«Le pape touché par des révélations concernant un évêque argentin accusé d’abus sexuels», titre le quotidien local La Nacion le 21 janvier 2019. La presse internationale surfe avec aisance sur la vague provoquée par l’affaire Vigano-McCarrick qui a défrayé la chronique en août 2018. L’ancien nonce aux Etats-Unis avait accusé le Vatican et le pape François d’avoir fermé les yeux pendant des années sur les abus sexuels commis par l’ex-cardinal Theodore McCarrick, ancien archevêque de Washington.
Le même type de griefs émergent concernant le cas de Mgr Zanchetta. La notion de «tolérance zéro» martelée par le pape François est donc une nouvelle fois dans le collimateur. Les accusations n’ont rien à voir, dans le cas argentin, avec de la pédophilie. Il est question de «comportements inappropriés» que l’évêque aurait eu avec des séminaristes majeurs. Il a notamment été question de selfies nus que Mgr Zanchetta aurait envoyés à des jeunes. Mais aucun soupçon de viol ne serait mentionné.
La polémique ne concerne pas la gravité des prétendus actes, mais tient principalement au fait que le Vatican ait affirmé n’avoir eu que tardivement connaissance de ces accusations d’abus sexuels. Dans un communiqué du 4 janvier 2019, Alessandro Gisotti, directeur intérimaire du Bureau de presse du Saint-Siège, assurait que Mgr Zanchetta avait démissionné en août 2017 sur la base de difficultés et de rapports très tendus avec le clergé diocésain. «S’il y avait eu alors des accusations d’autoritarisme, il n’y avait aucune accusation d’abus sexuels», notait le porte-parole. Il précisait que les premières accusations n’avaient été connues du Vatican qu’à l’automne 2018.
Une affirmation démentie par Mgr Juan Jose Manzano, vicaire général du diocèse d’Oran au moment où les abus auraient été commis par Mgr Zanchetta. Dans un article diffusé le 20 janvier 2019 par Associated Press, le responsable d’Eglise assure avoir informé dès 2015 le Vatican des soupçons de comportements inappropriés de l’évêque envers des séminaristes. A cette époque, le vicaire aurait envoyé au Vatican les selfies obscènes du prélat argentin. Ce dernier a été peu après convoqué à Rome par le pape François. Mgr Zanchetta s’est alors défendu auprès du Saint-Père en brandissant la thèse du complot, assurant que son téléphone avait été piraté et que l’affaire avait été fomentée par des personnes cherchant à nuire à l’image du pape. Une argumentation qui a apparemment convaincu le pontife, lequel n’a pas pris de mesures contre l’évêque.
Le cas a cependant rebondi en mai-juin 2017, lorsque avec deux autres clercs Juan Manzano a fait parvenir une seconde plainte au Vatican, mais encore une fois sans la déposer de manière officielle. «La situation était devenue plus sérieuse, explique l’ancien vicaire général à l’AP. Pas seulement parce que des indications d’abus sexuels avaient resurgi, mais parce que le diocèse était réellement en train de sombrer dans l’abîme».
Cette fois, la plainte aboutit à la démission, sous pression du Vatican, de Mgr Zanchetta, en août 2017. Après un séjour en Espagne, le prélat est cependant nommé, en décembre 2017, assesseur de l’Administration du patrimoine du Siège apostolique (APSA), à Rome. Une nomination perçue par une partie de la presse comme une «promotion» incompréhensible pour un évêque à l’odeur de soufre. «Comment a-t-il été possible que le pape François, qui depuis son élection s’est dit déterminé à mener une politique de ‘tolérance zéro’ contre les abuseurs et leurs complices, ait fait venir Zanchetta au Vatican pour le protéger?», s’indigne ainsi La Nacion.
Sur un même ton accusateur, l’AP souligne que «la décision du pape d’autoriser Mgr Zanchetta à démissionner dans la tranquillité et de le promouvoir ensuite No 2 dans l’un des départements les plus déterminants du Vatican [l’APSA, ndlr.], a soulevé de nouvelles questions concernant l’attitude du pape François. A-t-il détourné le regard des mauvais comportements lorsqu’ils venaient de ses alliés et relégué les accusations à leur encontre au rang d’attaques idéologiques?»
Des accusations d’hypocrisie appuyées par le rappel que Mgr Zanchetta est un proche du pape François. Avant son élection en 2013, il l’avait notamment côtoyé au sein de la Conférence épiscopale argentine. Il en était le président tandis que le prélat en était le sous-secrétaire. La nomination de Mgr Zanchetta à Orán a d’ailleurs été une des premières de l’actuel pape, intervenue dès juillet 2013, soit quatre mois après son élection. Juan Manzano affirme même à l’AP que Jorge Bergoglio était le confesseur de l’évêque controversé et qu’il le traitait comme son «fils spirituel».
Les médias n’évoquent pourtant pas l’hypothèse que la nomination de l’évêque au Vatican aurait pu être une façon de le garder «sous surveillance» et hors de contact des jeunes.
Pour Juan Manzano, le pontife a été victime de «manipulation» par Mgr Zanchetta. «Il n’y a jamais eu de volonté de cacher quoique ce soit. Il n’y a jamais eu aucune intention du Saint-Père de le [Zanchetta] défendre contre quoique ce soit», assure-t-il à l’AP.
Il affirme également que le communiqué du Saint-Siège du 4 janvier n’était pas mensonger. En assurant qu’il n’y avait eu aucune accusation d’abus sexuels avant 2018, Alessandro Gisotti aurait juste signifié qu’il n’y avait eu aucune «plainte officielle» en la matière. Juan Manzano qualifie son action de simple «signalement sur de supposés abus sexuels».
Le directeur ad interim du Bureau de presse du Saint-Siège s’est exprimé sur le sujet le 22 janvier 2019, démentant une quelconque contradiction dans son communiqué du 4 janvier. «En référence aux articles publiés par certains médias et à certaines reconstructions trompeuses, je peux répéter ce que nous avons déjà dit», a assuré le porte-parole.
Alessandro Gisotti, confirme également que le cas de Mgr Zanchetta est à l’étude et que «les informations seront fournies sur les résultats». Une enquête préliminaire a été lancée contre le prélat, menée en Argentine par Mgr Luis Antonio Scozzina, nouvel évêque d’Oran.
Problèmes de vocabulaire, imprécisions ou mensonges? L’affaire reste encore obscure, mais l’on peut penser que les dénégations du Saint-Siège ne calmeront pas les médias.
La presse rappelle également les similarités de cette affaire avec le cas «Mgr Barros», au Chili. Le pape François avait en effet, dans un premier temps, défendu l’ancien évêque d’Osorno, accusé d’avoir couvert les agissements de Fernando Karadima, pédophile notoire condamné par la justice de son pays en 2011 et renvoyé de l’état clérical en 2018. Par la suite, il avait cependant changé d’avis et exigé la démission de Mgr Juan Barros. Le pontife avait admis avoir commis une erreur sur la base d’informations erronées qui lui avaient été transmises.
Et la presse de s’interroger sur la répétition de telles «erreurs» de jugement et sur une éventuelle «naïveté» du pontife concernant ces affaires. «Le pape est-il encore victime d’un évêque qui lui a menti? Telle est la question minimale que beaucoup se posent maintenant au Vatican», écrit ainsi La Nacion. (cath.ch/ag/rz/imedia/ah/rz)
Raphaël Zbinden
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