Le vaticaniste s’exprimait en marge d’une conférence à l’Université de Lucerne, le 20 mars 2019.
Votre livre «François parmi les loups» a été publié en 2014. Le pape François a-t-il entre-temps apprivoisé les loups?
Marco Politi: Pas du tout! Le titre se réfère à la légende de François d’Assise, dans laquelle un loup donnait fidèlement la patte au saint. Dans la Curie, c’est l’inverse: l’opposition aux réformes de François est très forte. Il y a un processus en cours de délégitimation du pape.
Vous utilisez des termes forts…
Certes. Cela a déjà commencé avec une série de livres traitant du Synode sur la famille. Puis il y a eu les quatre cardinaux qui ont critiqué le pape sur le plan théologique. Et dans un manifeste, des passages de l’exhortation Amoris laetitia ont été qualifiées d’hérétiques.
«François ne vient pas d’un milieu à prédominance catholique»
Aviez-vous déjà vécu une telle démarche au Vatican?
Si agressive, non. Andrea Riccardi, un historien de l’Eglise italien, a dit qu’au cours des 100 dernières années, il n’y avait jamais eu une si grande opposition à un pape. Et cela de la part des évêques, du clergé et des fidèles.
Comment expliquez-vous cela?
Le pape François veut un changement radical. Il ne comprend plus l’Église comme une monarchie, mais comme une communauté. L’Église ne doit, selon lui, plus être aussi dogmatique. Elle doit être un lieu où les fidèles rendent témoignage à la charité.
Il y a aussi des sujets sur lesquels le pape François s’exprime de façon catégorique. Ainsi, il n’entre pas en discussion sur le sacerdoce des femmes.
C’est vrai. Mais il est le premier pape à parler d’un diaconat des femmes. Une commission a rédigé un document sur le sujet, mais il n’a pas encore été publié. On voit ainsi à quel point François doit veiller à ne pas créer trop de divisions au sein de l’Église.
N’ose-t-il simplement pas mettre ce genre de choses sur la table ?
Il est certainement devenu plus prudent.
Dans votre livre, vous faites référence à l’origine du pape : l’Amérique du Sud et la métropole de Buenos Aires, où François était archevêque. Cela explique-t-il les différences d’attitude au Vatican?
En Amérique du Sud, comme en Europe, il y a des évêques archi-conservateurs, des évêques très prudents et des évêques socialement engagés. Mais ce qui l’a certainement façonné, lui et son activité, ce sont ses expériences dans une métropole pluraliste. François ne vient pas d’un milieu à prédominance catholique comme la Bavière de Benoît XVI, la Pologne de Jean Paul II et l’Italie des papes précédents.
«Le pape n’est pas omnipotent et il se heurte à une grande résistance»
Quelle différence cela fait-il?
A Buenos Aires, il y a des juifs, des musulmans, des protestants, des francs-maçons, des pentecôtistes. Il a donc une bonne compréhension de la société pluraliste et sécularisée. Pour lui, un non-croyant n’est pas quelqu’un à qui il manque quelque chose. L’une de ses caractéristiques est le grand respect qu’il a pour les personnes qui pensent différemment.
Le Synode sur l’Amazonie aura lieu en automne. Serait-il possible que suite à cela, des règles différentes s’appliquent dans l’Église catholique sur différents continents?
Une idée de base du pape François au début de son mandat était que tout ne devait pas être décidé à partir du centre. Il a également entamé un processus de décentralisation. Aujourd’hui, les prêtres et les évêques peuvent prendre des décisions autrefois prises à un degré supérieur dans la hiérarchie. Ce sont là des étapes vers la décentralisation.
Au Synode sur l’Amazonie, la question sera certainement soulevée, en raison de l’immense manque de prêtres, de nommer des prêtres non célibataires dans des endroits spécifiques. Le pape l’a suggéré, par exemple, pour des communautés particulières dans des régions reculées d’Amazonie.
Quelles en seraient les conséquences?
Ce serait un grand pas en avant! Car très vite, d’autres voix s’élèveraient pour exiger la même chose: En Amérique du Nord, certains pourraient dire que dans la «jungle» des grandes villes, il y a un manque tout aussi grand de prêtres.
Au sein de l’Église, il s’agirait de très grandes avancées. Mais elles semblent complètement noyées dans le débat actuel sur les abus sexuels.
L’Eglise est mise au défi par les abus, et le pape François a clairement indiqué dès le début la nécessité d’une tolérance zéro. En conséquence, plusieurs ecclésiastiques de haut rang ont été destitués. Mais la résistance silencieuse et le sabotage dans l’Eglise mondiale ont constamment fait obstacle à cette stratégie du pape.
«François est très solide et déterminé»
Comment cela se manifeste-t-il?
Un tribunal interne au Vatican traitant les cas d’abus aurait dû être créé. Mais il n’a jamais été mis en place. Des lignes directrices pour le contact avec les victimes d’abus ont été élaborées. Mais la plupart des Conférences épiscopales n’ont rien fait jusqu’à présent! Les Eglises locales craignent énormément qu’un trop grand nombre de cas ne soient révélés.
Le pape François a maintenant 82 ans. Que pouvons-nous encore attendre de lui?
François est très solide et déterminé. Mais voyez – en ce qui concerne par exemple les abus – ce qu’il advient de ses directives au niveau des Eglises locales. Si, dans l’année à venir, un système d’adaptation et de prévention est mis en place, comme dans l’espace germanophone ou anglo-saxon, alors on pourra dire: c’est un succès!
Si, cependant, cette affaire se prolonge et que de nouveaux scandales déchirent l’opinion publique, on pourra également constater que le pape n’est pas omnipotent et qu’il se heurte à une grande résistance.
Mais beaucoup placent énormément d’espoir dans ce pape. Que manque-t-il ?
On constate une différence par rapport à l’époque qui a suivi le Concile Vatican II. A ce moment-là, il y avait un besoin urgent de réformes dans le peuple de l’Eglise. Il y avait alors des évêques, des cardinaux, des théologiens, des groupes de travail et des associations de croyants fortement engagés. (cath.ch/kath/ms/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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