Qu’est-ce que la conscience et comment s’incarne-t-elle dans le monde? Des questions auxquelles le Védanta, une philosophie issue de l’hindouisme, propose des réponses. Le développement de la réalité virtuelle (RV) permet curieusement à l’homme d’aujourd’hui de mieux saisir ces concepts métaphysiques, notamment présents dans les Upanishads.
Ces textes ont été écrits en sanskrit, l’ancienne langue sacrée de l’Inde. Probablement rédigés entre 800 et 500 avant Jésus-Christ, ils constituent les références fondamentales de l’école philosophique du Védanta, fondée au second siècle avant notre ère par le maître spirituel hindouiste Adi Sankara. Il a principalement enseigné une doctrine connue sous le terme de «non-dualité», qui affirme que Brahman (Dieu) ne forme en fait avec «l’atma» (l’âme) qu’une seule réalité, séparée par la «maya» (illusion), le monde physique.
Dans un article pour le webzine américain Aeon, le théologien hindouiste britannique Akhandadhi Das souligne que la réalité virtuelle peut aider à expliquer la notion védantique «d’atma». Lorsqu’un joueur entre dans un tel jeu, il est ainsi invité à choisir son ‘avatar’, c’est-à-dire le personnage qu’il va incarner. Akhandadi Das relève que le mot signifie, en sanskrit, «celui qui descend d’une dimension supérieure». Dans les textes anciens, le terme renvoie souvent aux incarnations de divinités. Une étymologie qui convient au joueur de RV, puisqu’il choisit de «descendre» de la réalité «normale» vers ce monde virtuel.
A mesure qu’elle fait sienne les attributs de l’avatar, la conscience du joueur tend – et c’est l’un des buts recherchés – à se séparer de son véritable corps physique. Dans la théorie psychologique du Védanta, cette situation est comparable à l’adoption par «l’atma» du ‘moi-personne’ ou ‘pseudo-ego’, en sanskrit «ahankara». L’être choisit alors de se définir d’après ses relations sociales et les caractéristiques de son enveloppe corporelle. Il commence à se déterminer à travers son genre, sa race, son âge, son environnement familial, communautaire, etc. Conditionné par cette identification, il se met à ressentir les émotions relatives à cette incarnation.
Akhandadi Das fait remarquer que, selon des recherches, les joueurs de RV qui s’impliquent le plus dans leur avatar ont également les rapports les plus conflictuels avec les autres personnages. Cela rejoint un principe du Védanta selon lequel l’aptitude à nouer des relations constructives avec ses semblables est diminuée en proportion à notre absorption dans «l’ahankara», le ‘pseudo-ego’. «Plus je me considère comme une entité physique ayant besoin de diverses formes de gratifications sensuelles, plus je serai enclin à objetiser les personnes qui peuvent satisfaire mes désirs et nouer des relations basées sur l’égoïsme mutuel», affirme le philosophe d’origine indienne. Le Védanta considère au contraire que l’amour devrait émaner de la partie la plus profonde de l’être et non du ‘pseudo-ego’ forgé par l’illusion du monde. «Les interactions avec les autres basées sur ‘l’ahankara’ constituent seulement une parodie d’affection», note le théologien.
La notion hindouiste de réincarnation peut également trouver sa correspondance dans le monde du jeu virtuel. Les avatars, souvent confrontés à des environnements hostiles, subissent en effet un jour ou l’autre un ‘game over’. Le joueur choisit alors un autre personnage, à l’instar de l’âme qui rejoint le monde physique à travers une autre incarnation. Le joueur fera également bénéficier son nouvel avatar des leçons apprises dans la partie précédente. Un prolongement de l’expérience, selon Akhandadi Das, qui se rapproche du concept de karma dans l’hindouisme.
Selon les principes védantiques, les personnes devraient rester le plus possible connectées à leur «atma», leur être profond, en dépit des tribulations de l’existence, explique le philosophe. Il s’agit ainsi de toujours être conscients de l’aspect «illusoire» des expériences dans le monde physique. «Il est amusant de s’imaginer ce que les Pères du Védanta auraient pensé de la RV: une illusion dans une illusion, peut-être…mais qui peut aider à mieux saisir la portée de leur message», conclut Akandadi Das. (cath.ch/aeon/rz)
Raphaël Zbinden
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