Pour le cardinal Reinhard Marx, président de la Conférence des évêques allemands, le but de l’Union européenne peut s’en tenir à la définition simple de Jean Monnet, un des ses pères fondateurs, c’est-à-dire contribuer à construire un monde meilleur. Aujourd’hui, cette attente peut se traduire par la sauvegarde de la maison commune. Cette défense n’est pas le privilège des chrétiens, mais c’est une de leurs tâches prioritaires. «Etre chrétien, c’est être politique!» L’Europe n’a pas à se défendre contre les autres, mais à œuvrer pour le bien commun de tous, avec comme horizon les générations futures.
Sa construction doit se poursuivre sur quatre axes. La paix reste le premier, non pas seulement dans son sens militaire, mais dans celui de la justice et du pardon, sans laisser de place au nationalisme. Le deuxième axe est celui de la liberté responsable. La démocratie ne doit pas reculer face aux populismes. «La majorité n’est pas le peuple.» La protection du climat et de la biodiversité doit être l’engagement suivant. Enfin, la révolution digitale ne saurait se faire au détriment des libertés personnelles. L’Europe peut et doit être une part de la solution à ces questions.
Evêques, représentants des diverses institutions d’Eglise actives dans le domaine social et dans la réflexion académique ont échangé leurs points de vue. Selon que l’on regarde de France, d’Allemagne ou de Suisse, la notion de bien commun européen, même si on peut la faire remonter à Aristote, est vue de manière assez divergente. Entre le monde latin et le monde germanique, les différences de culture politique ont été bien visibles. L’assemblée,assez largement bilingue, les a abordées sous l’angle de la richesse et de la diversité des couleurs.
Les interventions des représentants allemands ont mis surtout l’éclairage sur les aspects pragmatiques et les acquis de la construction européenne. Sur les questions de droit, d’État de droit et de procédure. Côté français, on s’interroge plus sur le sens et les perspectives de la construction européenne face aux défis de la mondialisation et dans le jeu international entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie, sur fond de Brexit.
Côté suisse, Mgr Felix Gmür, président de la Conférence des évêques, a rappelé que l’Europe ne se limite pas à l’Union européenne. La Suisse peut apporter sa conscience du respect des minorités.
De part et d’autre, on considère que la notion morale, sur laquelle l’Europe s’est construite après la Deuxième Guerre mondiale, n’est plus suffisante pour motiver les générations plus jeunes. L’Europe a besoin d’un souffle nouveau. La notion de bien commun en réponse au développement de la société numérique, au changement climatique et au renversement démographique devrait ouvrir de nouvelles pistes de réflexion et d’action. (cath.ch/mp)
La crise écologique est l’opportunité de réaliser le rêve d’un nouveau modèle économique et social, estime Elena Lasida. La professeure d’économie à l’Institut catholique de Paris, refuse la résignation ou le catastrophisme. Il ne s’agit pas seulement de trouver des solutions pour préserver le mode de vie actuel, ou réparer la planète, mais bien d’ouvrir un ‘imaginaire de vie bonne’.
S’exprimant à l’occasion du Dialogue sur le bien commun européen réuni, le 26 mars,2019, à Paris, Elena Lasida a souligné la nécessité de changer de paradigme comme le demande le pape François dans son encyclique Laudato si. Il ne suffit pas de modérer notre consommation trop gourmande des biens de la terre, il faut entrer dans de nouvelles logiques de fonctionnement et de comportement sur la voie d’une écologie intégrale. En 2016, dans son discours lors de la remise du Prix Charlemagne, le pape François plaçait le défi pour l’Europe dans trois termes: Intégrer – dialoguer – générer.
Pour Elena Lasida, ce changement repose sur trois principes simples. Le premier consiste à reconnaître que tout est lié. L’humain et la nature, l’individuel et le collectif, le matériel et le spirituel. Ou comme le dit le pape François, le cri des pauvres est le cri de la terre. Cela signifie passer de la logique de la spécialisation, avec son cortège d’experts en toutes les matières, à une logique de la symbiose qui pousse à penser d’abord à l’interdépendance des choses, à souligner la dimension relationnelle de la vie.
Le bien commun ou la vie bonne est alors conçu comme une relation plutôt que comme l’accès aux biens nécessaires. Il ne s’agit pas seulement de satisfaire des besoins, mais de développer la qualité de la relation à soi-même, à Dieu, aux autres et à l’environnement. Le bien commun devient alors communion. C’est la définition même de la sauvegarde de la maison commune, selon les termes du pape François, dans son encyclique Laudato si.
Le deuxième principe considère que tout est don. L’idée de la gratuité doit retrouver une place centrale, au cœur même du marché. Il faut repenser la réciprocité. Il s’agit certes de donner, mais aussi de recevoir pour construire une appartenance commune. La gratuité n’allant pas sans la gratitude.
«La liberté doit passer avant la propriété»
Appliqué au bien commun, ce principe fait passer la liberté avant la propriété. La sobriété n’est pas seulement de consommer moins, c’est aussi être plus libre par rapport aux biens. Elle ouvre le chemin de la co-responsabilité et de la co-gestion. Cette approche a aussi une incidence directe sur le dialogue. Un dialogue basé sur la gratuité permet de dépasser le compromis ou le contrat pour aller vers l’alliance. Concrètement l’économie sociale de marché devrait marcher sur cette voie.
Le troisième principe rappelle que tout est fragile, la terre et l’homme. Pour Elena Lasida, le but n’est pas de réparer la fragilité, mais de la saisir comme une opportunité pour un nouvel enfantement. Il faut sortir d’une posture sécuritaire pour accueillir ce que l’on ne connaît pas encore.
«Création plutôt que fabrication»
Le bien commun est un processus de création plutôt que de fabrication. Il faut passer de la logique de la maîtrise à la créativité. «La créativité, le génie, la capacité à se relever, et de sortir de ses propres limites caractérisent l’âme de l’Europe», soulignait le pape François lors de la réception du prix Charlemagne, en 2016. Très concrètement, Elena Lasida rappelle qu’il a fallu à l’Europe beaucoup d’audace pour introduire la libre circulation des personnes et la monnaie unique. Ces acquis étaient loin d’être une évidence au départ. (cath.ch/mp)
Maurice Page
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