Les papes et le rock: accords et désaccords

Le pape François a choisi d’illustrer son message de carême, publié fin février 2019, avec des paroles tirées de morceaux connus de rock. Retour sur une histoire d’harmonie et de fausses notes entre les pontifes et ce monde musical.

Pour le pape François, les groupes «Queen» et «Florence + The Machine» ont quelque peu déraillé en chantant «I want it all, and want it now!» (Je veux tout et tout de suite) et «Too much is never enough» (on n’en a jamais assez). Ces slogans ont servi de base au pontife argentin pour expliquer que ce genre de logique allait à l’encontre de l’esprit de carême et conduisait à «un style de vie qui viole les limites que notre condition humaine et la nature nous demandent de respecter».

L’Esprit souffle dans le vent

Des références inédites pour un pape? Pas tant que ça. Bien avant François, Jean Paul II s’était inspiré du répertoire rock. Lors d’un congrès eucharistique à Bologne, en 1997, le pape polonais avait assisté à un concert de Bob Dylan. Il avait ensuite repris les paroles d’une de ses chansons en réponse à un jeune qui lui demandait: «Combien de routes un homme doit arpenter avant que l’on puisse l’appeler un homme?» (‘How many roads must a man walk down before you can call him a man?’) (Bob Dylan/Blowin’in the Wind/1963). «La réponse, il est vrai, ‘souffle dans le vent’ (blowin’in the wind’)», avait répondu le saint, ajoutant: «mais pas dans le vent qui balaie tout dans le néant, dans le vent qui est le souffle de l’Esprit, la voix qui appelle et qui dit ‘viens'». L’incursion dans le monde de la musique contemporaine marquant le souci de Karol Wojtyla de se rapprocher des intérêts de la jeunesse n’allait pas forcément de soi à l’époque.

Pink Floyd sur l’I-POD de Benoît XVI

Ces propos de Jean Paul II avaient notamment mal résonné aux oreilles de son successeur, Joseph Ratzinger, à l’époque préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF). «J’ai des raisons de douter qu’il faille laisser ce genre de prophètes intervenir», a ainsi soutenu le futur Benoît XVI. Dans une interview de 1986, il avait qualifié le rock’n roll de «véhicule anti-religion». Le pontife émérite, lui-même grand amateur de musique classique et pianiste à ses heures, a-t-il pour autant voué cette musique aux gémonies? Face aux révélations faites en 2010 par l’Osservatore Romano, on peut en douter. Le quotidien du Vatican a publié une liste de 10 albums que le pontife allemand écoute régulièrement sur son I-POD. Des œuvres allant de Michael Jackson à Santana, en passant par Oasis, Pink Floyd, ou encore les Beatles.

Sympathie pour le diable

Ce dernier choix peut surprendre, étant donné les rapports conflictuels que les quatre garçons dans le vent ont entretenus avec l’Eglise catholique. Il est connu que certaines paroles de leurs chansons faisaient référence de façon moqueuse à la papauté. En 1966, John Lenon avait déclaré que lui et ses collègues étaient «plus populaires que Jésus-Christ». Perçue par certains milieux chrétiens comme blasphématoire, la déclaration avait même mené à des autodafés de disques au sud des Etats-Unis.

Dès les premiers sons de guitares électriques, le rock et le Vatican n’ont pas été sur la même longueur d’ondes. Peu de grands noms du rock ont été de réelles «groupies» du Saint-Siège. Outre les Beatles, les Rolling Stones, autre groupe mythique des années 1960, n’ont certainement pas aidé au rapprochement en écrivant «Sympathy for the Devil» (sympathie pour le diable).

Ballade irlandaise

Des sommets d’antipathie ont été atteints en 1992, lorsque la chanteuse Sinnead O’Connor a déchiré en direct à la télévision irlandaise une photo du pape Jean Paul II, appelant à «lutter contre le vrai ennemi». Un clivage particulièrement douloureux dans ce pays où la musique et le catholicisme sont deux «piliers» de la nation.

