Dans cette longue exhortation – 163 pages, 299 paragraphes – le pape François se livre à une mission multiple. Il s’adresse ainsi directement aux jeunes mais aussi à l’ensemble des croyants, tout en revenant sur le contexte des nouvelles générations et les principaux éléments mis en avant par l’assemblée synodale réunie en octobre dernier. Dans son texte, il puise souvent dans ses précédentes allocutions aux jeunes, notamment celles lors des JMJ et dans le Document final du synode. Il n’hésite pas non plus à reprendre un certain nombre de ‘formules-chocs’.
Pour cela, le pape s’attache tout d’abord à montrer que la jeunesse est un âge de la vie dans laquelle s’est inscrite l’histoire du salut. Tant l’Ancien Testament que le Nouveau et l’histoire des saints offrent plusieurs figures de jeunes comme acteurs clefs de l’alliance entre Dieu et les hommes. Pour le Christ Lui-même, «l’éternel jeune» (n.13) l’âge n’établissait pas de privilèges (n.14).
«Il ne faut pas penser que Jésus était un adolescent solitaire ou un jeune enfermé sur Lui-même.
Dans le second chapitre de son exhortation, le pontife revient d’ailleurs sur la jeunesse du Christ, vécue comme une «précieuse préparation» (n.23) à sa mission. «Il ne faut pas penser que Jésus était un adolescent solitaire ou un jeune enfermé sur Lui-même. (…) Il était un jeune homme ordinaire de son peuple.» (n.28). Si le pape s’attarde sur ce point, c’est pour assurer aux jeunes que «Jésus [les] éclaire (…) dans [leur] jeunesse même» (n.31).
Imiter sans copier
Cette parole, François ne l’adresse pas qu’aux jeunes, mais à tous les croyants. «Le cœur de chaque jeune doit être considéré comme une terre sacrée», demande-t-il ainsi (n.67). Avant de s’enthousiasmer quelques pages plus loin: la jeunesse «est une bénédiction pour l’Eglise et le monde» (n.131). Par exemple, ce sont précisément les jeunes qui peuvent aider l’Eglise à ne pas tomber dans la corruption, à ne pas s’installer, à ne pas s’enorgueillir (n.37).
Si le pape accorde cette confiance aux jeunes, ce n’est certainement pas par ›jeunisme’ – une attitude dénoncée dans le document comme étant un vol de la jeunesse par les plus âgés. C’est plutôt pour leur affirmer qu’eux aussi ont une mission dans l’Eglise. Et – comme pour les autres croyants – celle-ci doit mener à la sainteté. Il faut donc se mettre à l’école des saints pour les imiter sans les copier. «Arriver à être saint, c’est arriver à être pleinement toi-même», s’engage-t-il dans une formule qui devrait plaire aux jeunes (n.162). «Ne laissez pas les autres êtres protagonistes du changement!» (n.174).
«Le cœur de chaque jeune doit être considéré comme une terre sacrée»,
Cette mission c’est celle de la vocation – de personne mariée, consacrée ou célibataire. La vocation c’est «reconnaître pour quoi je suis fait, le pourquoi d’un passage sur cette terre» (n.256). Christus vivit a donc un double objectif. Tout d’abord, assurer les jeunes qu’ils seront accompagnés dans leur discernement et dans leur vocation. Mais aussi exhorter la communauté catholique toute entière à faire le même pari que lui sur les jeunes pour en «tirer le meilleur (…) pour la gloire de Dieu et le bien des autres» (n.257). Ainsi, «la réflexion sur les jeunes et pour les jeunes nous interpelle et nous stimule tous» (n.3).
Le pape François veille à prendre les jeunes au sérieux et pour les attirer ne leur présente pas une version édulcorée de la vocation. «Notre vie sur la terre atteint sa plénitude quand elle se transforme en offrande», n’hésite-t-il pas à proclamer (n.254). C’est un chemin difficile qui demande de «persévérer» (n.142). En même temps, promet-il, ce que je peux te dire avec certitude, c’est que tu peux te jeter avec confiance dans les bras de ton Père divin (n.113). «Vous avez été rachetés par le sang précieux du Christ!», lance-t-il (n.122). «Même si tous s’en vont, Lui sera là» (n.125). Ainsi, s’engage-t-il, si le jeune suit sa vocation – aussi ardu le chemin soit-il – c ’est assurément ce qui le comblera (n.276).
«La rupture entre générations n’a jamais aidé le monde»
Afin de favoriser ce chemin et cet accompagnement, le pape donne un certain nombre de pistes, notamment en promouvant une pastorale des jeunes synodale (n.208). Il les invite ainsi à être eux-mêmes acteurs d’une pastorale populaire (n.230) et à susciter les occasions d’évangélisation comme les pèlerinages (n.238). De même, il n’hésite pas à étudier avec les jeunes leurs contextes de vie, reconnaissant leurs qualités tout en mettant en garde contre leurs défauts. Un très long passage est par exemple consacré au monde numérique (n.86 à 90).
