Alors que la Constitution libanaise prévoit la liberté de religion et que la conversion d’une religion à l’autre est théoriquement légale, la réalité est bien plus complexe. Les convertis peuvent ainsi faire face à une forte résistance sociale, voir être menacés.
Même si Roula Tabch Jaroudi n’a pas abjuré sa religion, la députée musulmane sunnite de Beyrouth, membre du groupe parlementaire du «Bloc du Futur», dirigé par Saad Hariri, a dû faire amende honorable. Elle a été sommée de confirmer sa foi musulmane devant Dar el-Fatwa, la plus haute instance de l’islam sunnite libanais basée à Beyrouth. Elle a exprimé son allégeance à l’islam tout en affirmant qu’elle était «ouverte aux autres», rapporte le quotidien libanais «L’Orient-Le Jour».
Le Premier ministre désigné Saad Hariri a apporté son soutien à la députée ciblée sur les réseaux sociaux, affirmant sa confiance en cette membre active de son bloc parlementaire, «militante en faveur de la femme, de la jeunesse, du Liban et de la coexistence entre tous ses fils».
Roula Tabch Jaroudi avait participé le 1er janvier 2019, à Antélias, au nord de Beyrouth, à une messe pour la paix et la charité dans la chapelle du couvent de la Mission de Vie. Lors de la célébration, la parlementaire musulmane sunnite s’était présentée devant le prêtre qui donnait la communion. Ce dernier lui a alors posé le ciboire sur la tête et lui a donné la bénédiction.
Si certains internautes ont salué ce geste de fraternité et de coexistence, d’autres l’ont vivement attaquée. Beaucoup au Liban se demandent ce que signifie cette réaction des fondamentalistes, alors même que le Coran classe les chrétiens parmi les «gens du Livre» (ahl al-kitâb, en arabe), ceux à qui les messages divins ont été communiqués à travers un livre révélé à un prophète.
Le 10 janvier, la députée a été sommée de s’expliquer à Dar el-Fatwa devant le secrétaire général de l’instance religieuse sunnite, le cheikh Amine Kurdi, et le cheikh Salaheddine Fakhri. Ils l’ont fait sur instruction du mufti de la République, Abdellatif Deriane.
Roula Tabch Jaroudi s’est ensuite fendue d’un communiqué soulignant son attachement à l’islam. Elle a dû à nouveau prêté allégeance à sa religion en présence des deux dignitaires de Dar el-Fatwa. «Ce que j’ai fait n’était pas prémédité. Je me suis excusée auprès de Dieu», peut-on lire dans ce communiqué.
«J’ai honte ! A quoi sommes-nous réduits !», a déclaré à «L’Orient-Le Jour» Mohammad Sammak. «C’était un geste de piété dû sans doute au manque d’expérience; on en a fait toute une histoire. Mais on ne corrige pas une erreur par une autre. Nous assistons tous à des messes et avons tous accepté le pluralisme religieux». Le coprésident du Comité national pour le dialogue islamo-chrétien regrette vivement cet incident: «Et dire qu’après cela, nous voulons faire du Liban un centre international pour le dialogue entre les cultures et les religions…» ! » a-t-il renchéri.
Pour un pays régi par un Etat de nature civile, «cette subordination du politique au religieux est sans précédent, et contraire à l’esprit du Liban», explique pour sa part le prêtre maronite Fadi Daou, président de la Fondation Adyan. Cette fondation sise à Beyrouth œuvre pour la valorisation de la diversité religieuse et pour la promotion du vivre-ensemble. (cath.ch/orj/be)
Jacques Berset
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