Dans le quartier proche de la gare de Neuchâtel, les petits immeubles modestes et colorés donnent au lieu un air d’Italie. C’est que plusieurs de ses habitants venaient et viennent encore effectivement d’au-delà des Alpes, et donnent au lieu une joie de vivre et une convivialité particulière.
Au rez-de-chaussée d’une maison beige, François Friche reçoit cath.ch dans «l’atelier des possibles». Une petite étiquette sur la porte qui contient tout un programme. La petite salle jonchée de jouets d’enfants fait en effet partie du futur «espace ouvert» que le jeune père de famille compte prochainement proposer aux habitants du quartier.
Ce projet est l’un de ceux nés de la question: «Qu’est-ce que je veux faire pour améliorer ma vie et celle des autres?» Une interrogation qui a taraudé François Friche il y a près de sept ans. La réponse de ce grand jeune homme à l’allure sportive a été de s’engager pleinement dans une vie qui lui semblait plus juste, pour lui-même, pour l’humanité et pour la planète.
Le maître-mot de ce choix est la simplicité. Avec sa femme Elisa et ses deux enfants, le Neuchâtelois de 34 ans a renoncé à suivre la voie de beaucoup consistant à accumuler des biens matériels. La famille a ainsi délaissé la voiture, la télévision et bien d’autres objets dont ils pouvaient se passer. Inimaginable pour nombre de ses contemporains, François n’a jamais eu de smartphone. Concernant l’alimentation, la famille a délaissé le supermarché, préférant se fournir en produits locaux et bio au marché le plus proche ou dans les petites épiceries.
Le couple tend vers un idéal où chacun travaille à 50%. Ils ont refusé de mettre leur carrière professionnelle au-dessus de leur famille et de leurs activités de volontariat. François travaille ainsi depuis trois ans en bénévole pour la revue Moins!, l’organe de presse du mouvement de décroissance en Suisse romande. En couple, ils sont également engagés au sein de la paroisse italienne de Neuchâtel.
L’attirance du père de famille pour la simplicité puise ses racines dans sa jeunesse. Elle vient en partie de sa foi chrétienne. François Friche est né dans une famille très croyante et pratiquante. Ses parents appliquent certains principes chrétiens de sobriété. Outre une certaine distance avec l’argent, le refus du gaspillage et la simplicité sont de mise dans la famille. Bien qu’il n’ait jamais voulu entrer dans les ordres, François a également toujours été fasciné par la vie monastique. En 2014, il a passé une année à l’Ecole biblique de Jérusalem, où il vivait dans une cellule des plus sommaires. «Là-bas, mes seuls biens étaient deux pulls et deux pantalons», s’amuse-t-il.
Sur cette Terre Sainte, il se fiance avec Elisa. De cette union naissent deux garçons, dont le dernier en février 2019. Les nouvelles responsabilités familiales ne dissuadent cependant pas François et son épouse de poursuivre dans leur démarche «décroissante», qu’ils entendent au contraire développer. Ils n’ont pour autant pas de «feuille de route», mais réfléchissent ensemble au cas par cas. Avec cette question paradoxale: «si on enlève ça, qu’est-ce que ça ajoute à notre vie?» Le dilemme s’est notamment posé avec la télévision. «Pouvions-nous nous passer de cet objet souvent central dans la vie quotidienne? Nous avons finalement constaté que son absence nous faisait gagner beaucoup de temps de qualité ensemble», souligne François.
Petit à petit, il a constaté que les renoncements n’en étaient pas vraiment. «Sans la voiture, nous avons retrouvé le contact avec les gens. Avec mon petit garçon de deux ans et demi, nous allons partout à pied, et nous faisons plein de rencontres incroyables. Il parle maintenant spontanément avec tout le monde, également les personnes âgées».
Car le concept de décroissance n’est pas du tout le contraire de la croissance, c’est bien plus la remise en question du «tout économique», commente le père de famille. Et elle implique aussi un retour au sens de la communauté, de la solidarité, des liens intergénérationnels. Un axe que les Friche tentent également de développer au niveau de leur quartier, avec «l’espace ouvert» qu’ils comptent créer dans l’appartement en dessous de chez eux, afin de favoriser l’esprit communautaire.
François Friche remarque que ces principes de décroissance reçoivent dans la société un accueil en demi-teinte. «Certains imaginent qu’il n’est pas possible de vivre ainsi et ont peur de se lancer. Beaucoup d’autres ne voient pas l’intérêt. Il est vrai qu’en Suisse, tout a l’air d’aller bien, et on commence à peine à percevoir la situation d’urgence dans laquelle se trouve l’humanité. Mais dès qu’on passe les frontières, on voit les choses différemment». Les Friche se rendent en effet régulièrement en Italie, d’où Elisa est originaire. Il y constate des dysfonctionnements sociaux et économiques en constante progression.
Dans le même temps, la décroissance trouve de plus en plus une résonnance dans la société. Plusieurs musées de Neuchâtel vont notamment présenter des manifestations sur ce thème. Et les médias s’intéressent de plus en plus à ce mouvement.
Des avancées qui encouragent le Neuchâtelois à croire que le changement est réellement possible. Il espère ainsi que son engagement dans Moins! est utile pour toucher un large public. «Car faire de la décroissance au niveau individuel c’est bien, mais rien ne sera efficace sans un engagement sur le plan collectif et global».
Une activité journalistique parfois compliquée par sa foi catholique qu’il assume pleinement. «Dans le milieu de la transition, il y a des sensibilités variées; certaines personnes tendent par exemple vers un anarchisme athée, et sont en tant que tels allergiques à la hiérarchie et à l’Eglise».
Dans cette double appartenance, il a accueilli avec enthousiasme l’encyclique écologique Laudato Si’ du pape François. «A sa lecture, j’ai eu l’impression que les deux mondes dans lesquels j’évolue, le chrétien et le décroissant se rejoignaient». L’ouvrage n’a cependant pas convaincu beaucoup de partisans de la transition, fourvoyés par les «étiquettes réactionnaires» apposées sur l’Eglise catholique.
Le chrétien décroissant regrette ainsi le manque de passerelles entre les deux mondes. Une situation dont il s’accommode cependant, lui qui aime fréquenter des personnes de milieux très différents. «J’ai des amis ultra-technologiques, certains croyants, de différentes traditions, d’autres non», confie-t-il. «Car l’un des piliers de la décroissance c’est aussi la diversité». (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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