L’histoire la naissance de Jésus peut se regarder ‘d’en bas’, dans l’épaisseur humaine des récits de l’étable de Bethléem des évangiles de Luc et de Matthieu, ou ‘d’en haut’ à travers le prologue de l’évangile de Jean qui proclame: «Le Verbe s’est fait chair». Pour le théologien dominicain Gilles Emery, les deux portes ouvrent sur le mystère de l’incarnation, c’est-à-dire sur Dieu qui se fait homme.
Le professeur de théologie dogmatique à l’Université de Fribourg s’est longuement penché sur la question de l’incarnation qu’il a abordée dans plusieurs ouvrages et publications.
Dans les évangiles, l’histoire de Noël est abordée très différemment chez Luc et Matthieu et chez Jean.
Les récits de la naissance et de l’enfance de Jésus dans les évangiles de Luc et de Matthieu constituent une première porte d’entrée au mystère de Noël. Luc rapporte la naissance d’un enfant dans des conditions précaires avec des parents en voyage qui ne trouvent pas de place dans la salle commune et d’une maman qui accouche dans une étable. Et les premiers à en recevoir la nouvelle sont les bergers qui, en raison de leur travail, sont tenus à l’écart des règles de pureté juives. Ils représentent l’attente du salut par les pauvres d’Israël.
Le prologue de Jean fournit une autre porte d’entrée avec plus d’élévation en parlant du ‘Verbe qui se fait chair et qui habite parmi nous’. D’un côté on regarde les choses d’en bas, de l’autre Jean les regarde d’en haut. Mais il s’agit bien de la même réalité. Dans l’épître aux Philippiens (2,6-9) Paul l’explicite en disant: «Lui de condition divine ne retint pas le rang qui l’égalait à Dieu . Mais il s’anéantit lui-même, prenant la condition d’esclave et devenant semblable aux hommes.»
L’événement de Noël passe par le ‘oui’ d’une femme.
Jésus est un enfant de son époque qui naît et grandit dans une famille juive.
Les évangiles de l’enfance sont importants parce qu’ils soulignent l’épaisseur humaine de l’événement. Cela commence avec Marie, manifestement assez surprise de la situation, mais qui dit ‘oui’. L’événement de Noël passe par le ‘oui’ d’une femme. Pendant sa grossesse, elle se rend chez sa cousine Elisabeth, elle-même enceinte de Jean-Baptiste. Et puis il y a Joseph, un peu dans l’ombre, et qui dit ‘oui’ aussi, qui est là, qui prend soin.
Il ne faudrait pas cependant réduire Noël à une jolie histoire d’un couple qui a un bébé dans des circonstances un peu extraordinaires, avec un côté doux et merveilleux.
Bien sûr que nous avons cela à Noël, mais ce n’est pas tout. A l’inverse, il ne faudrait pas non plus faire de Noël quelque chose d’abstrait, de conceptuel. Le Verbe de Dieu devient chair dans des circonstances historiques, géographiques, politiques, religieuses, particulières. Quand Dieu devient l’un de nous, il le devient avec tout ce que cela implique. Nous sommes tous marqués par notre environnement familial et social. C’est ce qui fait la richesse et l’actualité de Noël.
Il faut les deux regards. La richesse de Noël dans son épaisseur humaine et la vision de l’action de Dieu qui est à l’origine de tout et qui envoie son Fils parmi nous. Dieu est constamment actif. «Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a envoyé son Fils», dit Jean.
L’approche de ce mystère de l’incarnation se base sur le prologue de Jean: «Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous.»
Le prologue de Jean n’a probablement pas été écrit avant, mais après l’évangile, comme l’ouverture d’une pièce musicale. Il nous donne les clés de lecture pour nous montrer qui est celui qui naît, qui vit, qui meurt et qui ressuscite. Il nous offre une vue très profonde sur l’identité de Jésus. Jésus n’est pas un homme extraordinaire qui, par ses actions exceptionnelles, aurait mérité de recevoir la vénération de ses fidèles, mais c’est la Parole qui est devenue homme.
Le verset 18 qui dit: «le Fils unique qui est dans le sein du Père est celui qui l’a fait connaître» ouvre un autre aspect. Jésus est Dieu en relation au Père. C’est déjà une première formulation du mystère de la Trinité, de Dieu en trois personnes.
Pour qualifier le Verbe, le prologue parle de vie et de lumière.
Ce que Jésus donne, il l’est en personne. Jésus donne la vie, il est la vie, il donne la lumière, il est la lumière, il donne la résurrection, il est la résurrection. Cette identité éclaire tout ce qu’il fait ou dit dans l’Evangile.
