Sur la place, les organisateurs avaient disposé les panneaux de l’exposition «50 femmes engagées», qui présente 50 portraits qui relatent le parcours de femmes extraordinaires, d’ici et d’ailleurs, jeunes ou âgées, célèbres ou anonymes, agricultrices, ouvrières ou avocates. Ils tenaient, pour ce Jubilé, à rendre hommage à ces femmes qui luttent chaque jour pour un monde meilleur et dont le travail reste souvent dans l’ombre.
Depuis 50 ans, une invitation à réfléchir et à agir pour un monde meilleur
La fête du Jubilé était précédée d’une célébration en l’église du Saint-Esprit, tout à côté, en présence de Gottfried Locher, président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), de Mgr Felix Gmür, évêque de Bâle et président de la Conférence des évêques suisses (CES), et de Mgr Harald Rein, évêque de l’Eglise catholique chrétienne de Suisse.
Depuis 50 ans, l’organisation de développement des catholiques de Suisse Action de Carême et son homologue protestante Pain pour le prochain mènent conjointement une Campagne œcuménique de carême, qui invite à réfléchir et à agir. Pour célébrer dignement ce demi-siècle de collaboration, les deux œuvres d’entraide, auxquelles s’est jointe en 1994 l’ONG catholique chrétienne Etre Partenaires, avaient invité leurs collaborateurs, leurs anciens, leurs sympathisants et animateurs qui œuvrent fidèlement, année après année dans les paroisses, ainsi que le tout public.
Dans une église du Saint-Esprit archicomble, mais où les plus jeunes étaient plutôt rares, le prêtre catholique chrétien Nassouh Toutoungi a qualifié les 50 ans de la campagne oecuménique «d’histoire à succès». Il a toutefois rappelé en introduction que sans l’engagement de si nombreuses femmes et de tant d’hommes dans les paroisses, cette campagne ne serait rien. Gottfried Locher a lui aussi remercié tous ceux qui s’engagent dans cette campagne et relevé que, dans ce domaine en tout cas, la collaboration œcuménique est excellente.
La conseillère nationale verte bâloise Maya Graf, qui est aussi agricultrice biologique, a rappelé que le «temps presse!», mais que pas assez de choses ont bougé depuis le grand Rassemblement œcuménique européen «Justice, Paix et Sauvegarde de la Création» qui a fait venir à Bâle en 1989 plus de 700 délégués de toute l’Europe. «Ces rencontres nous avaient donné du courage et de l’espoir pour combattre pour un monde meilleur!» A l’époque déjà Action de Carême et Pain pour le prochain étaient aux avant-postes. 30 ans après, elle voit une lueur d’espoir dans les marches pour la justice climatique, dont le mouvement a été lancé par l’action de la jeune suédoise Greta Thunberg.
La théologienne Monika Schmid, responsable de la paroisse catholique zurichoise d’Illnau-Effretikon, estime quant à elle, que face à la lenteur du changement, «il faut que nous fassions du bruit!», ne pas se fatiguer de combattre pour nos droits, «avant tout comme femmes, pour les femmes». «Car, en 2019, c’est à nous de faire de petits miracles!»
Et Susann Schneeberger, des Eglises réformées Berne-Jura-Soleure, de relever que la campagne de carême 1994 informait déjà sur les inégalités entre les sexes. Ainsi, par exemple, les femmes en Afrique noire représentent le 80% de la force de travail dans les champs, produisent 70 % de la nourriture mais ne reçoivent que le 5% de l’aide dans le secteur agraire. La situation n’a guère évolué depuis cette époque.
Aux Philippines, la ‘guerre contre la drogue’ piétine les droits de l’Homme
Coordinatrice d’Action de Carême aux Philippines, Bembet Madrid relève que l’œuvre d’entraide suisse était déjà présente du temps de la dictature de Ferdinand Marcos (1972-1986), quand les droits humains étaient foulés aux pieds et que l’Eglise était la seule à pouvoir parler librement et prophétiquement dans le pays. Mais aujourd’hui, bien que ces droits soient désormais inscrits dans la Constitution philippine, «nous devons travailler d’arrache-pied pour veiller à ce qu’ils soient mis en oeuvre», surtout maintenant qu’ils sont piétinés, avec les milliers d’exécutions extrajudiciaires justifiées par la ‘guerre contre la drogue’.
Président du Conseil de fondation d’Action de Carême, Mgr Felix Gmür a conclu la cérémonie en rappelant que le monde n’est pas encore vraiment juste, et qu’il faut faire en sorte qu’il soit plus vivable pour tous. Il a salué le fait que la campagne de carême puisse déranger certains politiciens, car elle doit contribuer à ce que les choses changent pour plus de justice. JB
Mai 68 n’a pas seulement changé la société. Ce printemps-là, les Eglises étaient, elles aussi, gagnées par le vent de renouveau qui soufflait sur le monde. Le Concile Vatican II poussait l’Eglise catholique à un nouvel ‘aggiornamento’ et le Conseil oecuménique des Eglises (COE) exhortait aussi ses membres à s’intéresser davantage au monde.
Les Eglises étaient ainsi incitées également à intervenir dans les sujets politiques afin de pérenniser leur engagement social. Si les Eglises sont restées attachées à la coopération au développement, elles ont aussi pris de plus en plus conscience de la nécessité de transformer les structures politiques et sociales afin de lutter efficacement contre les injustices.
Durant ses cinquante ans d’existence, la campagne œcuménique s’est profilée, non sans parfois susciter la controverse, alimentée par les secteurs conservateurs de la société et les milieux économiques. Elle a été à l’origine d’un grand nombre d’initiatives et de labels aujourd’hui bien connus, notamment dans le domaine du commerce équitable.
Pain pour le prochain et Action de Carême ont ainsi contribué à la création de claro fair trade et du label Max Havelaar. Dans l’industrie textile, elles ont soutenu la création du label STEP pour les tapis et de la Fair Wear Foundation, qui certifie la production durable de vêtements. Dans le cadre de la campagne oecuménique, les deux organisations chrétiennes militent en faveur de conditions de production équitables dans l’électronique. Elles ont, dans les années 1990, recueilli 250’000 signatures pour demander le désendettement des pays les plus pauvres. Cette pétition a débouché sur la création d’un fonds fédéral qui, au travers du réseau du COE, a ensuite inspiré des initiatives similaires dans d’autres pays.
Il faut relever que campagne oecuménique a aussi suscité régulièrement des polémiques et des tensions au sein même des Eglises, notamment en ce qui concerne l’exportation d’armes ou la mise en cause de certaines pratiques des multinationales. Les deux organisations sont engagées actuellement dans la promotion de l’initiative pour des multinationales responsables, qui demande aux entreprises suisses de respecter les droits humains et de préserver l’environnement aussi à l’étranger.
Si Action de Carême et Pain pour le prochain ont parcouru un long chemin depuis 1969, le combat est loin d’être terminé. Et les deux œuvres d’entraide de déplorer que les politiques de développement soient à nouveau sur la sellette et que le monde reste encore et toujours marqué par les injustices et les déséquilibres. «La campagne œcuménique demeure ainsi une occasion unique de sensibiliser l’opinion aux enjeux mondiaux et de motiver les citoyens et les citoyennes à agir pour plus de justice et pour la sauvegarde de la création. (cath.ch/be)
Jacques Berset
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