La signature des accords du Latran, le 11 février 1929, constitue un des actes majeurs du pontificat de Pie XI. En redonnant au Saint-Siège un territoire et en garantissant sa neutralité, ce pacte a posé les fondements de la politique actuelle du Vatican. Depuis, le 11 février est un jour férié au Vatican.
Grâce aux accords du Latran, le pape, ‘prisonnier du Vatican’ depuis l’annexion des Etats pontificaux par l’Italie en 1870, a retrouvé sa liberté d’agir comme chef de l’Eglise catholique mais aussi comme souverain temporel. De Pie XII, qui succède à Pie XI en 1939, jusqu’au pape François, les pontifes sauront mettre largement à profit la reconnaissance acquise pour s’imposer comme des interlocuteurs incontournables sur la scène politique mondiale.
«Les négociations, ouvertes en 1926, ont été longues et difficiles»
Lorsqu’ils s’assoient à la même table, le 11 février 1929, le cardinal Gasparri, au nom de Pie XI, et Benito Mussolini, président du Conseil des ministres, au nom du roi Victor-Emmanuel III, ont de quoi être satisfaits. Les négociations, ouvertes en 1926, ont été longues et difficiles. Les deux parties ont tenté d’obtenir le maximum de gages de l’adversaire en faisant le minimum de concessions, relève l’historien Frédéric Le Moal, dans son ouvrage Les divisions du pape, le Vatican face aux dictatures (1917-1989) paru en 2016.
Le parti fasciste fondé par Mussolini en 1919 est à l’origine férocement anticlérical, et même anti-religieux. Pour lui, le christianisme a corrompu l’âme italienne. Les Italiens doivent s’en affranchir pour retrouver la virilité de leurs ancêtres légionnaires romains. Dès 1921, Mussolini comprend cependant que son projet ne pourra pas aboutir s’il maintient son opposition frontale à l’Eglise. Il met de l’eau dans son vin et fait taire son anticléricalisme. Il ira même jusqu’à se faire passer pour un fils obéissant de l’Eglise en épousant religieusement sa femme Rachele et en faisant communier ses enfants.
En face, Pie XI ne se fait aucune illusion sur la nature antichrétienne du fascisme qu’il dénonce à plusieurs reprises. Mais c’est aussi un politique. Il se tient dans la réserve lorsque Mussolini prend le pouvoir, lors de la fameuse marche sur Rome en 1922. Au Vatican, on pense que le fascisme s’installe pour longtemps aux commandes de l’Etat italien. Et qu’il vaut donc mieux en profiter pour en tirer de substantiels avantages, aussi bien religieux que matériels. Nombre d’évêques italiens et de prélats curiaux pensent pouvoir, avec le temps, ‘catholiciser’ le fascisme. Pie XI choisit donc la voie de l’accommodement.
«Le nouvel Etat dispose d’une gare, d’une poste, d’une monnaie et d’une radio»
Fin 1926, Mussolini parvient à persuader le roi Victor Emmanuel III, aussi farouche anticlérical que lui, d’ouvrir des négociations avec le Saint-Siège. Comme exigence préalable, le Duce demande au pape de reconnaître Rome comme capitale de l’Italie. De son côté, Pie XI veut un accès à la mer, ce que Mussolini lui refuse catégoriquement. En 1928, le pape finit par renoncer, la situation se débloque et au début 1929 les accords sont sous toit.
Les accords du Latran sont en fait un ensemble de trois traités. Le premier crée l’Etat de la cité du Vatican, ce petit territoire de 44 hectares autour de la basilique saint-Pierre et du palais apostolique. Le nouvel Etat dispose de services publics régaliens comme une gare, une poste, une monnaie, une radio. L’Italie reconnaît le pape comme chef temporel du Vatican, détenant tous pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires.
Le deuxième est une convention financière prévoyant une indemnisation d’un milliard de lires (l’équivalent actuel de plus d’un milliard d’euros) de l’Etat italien pour la perte des Etats pontificaux en 1870. Cette indemnité permettra au Vatican de se constituer un assez solide patrimoine financier et immobilier.
Le troisième est un concordat entre le Saint-Siège et l’Italie qui régit les relations entre les deux entités. Mussolini a fait de larges concessions: le catholicisme devient religion officielle, l’enseignement religieux est obligatoire, les mariages religieux ont valeur civile, l’existence de l’Action catholique est reconnue. A l’inverse les prêtres doivent se tenir à l’écart de toute activité politique, l’Etat a son mot à dire dans la nomination des évêques qui doivent prêter un serment de fidélité au roi d’Italie et au gouvernement.
