On ne compte plus les cas d’abus sexuels commis sur des mineurs en Eglise à travers le monde. Récemment un documentaire diffusé sur la RTS a révélé que des religieuses étaient victimes d’abus sexuels, de viol et certaines d’entre elles contraintes d’avorter. Quelle a été votre réaction?
Sœur Marie-Paule: Je suis littéralement atterrée. A terre. J’ai eu des échos avant de visionner le reportage en question. On ne peut pas nier l’évidence. C’est un désastre sur le plan moral, humain et religieux. Quand je pense que Paul VI présentait l’Eglise comme «experte en humanité»… Il nous faut un peu d’humilité, vraiment!
La parole se libère mais il aura fallu beaucoup de temps.
L’affaire «Me too» s’étend à l’Eglise avec une dimension supplémentaire. En dénonçant les prêtres abuseurs, les religieuses et les victimes en général éprouvent l’impression de salir l’Eglise à laquelle elles veulent rester fidèles malgré tout. Un fait amplifié par les contraintes de devoir dénoncer et d’avoir honte d’admettre qu’elles se sont laissé abuser. Et de dire ce qui peut encore paraître impensable: qu’un prêtre puisse commettre de tels actes sans que la femme ne se rebelle.
«C’est un désastre sur le plan moral, humain et religieux»
Cela a-t-il été une surprise pour vous?
J’ai été surprise par l’ampleur du phénomène. J’ai entendu parler de pandémie. Aucun lieu n’est épargné. Nous assistons à une faillite monumentale de l’Eglise. Il faudra plusieurs générations pour que les paradigmes changent. En particulier, ce machisme très prégnant. Encore plus que dans la société civile. Avant d’entrer au monastère, j’ai fait des études d’ingénieur. Je me suis retrouvée dans un monde d’hommes. Depuis l’âge de 12 ans, j’ai étudié dans des classes scientifiques où nous étions une minorité de filles. J’en parle en connaissance de cause. J’ai expérimenté le côté machiste. Le machisme existe en Eglise mais aussi dans la société. Les gens en Eglise sont issus de cette société-là. L’Eglise fait partie de son temps.
Plus jeune que vos consœurs, vous avez connu une autre jeunesse avant de prononcer vos vœux…
Je me suis rendu compte que j’étais la seule du monastère à avoir vécu la mixité à l’école. Cela change le rapport à l’homme. La plupart des sœurs sont entrées à 18 ou 19 ans, dans les années 1950-1960, au monastère avec peu de formation. Mais la formation ne fait pas tout. On confond souvent la formation intellectuelle et la maturité affective. Cela demande du temps. Ce n’est pas parce qu’on est formée intellectuellement, qu’on est «adulte».
Pour la plupart des sœurs, l’homme était le père, Monsieur le curé, peut-être le président de commune: que des figures d’autorité. A l’école, elles n’ont jamais eu de garçons dans leur classe ou dans la cour de récréation. Cela change complètement le rapport à l’altérité. Il en va de même chez les hommes: cette génération n’a pas connu la mixité non plus. Ils ont connu l’école de garçons, le séminaire, pour certains l’armée, qui n’était pas mixte, et n’ont vécu que dans ce milieu-là. C’est leur définition du monde. Aujourd’hui, on vit dans une mixité bienfaisante qui, je l’espère, va changer le rapport à l’autre. Dans les communautés religieuses, en tout cas jusqu’au Concile Vatican II, même un peu au-delà, régnait un certain infantilisme.
C’est-à-dire?
Les religieuses passaient directement de la tutelle du pater familias à celle de la mère abbesse. Comment, dans ces conditions, se former son identité propre, sa manière d’évaluer les choses? Je pense que le vœu d’obéissance a été très mal compris. On le voit dans le reportage de la RTS. L’obéissance religieuse ne doit pas être une obéissance aveugle. En tant que religieuse, j’ai le droit de me faire un avis et de l’exprimer.
Je trouve qu’il est sain d’être rebelle pour un temps quand on entre dans l’institution. Je m’alarme quand je vois une personne qui se coule entièrement dans le moule sans émettre la moindre opinion. Cela traduit une forme de démission: «je fais ce qu’on me dit, je vais où on me dit d’aller sans la moindre objection, si sensée soit-elle».
