Comme il était possible de s’y attendre, la décision du chef de l’Eglise catholique de refuser la démission du cardinal Barbarin a surpris beaucoup et déçu certains. Les porte-parole de l’association ›La parole libérée’, regroupant des victimes du Père Preynat, ont ainsi parlé d’une décision «choquante», d’un «faux pas de plus», de «l’erreur de trop».
En réalité, le pape François avait annoncé dès 2016 quelle serait sa position dans ›l’affaire Barbarin’: «on verra après la conclusion du procès», avait-il annoncé. Et en homme qui ne compte certainement pas se laisser imposer des décisions par la pression médiatique, le pontife s’est tenu à cette position.
Le cardinal et le parquet ayant fait appel, la décision de première instance est réduite à néant et le haut prélat présumé innocent. Le pape acceptera une éventuelle démission à la fin des procédures judiciaires et pas avant.
En maintenant le primat des Gaules – pour qui il a respect et amitié – à sa charge, le pape François a respecté stricto sensu la justice française et son fonctionnement. Mais son choix a probablement aussi dicté par le souci d’éviter de créer un précédent. Quoiqu’en disent certains, le cardinal Barbarin n’a semble-t-il pas cherché à dissimuler la vérité sur l’affaire Preynat.
Si lui-même n’a pas dénoncé le prêtre à la justice, il a encouragé les victimes à le faire. Son cas n’est donc pas celui de Mgr Philip Wilson, dont le pape avait accepté la démission de l’archevêché d’Adélaïde, en Australie, après sa condamnation pour non dénonciation d’abus sexuels pour une affaire remontant à 1976, alors que jeune prêtre, il aurait connaissance d’abus commis par un confrère. Il faut préciser aussi que Mgr Wilson a été acquitté en en seconde instance le 6 décembre 2018. Le juge avait notamment dénoncé une influence indue des médias sur l’affaire:»La forte présence des médias peut être perçue comme une pression pour qu’un tribunal parvienne à une conclusion qui semble conforme à l’orientation de l’opinion publique, plutôt qu’à la règle de droit qui exige qu’un tribunal rende une justice individuelle.»
Le cardinal Barbarin n’est pas non plus le cardinal Wuerl, qui avait dû démissionner de l’archevêché de Washington, aux Etats-Unis, après sa mise en cause pour sa gestion des cas d’abus.
Tant le cardinal Wuerl que Philipp Wilson ont été accusés pour leur gestion personnelle de cas d’abus. Le cardinal Barbarin a, lui, hérité d’une situation et des décisions de ses prédécesseurs. En première instance, la justice française lui a reproché de ne pas avoir dénoncé et non pas d’avoir dissimulé. Si la nuance est faible, elle n’en demeure pas moins importante.
Si le pape François avait accepté la démission de l’archevêque de Lyon, un poste prestigieux au sein de l’Eglise catholique, il aurait, de ce cas, fait jurisprudence. Il aurait alors été injustifiable de ne pas exiger la démission de tout évêque n’ayant pas dénoncé un prêtre accusé d’abus sexuels, même commis il y a plusieurs décennies. Cela aurait alors créé un grand risque pour nombre d’évêques ayant hérité, comme le cardinal Barbarin, des décisions de leurs prédécesseurs.
De même, dans certains pays les évêques hésitent à dénoncer de tels faits, car ils se méfient de la justice de leur pays et des réactions de la foule. Torture, lynchage ou encore justice expéditive sont des réalités dans de nombreux endroits du monde. Ou encore, quid des évêques qui n’ont pas rapporté à la justice des accusations qu’ils n’ont pas jugées crédibles ? Existent encore des cas où les évêques ne dénoncent pas, par respect envers les victimes qui ne veulent pas voir l’affaire être étalée sur la place publique. Les évêques suisses ont ainsi modifié récemment leur pratique en imposant une dénonciation même contre l’avis des victimes.
Accepter la démission du cardinal Barbarin comme conséquence immédiate et directe d’un jugement en première instance aurait entraîné un risque trop grand. Si le pontife avait accepté la démission du haut prélat français, il aurait couru le risque de devoir accepter la démission de tout évêque accusé par le tribunal médiatique. Ainsi, si le pape François veut lutter contre les abus sexuels et ceux qui étouffent de tels scandales, il n’est pas pour autant prêt à sacrifier l’indépendance du successeur de Pierre dans la nomination des évêques. (cath.ch/imedia/xln/be)
Jacques Berset
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