Le pape ne se prive pas non plus de donner des conseils aux jeunes, en particulier celui de construire un avenir avec des racines (n.179). Il consacre d’ailleurs tout un chapitre – le 6e – à ce thème qui lui est cher. «La rupture entre générations n’a jamais aidé le monde et ne l’aidera jamais. (…) C’est le mensonge qui te fait croire que seul ce qui est nouveau est bon et beau» (n.191). Pour cela, il reprend son conseil habituel d’écouter les «longues histoires (…) d’une riche expérience» des personnes âgés. Même si elles sont parfois un peu mythiques, fantaisistes, glisse-t-il (n.195). Le pape se fait même espiègle: «cela ne signifie pas que tu doives être d’accord avec tout ce qu’ils disent» (n.190).
S’il donne des conseils, le pape François ne donne qu’à une seule occasion une marche à suivre claire et bien définie. «Je demande en particulier aux jeunes de ne pas se laisser enrôler dans les réseaux de ceux qui veulent les opposer à d’autres jeunes qui arrivent dans leurs pays, en les présentant comme des êtres dangereux et comme s’ils n’étaient pas dotés de la même dignité inaliénable propre à chaque être humain.» (n.94) Un paragraphe qui est une véritable exhortation à lui tout seul.
Le kérygme avant la doctrine
Quant à l’ensemble de la communauté des croyants, elle aussi destinataire de ce document magistériel, elle doit comprendre qu’il faut «s’approcher des jeunes avec la grammaire de l’amour, non par le prosélytisme» (n.212). Ainsi plutôt qu’une obsession de transmettre une accumulation de contenus doctrinaux (n.212), elle doit parer sur la joyeuse expérience de rencontre avec le Seigneur (n.214). Ce qui ne signifie pas pour autant que la doctrine ne soit pas nécessaire (n.213). »L’important est d’éviter une pastorale des jeunes aseptisée, pure, marquée par des idées abstraites, éloignée du monde» (n.232).
’Il faut «s’approcher des jeunes avec la grammaire de l’amour, non par le prosélytisme»
Alors que les adultes courent le risque de dresser une liste de calamités, de défauts de la jeunesse actuelle, le pape argentin veut au contraire rassurer. «Il n’est pas nécessaire de déployer de nombreux efforts pour que les jeunes soient missionnaires», s’engage-t-il (n.239), ils sont capables de créer de nouvelles formes de mission (n.241). Pour cela, nous avons besoin d’offrir aux jeunes leurs propres lieux (n.218). Quant aux paroisses, elles doivent offrir des chemins d’amour gratuit et de promotion (n.216)
L’Eglise, ce «merveilleux polyèdre»
Pour le pape François, si les jeunes acceptent de se laisser accompagner et si les croyants acceptent de leur faire confiance, l’Eglise formera ce «merveilleux polyèdre que doit être l’Eglise de Jésus Christ» (n.207). Alors, promet-il en s’adressant aux jeunes, «tu ne priveras pas le monde de cette contribution que toi seul peux lui apporter, en étant unique et hors pair comme tu es» (n.109).
Parmi les contributions possibles des jeunes sur lesquelles le chef de l’Eglise catholique s’attarde le plus, il y a celle à la lutte contre les abus. «Quand vous voyez un prêtre en danger, leur demande le successeur de Pierre, (…) ayez le courage de lui rappeler son engagement envers Dieu et avec son peuple (…) Ainsi, vous offrirez une aide inestimable» (n.100). Quoi qu’il en soit, la révélation des péchés de membres de l’Eglise ne doit pas être un motif pour la quitter. «On n’abandonne pas une Mère lorsqu’elle est blessée» (n.101), assène le pape.
«L’Eglise a besoin de votre élan, de vos intuitions, de votre foi»
En somme, le pape François invite avec force les jeunes à ne pas regarder la vie depuis un balcon ou depuis un divan ou encore derrière un écran. «Fuyez la déesse lamentation», insiste-t-il (n.141), «ne soyez pas des voitures stationnées!». «Repoussez dehors les craintes qui vous paralysent pour ne pas être changés en jeunes momifiés. Vivez!» (n.143). Et le pape de conclure: «Je serai heureux en vous voyant courir plus vite qu’en vous voyant lents et peureux. (…) L’Eglise a besoin de votre élan, de vos intuitions, de votre foi» (n.299). (cath.ch/imedia/bh)
Bernard Hallet
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