Après avoir fait appel à un faiseur de secret, la personne rêvait régulièrement que toute sa famille périssait dans l’incendie de sa maison. Elle ne ressentait certes plus de douleurs, mais s’était mise à faire d’effroyables cauchemars.
L’histoire racontée par Alain Chardonnens entend faire comprendre qu’il «ne faut pas jouer avec le feu» en matière de pratiques de guérison «ésotériques». Pour le curé de Versoix, il est important de «toujours savoir qui agit, au nom de qui et pour qui».
L’ancien vicaire général de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) n’est pas spécialement attiré par l’ésotérisme. Il est venu à se pencher sur le sujet presque par hasard. Au séminaire, l’une de ses amies, qui avait reçu une prière du secret, était mal à l’aise avec cela. Elle voulait connaître la position de l’Eglise à ce sujet. Alain Chardonnens avait ainsi étudié la question pour lui rendre service. Plus tard, il a continué à se renseigner, à travers des ouvrages ou en assistant à des conférences du prêtre français Joseph Verlindes, un spécialiste des activités ésotériques qui a ses entrées au Vatican.
Il s’est à nouveau penché sur ces pratiques à la suite de la parution du livre Le guide des guérisseurs de Suisse romande, de Magali Jenny, en 2008. Une première édition mentionnait le témoignage de deux guérisseurs affirmant que leur don avait été authentifié par Mgr Bernard Genoud, ancien évêque de LGF, décédé en 2010. Une information erronée, comme l’ont signalé des lecteurs. En tant que vicaire général du diocèse, Alain Chardonnens avait alors contacté l’auteur pour une rectification. Dans ce cadre, Magali Jenny l’avait longuement interviewé sur la position de l’Eglise catholique en la matière. Des réflexions dûment reprises dans une réédition de 2012.
«Tout charisme est un don de Dieu, et en tant que tel, il est gratuit»
Au fil de son travail pastoral dans divers lieux de Suisse romande, le prêtre a en outre été confronté à de nombreuses reprises à des pratiques de secret et de guérison bien ancrées dans le paysage. «Vous rencontrez des personnes qui peuvent être de fervents catholiques, engagés en paroisse, et qui en même temps utilisent régulièrement le secret reçu d’un proche», souligne-t-il.
Face aux divers témoignages et observations, le curé a été convaincu de l’action réelle et puissante de ces pratiques. Pour lui, les effets ne proviennent pas d’une forme d’autosuggestion. «Lorsque ça fonctionne pour une personne qui n’est pas au courant, qui est inconsciente ou même pour des animaux, on ne peut pas croire que ça se passe juste dans la tête».
Mais pour l’ancien vicaire général, cette efficacité presque systématique est justement suspecte. «Il est étrange que les secrets fonctionnent mieux que les démarches proposées par l’Eglise, comme les pèlerinages ou les sacrements, alors que l’on est sûr que c’est Dieu qui agit». En filigrane: les guérisons accordées par le Christ-médecin ne se réalisent que dans la perspective d’un gain de foi, soit pour le cheminement de la personne guérie, soit en tant que signe de la présence de Dieu. D’autres forces, pas forcément recommandables, seraient donc à l’œuvre dans les pratiques ancestrales de guérison qui habitent les campagnes romandes. Le chanoine Chardonnens en veut pour preuve que les prières intègrent souvent, parmi des éléments typiques de la tradition catholique, des allusions «insolites» à la figure de Judas, à la lampe du Tabernacle ou au sang.
«Pour cette raison, l’Eglise applique une extrême prudence en la matière, explique-t-il. Elle déconseille de se diriger vers ces pratiques et demande que les personnes qui y ont recours aillent s’en confesser», indique le curé. «Il s’agit de faire attention, même quand les apparences sont positives. Car le diable est séducteur et il n’hésite pas à prendre un aspect bienveillant». Pour Alain Chardonnens, les fidèles doivent en premier lieu se fier à leurs connaissances de base de la foi pour discerner. «Souvent, les prières de guérison commencent bien, mais ne tardent pas à ‘partir en vrille’, avec justement des allusions ‘bizarres’. En général, il n’est pas difficile de comprendre que ‘quelque chose cloche'».
