Deux mois après l’intronisation de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil, plusieurs pastorales brésiliennes liées au monde rural ont publié, le 27 février 2019, une déclaration publique estimant «néfaste» l’action de son gouvernement, principalement pour les peuples indigènes, les eaux et les forêts.
Alors que la cote de popularité du gouvernement Bolsonaro a chuté de 65% à 39% en deux mois, selon une étude de l’Institut de sondage MDA, plusieurs pastorales du monde rural ont appelé «les mouvements et organisations des villes et des campagnes, les Eglises et la société civile dans son ensemble à combattre sans crainte l’alliance formée entre une caste politique nationale colonisée et militarisée et les intérêts du capital financier-agro-minier global».
La Commission Pastorale de la Terre (CPT), le Conseil Indigéniste Missionnaire (Cimi), le Conseil Pastoral des Pêcheurs (CPP), la Pastorale de la Jeunesse Rurale (PJR) et le Service Pastoral des Migrants (SPM) figurent notamment parmi les signataires.
«L’année 2019, comme nous le craignions, a commencé sous le signe de la tragédie, peut-on lire dans l’introduction du communiqué. Le 5 janvier, un travailleur rural a été assassiné et neuf autres ont été blessés, dont trois gravement, lors d’une attaque menée par une trentaine d’hommes armés, travaillant pour une entreprise de sécurité privée dans une exploitation à Colniza, dans l’État du Mato Grosso du Sud».
Deux cents familles de paysans sans terre se sont installées sur cette terre appartenant à l’État brésilien, et occupée jusqu’à lors illégalement par des politiciens locaux. Certaines de ses familles ont même officiellement obtenu le droit de vivre et travailler sur place. Deux ans plus tôt, un massacre avait déjà eu lieu dans cette même commune connue pour ces richesses en essences de bois précieux et en minerai. Bilan? Neuf paysans tués.
Les signataires du communiqué s’appuient sur ce premier fait divers de l’année 2019 pour rappeler que si «la violence est un marqueur de la structure agraire du pays, Il existe des signaux particulièrement inquiétants que 2019, va perpétuer et amplifier ce processus historique de violence et d’injustice.
Les responsables des pastorales soulignent également que les invasions illégales de terres indigènes se sont intensifiées depuis janvier 2019. «Cela indique le lancement d’une nouvelle phase de pressions sur ces terres au Brésil. À travers des discours plein de préjugés et d’initiatives administratives comme l’attribution des démarcations des terres indigènes au Ministère de l’Agriculture (ndlr proche de l’agrobusiness), le gouvernement agresse frontalement la Constitution brésilienne et les droits qu’elle confère aux peuples indigènes»
Le communiqué évoque également la tragédie du barrage minier de Brumadinho qui a rompu le 25 janvier dernier, faisant 186 morts et 122 disparus. «Une nouvelle fois, après la rupture du barrage de Mariana, le 5 novembre 2015, qui avait fait 19 morts, sans compter les énormes conséquences environnementales, l’entreprise privée «Vale» a de nouveau commis un crime qui, au-delà du coût en vies humaines, aura des conséquences environnementales terribles, y compris pour le fleuve Sao Francisco (ndlr le 5e cours d’eau le plus important du pays)».
Dans ce contexte, les organisations signataires estiment que «la flexibilisation en cours de la politique environnementale brésilienne est extrêmement grave. La dévitalisation progressive des organismes responsables vont avoir pour conséquences de ne plus pouvoir garantir avec la rigueur nécessaire les conditions de délivrance d’autorisation d’exploitation».
Le communiqué fustige d’ailleurs les premières décisions prises par le président Jair Bolsonaro, et ses ministres ainsi que celles prises par le Congrès National. «Elles constituent une menace de temps plus sombres pour les communautés rurales, traditionnelles, indigènes, quilombolas (ndlr descendants des esclaves), migrantes, qui sont autant de cibles de l’expansion illimitée des grandes entreprises».
Le Communiqué évoque également «l’Église catholique menacée lorsqu’elle se place aux côtés des plus démunis, victimes de ces dérives cruelles». C’est le cas notamment de la Commission Pastorale de la Terre (CPT) et du Conseil Indigéniste Missionnaire (Cimi) qui, avec la CNBB, constituent «la partie pourrie de l’Église catholique», selon les déclarations de campagnes de Jair Bolsonaro.
Une Église qui inquiète d’ailleurs de plus en plus le pouvoir en place dans la perspective du synode sur l’Amazonie qui se tiendra du 6 au 27 octobre au Vatican. Le communiqué rappelle d’ailleurs que «le processus d’écoute des communautés ecclésiales de base dans les diocèses de la région amazonienne fait l’objet de vives inquiétudes au sein du pouvoir exécutif».
Autant de défis qui ont poussé les signataires du communiqué à estimer, en conclusion, qu’»il est urgent de persister et de réinventer des formes plus efficaces de lutte pour la vie, tissées dans l’espoir invincible des peuples, garantissant des espaces réels de dialogue et de construction communes d’alternatives». (cath.ch/jcg/mp)
Maurice Page
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