C’est pour Petro Porochenko un acte politique décisif, «achevant l’affirmation de l’indépendance de l’Etat ukrainien et renforçant la liberté religieuse et la paix interconfessionnelle». Moscou dénonce pour sa part un «schisme» et a rompu ses liens avec Constantinople.
La cérémonie, à la cathédrale Saint-Georges d’Istanbul, a été retransmise en direct par les chaînes de télévision ukrainiennes le 5 janvier. Ce décret a été remis au métropolite Epiphane (Epiphaniy Dumenko), élu à l’âge de 39 ans à la tête de la nouvelle Eglise orthodoxe ukrainienne, voulue par le gouvernement de Kiev, lors d’une «assemblée d’unification» le 15 décembre 2018.
En signe de reconnaissance pour sa «contribution personnelle exceptionnelle» au développement de l’Eglise orthodoxe autocéphale d’Ukraine, le président Porochenko a remis le 5 janvier l’Ordre du Mérite de première classe au patriarche Bartholomée. Créée par le président ukrainien Leonid Koutchma le 22 septembre 1996, cette décoration est décernée à une personne pour des réalisations exceptionnelles dans les domaines de l’économie, de la science, de la culture, de l’armée ou de la politique.
Pour bien souligner la signification politique de ce geste, la cérémonie a eu lieu en présence non seulement du président Porochenko, mais également du ministre ukrainien des Affaires étrangères, Pavel Klimkin, et du président du Parlement de Kiev, Andrei Paruby.
Ce décret d’autocéphalie, que le Patriarcat de Moscou qualifie de «morceau de papier sans force canonique», «signé en violation des canons», a été vivement critiqué le 5 janvier par Vladimir Legoyda, chef du Département synodal pour les relations avec l’Eglise, la société et les médias.
Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a ainsi affirmé que le patriarche Bartholomée, «financé par l’Amérique», est l’un des éléments d’un grand projet géopolitique des Etats-Unis «visant à l’affaiblissement progressif de la Russie, à la confrontation entre Russes et Ukrainiens». «L’Eglise orthodoxe russe, qui sert de trait d’union entre ces peuples, est aujourd’hui peut-être le principal obstacle à la réalisation des plans américains».
Dans une interview publiée sur le site du Patriarcat de Moscou, le métropolite Hilarion relève que le Patriarcat de Constantinople, pendant tout le XXe siècle, «s’est efforcé d’affaiblir l’Eglise orthodoxe russe. Chaque fois que l’Eglise russe était en difficulté, Constantinople ne lui venait pas en aide, mais, au contraire, tentait de lui arracher des morceaux. C’est ainsi qu’ont été créées, en 1924, l’Eglise orthodoxe polonaise, puis l’Eglise finlandaise autonome. En 1996, profitant de la situation politique, Constantinople est intervenu en Estonie et y a créé sa juridiction, ce qui a provoqué une rupture de la communion eucharistique de quatre mois entre Constantinople et Moscou».
Ce qui se passe aujourd’hui relève de la même logique, affirme le métropolite Hilarion «Cependant, il ne s’agit pas, à l’heure actuelle, d’un groupe important de croyants et de paroisses, comme ce fut le cas en Estonie, mais de millions de fidèles, de 13’000 paroisses et de plus de 200 monastères que Constantinople tente, par des actes de brigandage, d’arracher à l’Eglise orthodoxe ukrainienne [canonique], et, de ce fait, d’affaiblir l’Eglise orthodoxe russe».
Sur le site présidentiel ukrainien, qui donne une grande importance à l’événement, Petro Porochenko affirme que ce décret est «pour nous, en fait, un autre acte de proclamation de l’indépendance de l’Ukraine. […] Il renforcera les droits et les libertés des citoyens, en particulier de ceux qui étaient en dehors de la communion avec l’orthodoxie œcuménique et qui ont été injustement qualifiés de non canoniques».
En tant que président, écrit-il sur son site, «je garantis au nom de l’Etat que l’Ukraine respectera les choix religieux et la liberté de religion de chaque citoyen. Je félicite tous ceux qui se soucient de l’essor de l’Eglise orthodoxe autocéphale d’Ukraine. Et je remercie tous ceux qui ont travaillé sans relâche à son émergence, créé l’unité et restauré la justice !»
Le «tomos» signé par le patriarche Bartholomée et le métropolite Epiphane devrait ouvrir le chemin à la reconnaissance de cette nouvelle Eglise par d’autres confessions chrétiennes. Les observateurs notent un regain de popularité du président Porochenko en lien avec l’instauration de l’Eglise ukrainienne indépendante du Patriarcat de Moscou. Un bon point en vue de la campagne électorale pour la présidentielle du 31 mars, alors que le chef de l’Etat ukrainien était à la traine dans les sondages. (cath.ch/be)
Jacques Berset
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