LLE: les Eglises de Genève s'engagent pour une paix religieuse responsable

Dans le canton de Genève, le vote du 10 février 2019 à propos de la Loi sur la laïcité de l’Etat (LLE) concerne les Eglises catholique chrétienne, catholique romaine et protestante au plus haut point. Avec prudence, mais pour plusieurs raisons, les Eglises genevoises recommandent d’accepter cette loi. Décryptage.

La LLE apporte notamment la clarification des principes de laïcité et de neutralité de l’Etat, de la contribution religieuse volontaire élargie, de la facilitation du travail des aumôneries spécialisées, de la lutte contre les dérives sectaires et de l’enseignement du fait religieux. Dans la foulée de la Constitution, l’article premier de la LLE rappelle ses buts: 1. Protéger la liberté de conscience, de croyance et de non-croyance; 2. préserver la paix religieuse; 3. définir le cadre approprié aux relations entre les autorités et les organisations religieuses.

Pleinement acquises au premier alinéa, les Eglises sont particulièrement attentives à la question de
la paix religieuse. Elles ont pour cela plus d’un siècle d’expérience de séparation d’avec l’Etat et des
conséquences qui en découlent en contexte genevois. Pour l’Etat et les Eglises, ce siècle écoulé a vu
un mûrissement réciproque des enjeux liés à la laïcité. Filles de cette laïcité-là, les Eglises sont
aujourd’hui devenues et demeurent les principales artisanes de la paix religieuse à Genève.

L’expérience œcuménique et interreligieuse fut et demeure déterminante; les Eglises l’ont initiée et
continuent de l’entretenir avec une qualité et une exigence reconnues. Cette expérience s’est notamment concrétisée dans les aumôneries d’hôpital, de prison et auprès des réfugiés: celles-ci constituent des pôles d’excellence qui, de leur propre initiative, ont su promouvoir et intégrer des représentants d’autres traditions, chrétiennes ou non.

Nécessaire clarification de la laïcité

Au moment où le christianisme se tasse et où les institutions religieuses qui ont largement contribué à forger l’identité plurielle de Genève se fragilisent, il est d’autant plus important que l’Etat se dote d’une loi qui clarifie la laïcité à la lumière des enjeux contemporains, inscrite dans l’histoire locale et dans un fil socio-politique assumé depuis des décennies.

Pour cela, la LLE est bienvenue; mieux, elle est nécessaire, car elle s’inscrit dans un contexte qui ne se contente pas d’un statu quo paresseux, mais fait œuvre politique avec une loi qui ne se contente pas du court-terme, mais qui voit loin devant à partir d’une mémoire politique assez bien assumée. Ainsi l’Etat ne se retrouve pas sans horizon, et il endosse enfin sa prétention laïque dans une loi au lieu de la laisser à la seule discrétion de son administration et d’éléments juridiques épars.

Quelques réserves de la part des Eglises

Ces considérations générales n’occultent pas les réserves que suscite cette LLE pour les Eglises et que ces dernières ont déjà évoquées en mai passé au lendemain de son adoption par le Grand Conseil: elles touchent à l’entretien par les Eglises de l’important patrimoine historique qui leur a été remis, à l’usage de mesures de contrainte exceptionnelles (art. 7.1 de la LLE), aux dispositions limitant le possible usage du domaine public pour des activités cultuelles, aux restrictions vestimentaires exagérées concernant les élu-e-s. Sur ce dernier point, si les Eglises sont sensibles à une expression de neutralité religieuse pour les agents de l’Etat, elles estiment que le dispositif va trop loin s’agissant de personnes élues en toute connaissance de cause.

Ces réserves pourtant ne sauraient justifier d’écarter toute la loi d’un revers de main, au lieu de travailler de manière ciblée sur les points problématiques, que ce soit par processus judiciaire ou parlementaire. C’est ce travail ciblé qu’ont privilégié tel parti politique ou tel groupement religieux, et les Eglises appuient l’essentiel de ces démarches adaptées.

Absence de vision à long terme

En outre, les Eglises s’élèvent contre l’absence de vision à long terme des référendaires: sous couvert de nobles combats (libertés individuelles, protection du travail et des salarié-e-s, lutte contre les discriminations, affirmation socio-politique positive des femmes), ils s’avèrent incapables de prendre la mesure des enjeux du phénomène religieux, de ses risques résiduels sans processus de régulation, pour ne privilégier que la revendication de droits individuels, là où il faut de la réflexion institutionnelle et un peu plus d’exigence critique face aux enjeux d’intégration.

Penser la laïcité, c’est d’abord penser la citoyenneté

Genève est plurielle, constituée d’une magnifique mais délicate diversité; elle n’est pas une simple cohabitation multiculturelle – un projet politique étranger à l’expérience des Eglises et qui n’a jamais reçu d’assentiment populaire. Le seuil proposé les référendaires est bien trop bas pour être intéressant et stimulant.

Penser ensemble la laïcité et la paix religieuse (ou paix ‘convictionnelle’, pour étendre sa compréhension à la sociologie réelle de notre canton), c’est penser d’abord la citoyenneté en soi dans une communauté de destin exigeante, à la construction lente mais prometteuse, loin de la cohabitation molle des convictions ou d’un statu quo illusoire, insatisfaisant et finalement régressif.

Depuis passé un siècle, nos Eglises genevoises ont fait l’expérience d’éléments qui, d’abord vécus comme contrariants, diversement pour chacune, ont néanmoins forgé leur identité actuelle et ont contribué de manière positive à leur rapprochement comme à la promotion de la paix religieuse. Parce qu’elle est déterminante au niveau social et spirituel, c’est donc l’expérience que les Eglises souhaitent à toutes les communautés religieuses comme à ceux et celles qui veulent vraiment contribuer à la qualité du lien social à Genève. (cath.ch/sb/gr)

Grégory Roth

Portail catholique suisse

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