Ces prédateurs sont très habiles à repérer ces personnes-là, susceptibles de se laisser subjuguer par la fonction et par des paroles. Quelqu’un qui aura une saine maturité ne se laissera pas manipuler.
«Le vœu d’obéissance a été très mal compris»
En évoquant les scandales sexuels, Mgr Ravel, archevêque de Strasbourg, parle d’un «cancer métastasé de l’Eglise«. Vous partagez cet avis?
Oui, ce «cancer métastasé» se situe au niveau du pouvoir. Tout part de là. Qu’on parle de pédophilie, d’agression sexuelle sur les religieuses, les mineurs, on se trouve chaque fois dans un abus de pouvoir. On retrouve un désir d’emprise sur l’autre. Le pape François a raison lorsqu’il dit de combattre à tout prix le cléricalisme, cette manière de poser le prêtre au-dessus de la mêlée. Il faut renverser ce paradigme.
A titre anecdotique mais symptomatique, je me souviens de la Journée de la vie consacrée (à Baar (ZG), le 24 juin 2015, ndlr), le cardinal Braz de Aviz, (préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, ndlr) a répondu à une religieuse sur la question de la position des femmes dans l’Eglise. En plaisantant, il avait tourné la question en dérision: «Pourquoi cherchez-vous du pouvoir?» Sa réponse n’était ni perverse, ni consciente. On a vu une attitude de supériorité masculine qui a le savoir, donc le pouvoir. En d’autres termes, lorsqu’un homme veut être prêtre et qu’il obtient une position importante, c’est un don de soi. Dans le cas d’une femme, on l’assimile à une prise de pouvoir. Cela induit des comportements naturels de supériorité. Les premières femmes théologiennes sont encore en vie aujourd’hui. Ce n’est donc pas si ancien.
Avec une telle crise, ne court-on pas le risque de la caricature et de voir certains qui se comportent bien, être emportés par le tsunami?
Exactement. On tombe dans un cliché déplorable: aujourd’hui on est prêtre donc on est suspect. C’est malheureux. Justice doit être rendue mais il ne faut pas lancer une chasse aux sorcières. Je connais beaucoup de prêtres et je peux témoigner que la grande majorité est irréprochable. J’ai entendu des gens dire qu’ils n’envoyaient pas leur enfant au catéchisme parce qu’ils ne voulaient pas «qu’ils se fasse abuser par un prêtre». C’est terrible.
«On est prêtre donc on est suspect. C’est malheureux.»
Cette crise sera-t-elle salutaire pour l’Eglise?
Toute crise n’est pas salutaire. Elle pose une question. Tout dépend de la manière dont on va y répondre. Qu’est-ce que je vais faire de ça? Est-ce que je quitte l’Eglise? Je me suis posé la question. Je n’ai plus envie de me réclamer de cette Eglise. Ce n’est pas l’Eglise de Jésus-Christ mais celle d’un certain pouvoir, d’une certaine conception du prêtre. Chaque fois que j’ai eu une période de crise dans ma vie religieuse, je me suis dit: «C’est pour Jésus que je suis là, pas pour autre chose». Au 16e siècle, l’Eglise a traversé une crise aussi grave que celle d’aujourd’hui. Les petites gens l’ont sauvée. Ils ont continué à prier malgré des prêtres incultes, autoritaires et qui avaient des mœurs dévoyées. Nous vivons la même situation aujourd’hui.
Quelles sont vos raisons d’espérer?
Un retour à l’Evangile, exempt de toute compromission. Une purification va faire tomber de son piédestal cette Eglise toujours prompte à donner des leçons. L’Eglise va repartir de la base: c’est-à-dire de l’Evangile et d’une vie de foi qui sera attentive aux autres. Autre motif d’espérer: on dispose d’une grande offre de formations en théologie et accessible à tous. Cela représente un grand nombre de personnes qui sont en dehors de la hiérarchie ecclésiale et très bien formées. On n’a pas attendu cette crise-là pour qu’elle se développe. J’y vois l’œuvre de l’Esprit-Saint. (cath.ch/bh)
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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