Maurice Page
«Le publiciste catholique saura se garder tout autant d’un servilisme muet que d’une critique sans contrôle. Il aidera avec une ferme clarté, à la formation d’une opinion catholique dans l’Eglise». Cette injonction du pape Pie XII remonte à 1950. Le monde était alors en pleine guerre froide. Mais près de 70 ans plus tard, ces propos me semblent avoir une résonance encore très actuelle, face à la crise des abus sexuels que l’Eglise traverse aujourd’hui. Pour nous, journalistes catholiques, traiter de cette crise est une question délicate. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion sérieuse sur notre pratique professionnelle.
Pie XII dénonce d’abord un servilisme muet. C’est celui qui préférerait éviter les scandales ou qui donnerait dans une posture victimaire. Ou alors qui insisterait pour dire que «L’Eglise n’est pas la seule concernée par ce genre de choses». «C’est la consolation des damnés !» nous rétorquait sévèrement un de mes profs de collège.
«Accusé de vouloir faire du mal à l’Eglise»
Publier sur le sujet peut aussi éveiller le reproche de ne pas être vraiment catholique, de vouloir faire du mal à l’Église. Cela peut devenir culpabilisant. De son côté, l’institution, les responsables nous disent parfois: «Nous savons mieux que vous. Laissez-nous faire.». La tentation de laisser tomber peut donc être bien réelle.
A l’inverse, Pie XII rejette une critique sans contrôle. C’est le cas lorsque nous cherchons davantage la sensation que la vérité, parfois même notre petite gloire personnelle. Traiter ces affaires comme des faits-divers, laisser toute la place à l’émotion et à la colère (légitimes) des victimes, mettre tous les prêtres dans le même panier, prétendre que l’Eglise n’a rien fait, tolérer des affirmations fausses, sans prendre le temps du contrôle et de l’analyse n’honore pas notre profession.
Sans ce questionnement sur notre attitude, nous risquons de mettre trop de soi-même. De devenir des justiciers. Or ce n’est pas notre rôle de journalistes. Nous devons éviter de confondre justice et vengeance.
«Nous avons recueilli le témoignage de victimes. Nous en avons été bouleversés, voire sidérés»
Ce qui nous aide à garder le cap, c’est la conviction que non, nous ne faisons pas de mal à l’Église en l’aidant à faire la vérité. Nous ne le faisons ni par cynisme, ni pour régler des comptes, mais pour répondre à l’appel du Christ: «La vérité vous rendra libres». (Jean 8, 31)
Le conseil suivant du pape Pie XII vise à ‘aider avec une ferme clarté à la formation d’une opinion catholique dans l’Eglise’. Plusieurs d’entre nous ont recueilli le témoignage de victimes. Nous en avons été bouleversés, voire sidérés. Mais la ›ferme clarté’ exige de nous de faire un pas de retrait ou de côté.
Face à la tentative de comprendre la réalité de façon plus complète, certains viennent à penser et à dire que l’on trahit les victimes, que l’on manque de compassion, que l’on excuse l’inexcusable. Mais sans juste compréhension du phénomène, comment parler de réparation et peut-être de pardon? Nous devons expliquer, non pas pour justifier, mais pour faire comprendre. Cela implique entre autres de donner la parole aux diverses parties, y compris les coupables ou les complices, en usant de tact et de mesure.
«Restituer les faits dans leur contexte, dans le temps et dans l’espace»
Nous devons en outre restituer les faits dans leur contexte, en particulier dans le temps, dans l’espace et dans leur proportion. Il ne s’agit en aucun cas de relativiser, chaque abus est un abus de trop, mais il faut éviter les généralités et la culpabilisation collective. L’immense majorité des prêtres ne sont pas des pédophiles ou des abuseurs. Tous les évêques ne sont pas coupables de dissimulation.
Pas plus que de nous sentir coupables de ›faire du mal à l’Eglise’, nous ne devons nous culpabiliser d’appartenir à une Eglise que le péché de certains de ses membres a profondément blessée.
«Cette tâche délicate suppose, chez les membres de la presse catholique, la compétence, une culture générale surtout philosophique et théologique, les dons du style, le tact psychologique. Mais ce qui leur est indispensable au premier chef, c’est le caractère», concluait Pie XII.
Maurice Page, 22 mars 2019
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