Jean dit ensuite «et il a habité parmi nous».
La mission de salut de Jésus est d’abord exprimée en terme de présence. On peut aussi traduire plus littéralement «a dressé sa tente parmi nous.» Pour le peuple hébreu, il s’agit de la tente de la rencontre, du ‘tabernacle’ où Dieu se rend présent au désert. C’est désormais dans la chair de Jésus que l’on rencontre Dieu. Le mot ‘chair’ ne signifie pas corps, mais l’humanité dans sa fragilité, dans sa condition mortelle et souffrante. Il contient déjà l’idée du sacrifice et du don de soi.
Bien plus tard, l’Eglise explicitera cette parole avec un vocabulaire philosophique en disant que la personne divine du Fils assume son humanité. On parlera d’une personne en deux natures. C’est une réalité qui, de fait, dépasse l’intelligence.
Vient ensuite: «Nous avons contemplé sa gloire» Qu’est-ce à dire?
C’est un appel à voir dans Jésus la révélation même de Dieu. Noël, c’est Dieu qui se manifeste dans l’humanité. «De sa plénitude nous avons tous reçu grâce pour grâce. Car la loi fut donnée par Moïse; la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus-Christ», poursuit Jean. Nous avons donc immédiatement la notion du salut, à savoir la grâce de la communion avec Dieu et la vérité sur Dieu et sur l’homme.
Cette notion est tout à fait spécifique aux chrétiens.
Dieu lui-même devient l’un de nous. Aucune autre religion n’affirme cela. Nous avons non seulement un Dieu qui fait connaître sa volonté, ce qui se trouve dans beaucoup de religions, comme dans le judaïsme et l’islam, non seulement un Dieu qui indique le chemin à suivre, mais un Dieu qui intervient dans l’Histoire. A Noël, par l’Incarnation, Dieu entre dans le monde, se communique.
Le deuxième élément viendra à la Pentecôte, avec le don de l’Esprit Saint. Dieu habite ainsi dans l’Eglise et dans le cœur des fidèles. Il se rend personnellement présent. Incarnation et Pentecôte, au début et à la fin de l’évangile de Jean, se font écho.
«On peut lire et vivre Noël à la lumière de Pâques»
Qu’est-ce que cela change?
Les Pères de l’Eglise parlent de ‘l’admirable échange’ de Noël (admirabile commercium). Dieu le Fils devient homme, pour que les hommes qui le reçoivent deviennent Dieu. L’incarnation nous donne de pouvoir participer à la relation de Jésus avec Dieu le Père. Paul parlera de ‘création nouvelle’ qui nous donne d’être des enfants de Dieu et précisément de pouvoir l’appeler Notre Père.
Noël est encadré par deux interventions des anges qui sont les porte-parole de Dieu. L’Annonciation bien sûr, où l’ange Gabriel annonce à Marie qu’elle concevra et enfantera un fils, et l’annonce de la Nativité aux bergers par les anges. Plus tard, la résurrection est, elle aussi, annoncée aux femmes par les anges. Autrement dit, nous avons deux paroles divines: «Un sauveur vous est né», et «il est ressuscité.» On peut donc lire et vivre Noël à la lumière de Pâques.
Dans le récit de Noël chez Matthieu, nous trouvons aussi le récit de la visite des mages que nous voyons souvent comme anecdotique, voire folklorique.
Nous catholiques, nous avons un peu perdu de vue, contrairement aux orthodoxes, l’importance de l’Epiphanie par rapport à Noël. En fait, les deux fêtes sont une manifestation de Dieu. L’Epiphanie est fondamentale parce qu’elle montre que l’Incarnation n’est pas destinée seulement aux juifs mais qu’elle est ouverte à tous les hommes. La présence de Dieu éclaire nos yeux, comme le dit le vieillard Syméon tenant l’enfant Jésus dans ses bras: «Mes yeux ont vu le salut que Tu as préparé à la face de tous peuples, lumière pour éclairer les nations». D’ailleurs les cadeaux que nous nous faisons à Noël remonte aux présents des mages.
Que contemplons-nous dans la crèche?
Le divin est invisible, l’humain est visible. C’est en regardant la vie humaine de Jésus, en commençant par ses premiers vagissements de bébé, à la lumière de la foi, que nous découvrons le visage même de Dieu. (cath.ch/mp)
Gilles Emery: Présence de Dieu et union à Dieu, Création, inhabitation par grâce, incarnation et vision bienheureuse selon saint Thomas d’Aquin, Parole et Silence, Paris, 2017, 268 p.
Maurice Page
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