Bono, le chanteur du groupe «U2», représente ainsi le côté «papiste» du rock irlandais. Il avait notamment ses entrées auprès de Jean Paul II. Les deux hommes s’étaient rencontrés en septembre 1999 à Castel Gandolfo. Ils y avaient discuté de leur volonté commune d’annuler la dette des pays pauvres. Bono avait alors qualifié le pape polonais d’homme exceptionnel et avait prêté au pontife ses mythiques lunettes de soleil. Un vrai moment de complicité. Le rocker irlandais était revenu au Vatican en 2012 pour remercier l’Eglise d’avoir permis l’annulation de la dette des pays pauvres lors du Jubilé de l’an 2000.

Une même harmonie semble exister avec le pape François, qui a rencontré le chanteur au Vatican en septembre 2018. Le leader de «U2» a alors qualifié le pontife argentin «d’homme extraordinaire». The Edge, le guitariste du groupe irlandais, s’est en outre produit le 30 avril 2016 dans la chapelle Sixtine, devant les participants à un colloque international contre le cancer.

La chanteuse irlandaise Dolorès O’Riordan, décédée en janvier 2018, affichait également publiquement sa foi catholique. La figure de proue des «Cranberries» avait été invitée plusieurs fois au Vatican, où elle avait rencontré le pape Jean Paul II.

La «marraine du punk» à la messe de Noël

D’autres grands noms du rock ont fait preuve d’intérêt pour le trône de Pierre. Tout en gardant une certaine distance. C’est le cas de Sting, qui a rencontré le pape François en août 2018. Bien qu’ayant plusieurs fois fait part de son agnosticisme, la star britannique a assisté à la messe avant de se faire bénir, avec son épouse, par le pontife. L’ex-leader du groupe «Police» est connu pour être un amateur de chant en latin, notamment de grégorien.

Il est également intéressant de voir que le Vatican peut aussi être vu, dans une forme de renversement des pôles, comme un lieu de «rébellion». C’est dans cette optique que la chanteuse américaine Patti Smith, considérée comme la «marraine du punk» semble avoir vécu sa performance au concert de Noël du Vatican, en 2014. Une association catholique italienne avait protesté, qualifiant la manifestation de «blasphématoire». Le concert avait également énervé les propres fans de la chanteuse. «Je ne suis pas contre Jésus, mais j’avais 20 ans, s’était-elle justifiée. Je voulais faire mes propres erreurs et je ne voulais pas que quelqu’un soit mort pour moi. Je reste attachée à cette fille de 20 ans, mais j’ai évolué». Après avoir personnellement rencontré le pape François en 2013, l’artiste américaine l’avait qualifié de personne «très intéressante» et assuré qu’elle l’aimait beaucoup.

Le rock sur lequel construire l’Eglise?

La ballade romantique entre le rock et les pontifes est donc parsemée de beaucoup de bémols. En général, les deux mondes, parfois reliés par de fragiles ponts, tendent au mieux à s’ignorer, au pire à se reconnaître comme ennemis. «Le rock’n roll a toujours été l’incarnation du rejet de la tradition et de l’autorité, deux valeurs pour lesquelles les papes font généralement figures des principaux représentants dans le monde», souligne le journaliste John Allen sur le site catholique américain Crux, à propos des références musicales prises par le pape François dans son message de carême. Et les nombreux groupes de rock chrétien qui ont fleuri depuis les années 1990 restent, musicalement parlant, une réalité marginale, qui ne parviendra sans doute pas à réunir les deux univers.

La musique rock regorge pourtant de belles et profondes paroles. On peut espérer que dans un prochain message de carême, le pape se serve dans l’immense partie positive de ce répertoire pour inspirer la jeunesse à l’espérance chrétienne et lancer un filin vers l’autre berge. (cath.ch/crux/ag/rz)

 

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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