de documentaires radiophoniques pour France Culture et TV (Des racines et des ailes, Enquête d’Art…). Elle a été journaliste pour des supports francophones tels que La Presse, Le Soleil ou Elle Québec.
Katia Chapoutier: La vie après le suicide d’un proche, témoignages d’espoir, Paris, 2017, éditions Le Passeur
La vie après le suicide d’un proche Auteur-Réalisateur : Katia Chapoutier Image : Damien Augeyrolles Son : Jérôme Aghion Montage : Eve Barreire Producteur délégué: Elephant Diffuseur: France 5
Maurice Page
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/katia-chapoutier-survivre-apres-le-suicide-dun-proche/