A l’issue de l’accord, Pie XI qualifie Mussolini «d’homme de la Providence»
Le concordat scelle aussi un principe qui prendra beaucoup d’importance par la suite. L’article 24 stipule que «la Cité du Vatican sera toujours et en tout cas considérée comme un territoire neutre et inviolable». La neutralité du Saint-Siège est ainsi inscrite en droit international et sa protection est garantie par l’Etat italien. A l’issue de l’accord, Pie XI n’hésite pas alors à qualifier Mussolini «d’homme de la Providence».
La lune de miel entre le régime mussolinien et le Saint-Siège sera cependant très courte. Dès le 13 mai 1929, le Duce réaffirme vigoureusement la mission éducative de l’Etat. Il précise que «dire que l’instruction revient à la famille, c’est dire une chose qui est hors de la réalité contemporaine. Seul l’Etat peut assumer cette tâche». Une affirmation qui fait bondir le pape, d’autant plus que le fascisme a crée en 1926 l’Opera nazionale Balilla pour encadrer la jeunesse et interdit le mouvement scout en 1927. La réponse de Pie XI tombe le 31 décembre 1929 avec l’encyclique Divini Illius Magistri sur l’éducation chrétienne de la jeunesse. Il y rappelle que l’Etat ne peut se substituer à la famille mais doit au contraire la protéger.
Ce conflit n’empêche cependant ni la ratification des accords, ni l’établissement de relations diplomatiques. Le pape rompt symboliquement son enfermement à Rome par une procession sur la place Saint-Pierre le 25 juillet, puis en se rendant le 30 décembre à la basilique Saint-Jean de Latran, sa cathédrale en tant qu’évêque de Rome. Le roi Victor Emmanuel III se rend en visite au Vatican.
Une nouvelle crise éclate en 1931, toujours sur la question de l’éducation de la jeunesse et notamment la volonté de Mussolini de dissoudre les cercles de jeunesse de l’Action catholique. Pie XI remonte au front et vilipende le fascisme dans l’encyclique, rédigée non pas en latin mais en italien, Non abbiamo bisogno datée du 29 juin. Il faudra toute l’habilité diplomatique du nouveau secrétaire d’Etat Eugenio Pacelli – qui deviendra le pape Pie XII en 1939 – pour aboutir à un accord le 2 septembre 1931. Mussolini tolère l’existence des groupes d’Action catholique mais leur interdit de se mêler de politique.
«Le fascisme est le rempart ultime contre le communisme et le national-socialisme»
La fermeté de Pie XI contraste cependant avec un assez large courant clérico-fasciste qui veut maintenir l’entente avec Mussolini en voyant dans le fascisme le rempart ultime contre le communisme et le national-socialisme autrement plus dangereux pour l’Eglise. Il faut aussi dire que jusqu’au milieu des années 1930, Mussolini n’affiche pas de velléités expansionnistes et ne se rapproche ouvertement d’Hitler et du nazisme qu’à partir de 1937.
De fait, jusqu’à sa chute en 1943, les conflits ne cesseront pas entre le Duce et le Saint-Siège, mais un lien sera néanmoins toujours maintenu.
Dès 1965, la question de la révision du concordat entre le Saint Siège et l’Italie a été posée, mais il faudra attendre 1984 pour voir la signature de ‘l’accord de la Villa Madame’. Ce texte impose clairement la pleine indépendance de l’Eglise et de l’Etat chacun dans leur ordre propre assortie d’une volonté de «collaboration réciproque pour la promotion de l’homme et le bien du pays». Il prévoit notamment l’introduction du ‘otto per mille’ qui permet aux contribuables italiens d’attribuer 8 pour mille de leurs impôts à l’Eglise catholique, mais aussi à d’autres institutions d’utilité publique. (cath.ch/mp)
A Rome, les accords du Vatican ressuscitent une idée ancienne: la création d’une grande artère reliant le Vatican au centre de la ville. Le gouvernement fasciste décide alors d’ouvrir la via della Conciliazione, une voie monumentale symbolisant la nouvelle entente entre les pouvoirs temporels et spirituels. Le choix est fait de démolir tous les bâtiments du quartier de la spina di Borgo (l’épine du Borgo, en référence au muret qui délimitait la piste au centre des cirques romains).
La démolition est lancée symboliquement le 29 Octobre 1936 avec un coup de pioche du Duce en personne qui veut recréer la ‘grandeur de la Rome d’Auguste’. Cette réalisation a entraîné la destruction de 142 immeubles, dont plusieurs palais et une église. Les nouvelles façades de la rue intégrant parfois des éléments des anciens palais.
Pour accroître les effets de perspective et faire pendant à l’obélisque de la Place Saint-Pierre, une double rangée de lampadaires en forme d’obélisque, est imaginée. Cette idée n’a toutefois été réalisée qu’en 1950 pour le Jubilé. Des lampadaires que les Romains ont malicieusement surnommés ‘suppositoires de Mussolini‘. (cath.ch/mp)
Maurice Page
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