Moines de Thibhirine: Heureux ceux qui espèrent

Trois mois après la béatification des martyrs d’Algérie, le 8 décembre 2018 à Oran, un nouvel ouvrage éclaire la vie des sept moines de Tibhirine exécutés en 1996. Avec ces «autobiographies spirituelles», Marie-Dominique Minassian n’écrit pas sur les trappistes, elle les fait parler à travers leurs lettres, leurs journaux spirituels, leur homélies, leur médiations ou leurs circulaires.

«Ce livre célèbre des vies qui n’en finissent pas de nous parler. C’est un ouvrage gros de lourd (760 pages !) de sept itinéraires rassemblés», a expliqué Marie-Dominique Minassian lors de la présentation de l’ouvrage le 21 février 2019 à l’Université de Fribourg. Elle qui se penche depuis 20 ans sur le témoignage des frères de Tibhirine estime qu’il recèle un véritable trésor spirituel. A partir de sources diverses, elle a ‘retissé’ la vie des sept religieux trappistes de leur premier appel à leur martyre. Elle ne compte pas s’arrêter en si bon chemin puisque cet opus n’est que le premier d’une série qui devrait en compter sept.

Entourée d’un comité scientifique, la théologienne a pu compter sur la collaboration des trois abbayes mères d’où provenaient les moines de Tibhirine, Aiguebelle, Tamié et Bellefontaine ainsi que sur sa filiale, le monastère de Notre-Dame de l’Atlas au Maroc.

Des histoires singulières, parfois sinueuses

Quant on remonte le fil de l’histoire de cette communauté de Tibhirine, on ne peut qu’être frappé par sa fragilité et sa précarité. Et pourtant la source de Tibhirine n’a pas tari et elle irrigue le monde, relève l’auteure. Cette histoire est le fait d’hommes, de moines qui ont le choix par appel de l’Algérie. Il ne s’agit pas de raconter, mais plutôt de se mettre à l’écoute de chacun des sept frères. Leur histoire est singulière, parfois sinueuse, mais l’appel de l’Amour les a embarqués pour un voyage communautaire exigeant et beau. En les béatifiant l’Eglise a voulu mettre en avant l’exemple de ses vies données en fidélité à leur appel et au peuple d’Algérie. La devise du monastère de Tibhirine était «Un signe sur la montagne».

Les histoires des frères Paul, Luc, Michel, Bruno, Célestin, Christian et Christophe sont des vies simples et concrète de travail, de prière et de partage. Elles racontent comment la communauté se prépare ensemble à vivre le martyre.

«Notre vie, nous l’avons donnée»

Mgr Henri Teissier, archevêque émérite d’Alger qui signe un texte d’introduction, a fait le déplacement à Fribourg pour témoigner de cette période sombre de l’histoire d’Algérie. «Paradoxalement, nous vivions dans la sérénité, car nous étions dans notre vocation» Une des religieuses assassinées, à laquelle il demandait d’être prudente, lui répondit: «Notre vie, nous l’avons déjà donnée, on ne peut pas nous la prendre». Lors de la béatification, la mère du jeune chauffeur musulman de Mgr Pierre Claverie tué avec lui dans l’attentat était assise à côté de la sœur de l’évêque. Dans les affaires du jeune homme, on a retrouvé un billet: «Pierre est mon ami et je ne voudrais pas qu’il se trouve seul devant la mort.»  (cath.ch/mp)


Quelques perles

Lors de la présentation à l’Université de Fribourg, deux moines d’Hauterive ont prêté leurs voix à leurs frères de Tibhirine, pour livrer quelques perles tirées de leur itinéraire spirituel. Le texte

désormais très connu du testament spirituel du prieur Christian de Chergé a trouvé comme un écho dans les paroles de ses confrères.

«J’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille se souviennent que mai vie était donnée à Dieu et à ce pays.» (Frère Christian)

«Je descends au cimetière pour interroger les cyprès afin de savoir s’il y en a un qui voudra bien veiller sur moi le temps venu.» (Frère Paul)

«Il faut s’arrêter pour souffler un peu, ne pas regarder en arrière, mais devant soi.» (Frère Luc»)

«Je dirai que mon cœur a dit et redit oui pour l’Atlas (acceptant situation et conditions) parce que je crois que ça vaut le coup que cette communauté continue à vivre et témoigner en milieu musulman au temps que le Seigneur voudra.» (Frère Michel)

«Celui ou celle qui nous voit (parce que l’oin nous voit)  peut se demander: ‘que font-ils? À quoi servent-ils?’ Apparamment rien. Mystère de cet appel.» (Frère Bruno)

«Je cours vite à la chapelle, et seul avec Lui (Jésus), je chante à haute voix cette antienne et me rends faire un ‘bisou’ (un baiser) au coin du tabernacle.» (Frère Célestin)

«Parlons… d’ici des moines en pays ‘non-chrétien’. Pas d’avenir. C’est clair. Mais la conscience d’une présence à vivre ici: service de la prière et rencontre visitation d’amitié.» (Frère Christophe)

 

Moines de Thibhirine, heureux ceux qui espèrent, autobiographies spirituelles,

Textes recueillis et présentés par Marie-Dominique Minassian

Paris, 2019, 760 pages, Editions du Cerf, Bellefontaine et Bayard

Maurice Page

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