Les projecteurs sont braqués sur les responsables d’Eglise. Evêques, supérieurs de communauté ou experts en tous genres sont les premiers à être sollicités sur les scandales qui secouent l’Eglise sans interruption depuis plusieurs mois. Mais qu’en disent les baptisés, ceux-là même qui constituent l’Eglise? Ces hommes et ces femmes qui vont à la messe le dimanche ou s’engagent dans leur paroisse. Quel impact ces révélations ont-elles sur la foi, leur attachement à l’Eglise? Et que reste-il de leur espérance? Grâce à l’entremise du Père Bernard Sonney, curé de Vevey, nous avons pu solliciter leurs témoignages.
L’ambiance est lourde, à mesure que l’on s’installe autour des plusieurs tables disposées en losange, dans la salle paroissiale qui fait face à l’église Notre-Dame. Le besoin de parler, évident. Durant une heure, ce mercredi 13 mars 2019, la parole circule, tour à tour courroucée, amère, paisible voire confiante. Libératrice.
«Je ne peux plus dire ‘Je crois en l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique’, sans mentir», commence Rémy*. Son épouse pose sa main sur la sienne, en train de trembler. Il s’interrompt. Reprend son souffle. Puis, plus calmement: «Je n’arrive plus non plus à dire ‘Pardonne-leur, comme nous pardons aussi à ceux qui nous ont offensés’. Dans cette Eglise, on glisse sous le tapis tout ce qui fâche, à commencer par la souffrance des enfants qui ont été abusés».
Il faut aussi encourager les prêtres!
«Je suis choquée, reprend Monique, perturbée depuis que j’ai vu ce reportage de Temps Présent sur les religieuses abusées par des prêtres [Esclaves sexuelles de l’Eglise, diffusé le 28 février 2019, ndlr]. J’ai 62 ans, je viens du Val d’Anniviers où, petite, tout était ‘péché’. Ma tante est religieuse. Elle a fait plusieurs graves dépressions. J’en viens à me demander ce qu’elle a subi. Toutes ces histoires sont d’une tristesse…»
«J’ai longtemps vécu dans le Gros-de-Vaud, enchaîne Solange. Un prêtre menait une double vie. Un cas connu de tous. Cette histoire a mis ma foi à rude épreuve. J’en suis venue à distinguer vie spirituelle et Eglise. Je crois en Dieu, mais j’ai un problème avec l’Eglise», confie-t-elle.
«J’ai 81 ans et on m’a toujours appris à laver le linge sale en famille», reprend Francesca, gênée par le traitement que font les médias de toutes ces affaires. «Il faut suivre le Christ et prier. A la Mission italienne, nous prions pour les enfants qui souffrent et pour les personnes qui ont abusé d’eux. Mais il faut aussi encourager les prêtres pour qu’ils aient la force de traverser tout cela», insiste-t-elle.
Anne-Sophie s’engage bénévolement dans la paroisse. A mesure que les révélations s’enchaînent, son entourage lui demande comment elle fait pour maintenir ses engagements. Elle n’est visiblement pas la seule à être confrontée à l’incompréhension de ses proches. «Mon activité professionnelle m’amène à rencontrer des enfants maltraités. Je sais que la majorité des abus ont lieu dans les familles. Faut-il remettre en question la famille en tant que telle pour autant? Il en va de même pour l’Eglise», suggère-t-elle.
«Je viens d’une paroisse où mon curé est devenu évêque, confie à son tour Daniel, avec un léger accent suisse allemand. Puis papa. Il a quitté son ministère épiscopal».
«La parole doit circuler, elle libère.»
«Je lance un dogme, interrompt François: que les prêtres puissent se marier! Quand je dis cela à ma femme, elle me répond: ‘Regarde ce qui se passe chez les protestants. Ils peuvent se marier et ça ne résout pas tous les problèmes d’abus». «L’ordination d’hommes mariés ne résoudra sans doute effectivement pas tout, reprend Anne-Sophie, mais quand on sait que 30% des prêtres ne vivent pas leur célibat, ça pose question. Ils vivent dans le mensonge, mènent une double-vie, et comptent sur une culture du secret encore bien présente dans l’Eglise…»
«Vous savez, un prêtre m’a donné le goût de la foi, poursuit-elle après un bref instant de silence. Il m’a donné envie de m’engager en Eglise. Un autre m’a mobbée durant trois ans. Rabaissant ce que je faisais, me traitant de ‘diviseuse’, le mot que la Bible utilise pour désigner Satan. J’ai dû me rendre à l’évidence: certains prêtres sont habités par l’Esprit Saint. D’autres pas du tout».
Les contre-témoignages des pasteurs agissent sur le lien à l’institution des fidèles. Atteint-il aussi leur foi? «Pas du tout, répond Claudine. A force de prier pour ces prêtres et ces victimes, ma foi en sort renforcée. Toutes ces histoires me font mal au ventre. J’en ai pleuré, mais il faut voir aussi les choses de manière positive: l’Eglise se nettoie». «La foi, c’est d’abord un don de Dieu, atteste Iris. Cette Eglise est malade, je comprends qu’on soit révolté, mais ce n’est pas en la quittant qu’on va résoudre les choses». Dans l’assemblée, tous acquiescent.
Et comment, précisément, résoudre les choses? Dans sa Lettre au peuple de Dieu [20.08.2018] à propos des abus sexuels dans l’Eglise, le pape sollicite l’avis des fidèles.
Revenir à l’Evangile et rendre l’Eglise moins pyramidale, explique en substance Joram. «Je suis catholique, originaire de Syrie, en Suisse depuis un peu plus de deux ans. Ma foi ne se base pas sur un évêque ou un cardinal, mais sur le Christ. Et en lui, nous sommes tous frères. Comme baptisé, il faut prendre la parole, dénoncer ce qui ne va pas et faire changer les choses».
Il faut que la parole continue son œuvre réparatrice, poursuit en ce sens Daniel. «Une réunion comme celle-ci aurait été impensable il y a quelques années. Nous sommes là, le prêtre de la paroisse a donné son accord, ses supérieurs sans doute aussi. C’est bien. Mais pourquoi l’initiative vient-elle d’un journaliste? Il faut qu’elle vienne des prêtres et des évêques. Que des groupes de discussions se mettent en place dans toutes les paroisses pour que nous puissions poser nos questions et faire entendre notre voix. La parole doit circuler, elle libère».
Le partage amorcé, la rencontre touche à sa fin, trop rapidement. Une chose est certaine, le besoin de parler est vif dans cette paroisse de Vevey. Comme un moyen de déposer un fardeau. Il constitue sans doute un premier pas qui en appelle d’autres.
Au milieu de bruits de chaises, Fabrice, silencieux jusqu’ici, lève la main et capte l’attention de la salle. «J’ai juste une dernière requête. Et si on pensait aussi à prier?» (cath.ch/pp)
*tous les prénoms sont fictifs
Pierre Pistoletti
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/vevey-comment-les-baptises-vivent-ils-la-crise-des-abus-sexuels/