«Les droits humains ne s’accommodent pas de la tiédeur de l’indifférence», a relevé d’emblée Martine Brunschwig-Graf. 70 ans après sa proclamation, à Paris, le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme est une vieille dame, toujours alerte qui ne se satisfait pas de compromissions. Pour la présidente de la Commission fédérale contre le racisme «le respect de l’être humain n’est pas négociable». Même s’il faut bien admettre que les persécutions basées sur la religion, le sexe ou la race n’ont hélas pas disparu depuis 70 ans. Une tendance inquiétante selon l’oratrice qui démontre que «la hiérarchie des valeurs s’est inversée».
«Le monde est ainsi fait. Les humains sont faillibles, et les droits de l’Homme nécessitent une vigilance constante et une conviction forte», déclare l’invitée de l’Appel spirituel de Genève. Ce qui ne dispense cependant pas de s’interroger face à la tentation de décrire la Déclaration des Droits de l’Homme comme un produit de la civilisation occidentale indifférente aux préoccupations des autres parties du globe. Un débat à prendre au sérieux, mais j’estime qu’il ne doit pas se conclure par la remise en cause de l’universalité de la Déclaration qui porte les droits et libertés fondamentales de l’être humain».
Ce que confirme Mgr Jacques Gaillot. «L’individu doit être au centre, bien plus que le groupe ou la communauté». Selon l’évêque émérite d’Evreux, il nous incombe de créer un monde ou chacun existe pour l’autre au delà des différences visibles.
«Nous n’avons pas été créés pour devenir une copie de son voisin», lance Mgr Gaillot. Mais «devenir soi est une aventure difficile qui ne s’accomplit que par la rencontre de l’autre». Et cet autre dit nécessairement quelque chose de Dieu. Pour l’évêque de Parténia, reconnaître la dignité de tout être humain, même le plus petit, est une attitude libératrice, alors que «mépriser l’être humain veut aussi dire que nous méprisons Dieu». Le prélat parle de son vécu auprès de ceux qui n’ont souvent ni droits, ni voix au chapitre, mais possèdent une incomparable dignité. «Lors de ma rencontre avec le pape François, je l’ai remercié, car les exclus de ce monde se sentaient enfin reconnus», explique-t-il. «Quitter l’humain pour aller à Dieu?», impensable pour l’évêque. Ce n’est qu’en restant auprès de l’autre, que l’on arrive à la rencontre de Dieu. D’ailleurs, si Mgr Gaillot croit en Dieu, c’est aussi parce qu’il croit en l’Homme! Et à l’approche de Noël, il ne cesse de le répéter, «Noël est la fête de l’incomparable dignité de l’Homme dans un monde ou ses droits sont si souvent violés».
Jacques Gaillot a été évêque d’Evreux, au nord de la France de 1982 à 1995, date de sa révocation par Rome, en raison de ses prises de position jugées contraires au magistère de l’Église catholique et considérées comme allant au-delà de la réserve demandée aux membres du clergé. Il est alors nommé évêque in partibus de Parténia, un diocèse disparu situé dans l’Algérie actuelle. Il reste engagé dans maintes luttes sociales, morales ou politiques.
L’ONU envisage de garantir les droits des personnes LGBTI. Quel regard portez-vous sur les récentes déclarations du pape concernant les homosexuels?
Une parole malheureuse du pape selon moi, elle a blessé beaucoup de gens. C’est une régression par rapport à ce qu’il disait lui-même. J’ai été malheureux d’entendre cela, alors que ces personnes souffrent déjà de discriminations dans la société. De plus, cela signifiait presque que ces personnes sont malades et qu’elles doivent se faire soigner.
Pensez-vous que les religions peuvent-être un frein aux droits humains?
En Eglise la liberté fait peur. Pendant longtemps, la liberté d’expression était compliquée au sein de l’Eglise, alors que chacun devrait pouvoir s’exprimer même s’il n’est pas «conforme». Pour moi, il ne s’agit pas d’être conforme, mais authentique. Je pense que l’Eglise doit apprendre à aimer la liberté d’expression.
Selon vous, l’interdiction pour les femmes d’exercer certaines fonctions religieuses ne se heurte-t-elle pas au droit à la non-discrimination?
La place des femmes dans la société ne doit pas laisser l’Eglise indifférente, cette dernière doit recevoir et accepter cela. Si la femme a un droit d’accès à tous les niveaux de la société, il est difficile que cela ne puisse pas aussi se produire au sein d’une institution comme l’Eglise. (cath.ch/myb/mp)
Maurice Page
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