«L’Eglise est contre les ‘raccourcis'»
La prudence de l’Eglise vise aussi à protéger les personnes d’éventuels charlatans en voulant à leur portefeuille, dans des milieux où ils ne sont pas rares. «Le fait même que cela soit ‘secret’ est louche, ajoute le curé, car un véritable don de l’Esprit Saint n’a pas peur de se montrer au jour». Il relève, face au foisonnement de faiseurs de secret en Suisse romande, que les authentiques charismes de guérison sont extrêmement rares.
Alain Chardonnens rappelle que l’Eglise n’est pas opposée à ce genre de charismes. Ces derniers doivent simplement être authentifiés par l’autorité ecclésiastique. Le chanoine précise qu’il existe, outre les sacrements, des personnes ayant de tels dons de guérison authentifiés et des cérémonies spéciales vers lesquelles les fidèles peuvent se diriger avec confiance. Il mentionne en particulier les sécances de prière menées par le prêtre valaisan Olivier Bagnoud.
Pour q’un charisme soit authentifié, il existe toute une série de critères de discernement. Il faut, en règle générale, que les activités soient réalisées pour le bien de l’Eglise, de la foi et de l’âme de la personne. Dans cette perspective, toute forme de lucrativité est à bannir. «Car tout charisme est un don de Dieu, et en tant que tel, il est gratuit», rappelle le curé de Versoix. Il relève que les fidèles, pour y voir plus clair, peuvent se référer à divers textes, notamment les écrits du Père Joseph Verlindes, ou encore des documents officiels du Saint-Siège tels que Charisme et institution ou Jésus, porteur d’eau vive.
«En règle général, l’Eglise est contre les ‘raccourcis’, insiste Alain Chardonnens. Elle préfère que la personne réalise une démarche de guérison peut-être moins immédiate et moins efficace, mais plus profonde et plus pertinente pour le salut de son âme». (cath.ch/rz)
Par Christine Mo Costabella
Peut-on être chrétien et faire le secret? Pas pour la Jurassienne Jacqueline Frésard-Munsch, qui l’a pratiqué pendant plus de 20 ans.
Quand elle arrive, jeune femme, pour travailler en Suisse dans les années 1960, Jacqueline Frésard-Munsch ne connaît rien au secret. Cette Alsacienne travaille alors dans une usine de montres du Jura. Un jour, elle se foule la cheville; à l’usine, on l’envoie «faire le secret». C’est son premier contact avec un guérisseur. Trois heures plus tard, elle n’a plus rien.
Peu de temps après, sa fille se brûle la main sur une plaque électrique. Jacqueline téléphone à une dame qui «coupe le feu». Cela fonctionne alors que sa fille n’est pas au courant de sa démarche. Enfin, un monsieur décide de lui donner son secret pour guérir l’arthrose, car il n’a pas de descendants à qui le transmettre.
Elle invoquait Judas
Jacqueline s’en servira des années de toute bonne foi et sans se faire payer. Elle reçoit aussi le secret contre les brûlures. Mais à Pâques 1989, elle qui cherchait Dieu à tâtons depuis des années vit une conversion dans le cadre du protestantisme évangélique. Elle sent le besoin de brûler tous ses livres ésotériques et d’abandonner le secret.
«Satan, guéris son corps et prends son âme»
«Je ne vous dirai pas ma formule, car je l’ai déposée au pied de la croix», dit-elle dans le CD témoignage J’étais guérisseuse par le secret (RDF Editions). «Mais elle commençait par: ›Feu de l’enfer…’, puis invoquait Judas.» Elle faisait aussi appel à un ange et à un saint.
Elle cite une autre formule trouvée dans une amulette guérisseuse qui ne devait pas être ouverte «parce que ça porte malheur»: «Satan, guéris son corps et prends son âme».
Présences froides
Selon Jacqueline Frésard-Munsch, le secret instaure un lien de dépendance envers le guérisseur, car le mal revient régulièrement. Elle-même faisait le secret contre le feu à un neveu cuisinier qui se brûlait très souvent: le jour où elle a refusé de dire la formule pour lui, il a cessé de se brûler, affirme-t-elle.
La Jurassienne d’adoption assure que les guérisseurs paient eux-mêmes un lourd tribu à leur don (déprime, suicides dans la famille,…). Quand elle pratiquait le secret, Jacqueline se réveillait souvent en sentant des présences «froides et noires» dans sa chambre à coucher.
Pour elle, une «bonne» prière de guérison est toujours faite au nom de Jésus et ouvertement, sans rien cacher. (cath.ch/cmc)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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