Quelque 6’000 migrants honduriens, partis «en caravane» à la mi-octobre pour se rendre aux Etats-Unis, ont été stoppés à la frontière américaine. Ces familles ont commencé à se disperser près de Tijuana, au nord-ouest du Mexique, dans un quartier excentré, au pied du mur infranchissable qui sépare le Mexique de «l’eldorado» tant rêvé.
«Ils fuient la pauvreté, le manque de travail, les maras et les pandillas (des gangs de jeunes criminels violents, ndlr) qui vivent des extorsions qu’ils imposent aux habitants des barrios, les quartiers populaires. Malheureusement, ce sont des pauvres qui exploitent d’autres pauvres…», affirme le prélat salésien de 76 ans, par ailleurs coordinateur du C9, le conseil des cardinaux chargé d’aider le pape François à réformer la Curie romaine.
Cath.ch l’a rencontré à l’occasion de l’assemblée générale annuelle du Secrétariat épiscopal d’Amérique latine (SEDAC), tenue du 26 au 30 novembre 2018 à Valle de Angeles, près de Tegucigalpa. Les évêques du Guatemala, du Honduras, du Salvador, du Nicaragua, du Costa Rica et du Panama ont abordé notamment la migration forcée d’une importante partie de la jeunesse d’Amérique centrale. En particulier, plus de la moitié de la population hondurienne est composée de jeunes de moins de 18 ans «sans avenir au pays». Nombre d’entre eux cherchent à sortir de la misère en prenant la périlleuse route de la migration clandestine.
Président de Caritas Internationalis de 2007 à 2015, le cardinal hondurien se dit sensible à l’appel du pape François «qui nous a demandé d’aller aux périphéries, d’aider ceux qui sont dans le besoin». Il estime cependant que, face au phénomène nouveau des «caravanes» de migrants, – un mouvement massif et organisé qui les rend moins dépendants des ‘coyotes’ – l’Eglise a peu de moyens.
«Nous faisons ce que nous pouvons, mais le problème est d’une telle ampleur!», regrette-t-il. Dans les quartiers marginalisés, les mareros ont des armes et font régner la terreur. Ils prélèvent des ‘taxes’ sur les gens les plus pauvres, qui n’ont pas les moyens de résister.
«Les mareros peuvent même les contraindre à céder leur maison… Ils rançonnent les magasins, les commerces, les chauffeurs de taxis ou de bus, et si ceux-ci refusent de payer, ils risquent tout simplement d’être tués. L’Etat lui-même se révèle impuissant face à ce système de crime organisé. Les policiers qui vivent dans ces quartiers ne peuvent intervenir, ils ferment les yeux, car, sinon, ils mettraient en danger leur propre famille. A la fin, ceux qui ne peuvent payer et craignent pour leur famille, s’en vont, préférant vendre tous leurs biens pour payer le passage vers les Etats-Unis. Beaucoup sont refoulés, forcés de rentrer, ayant tout perdu, alors qu’ils espéraient pouvoir faire vivre leur famille avec les remesas, l’argent qu’ils espéraient envoyer au pays».
Les envois de fonds des émigrés aux familles restées au Honduras, les remesas, dépassaient en 2017 les 4 milliards de dollars, selon la Banque centrale du Honduras (BCH), soit plus de 18% du produit intérieur brut (PIB) du pays. Selon les données officielles, 80% des fonds envoyés au Honduras proviennent des Etats-Unis, où un peu plus d’un million de Honduriens vivent légalement ou illégalement.
Les remesas sont la principale source de devises étrangères du pays, en plus des exportations telles que le café, les crevettes ou les produits des maquilas, les usines de sous-traitance étrangères bénéficiant d’une exonération des droits de douane et dont les produits sont destinés à l’exportation. Les autorités économiques honduriennes ont fixé un objectif de plus de 4,6 milliards de dollars cette année pour les envois de fonds en provenance des familles émigrées.
Alors que le drapeau du Honduras est orné de cinq étoiles, «malheureusement, pour la majorité de la population, la qualité de vie ne correspond à aucune étoile», notent les religieuses missionnaires scalabriniennes, qui s’occupent depuis plus d’un quart de siècles des migrants en Honduras, notamment des migrants renvoyés des Etats-Unis. Avec un niveau élevé de corruption et d’impunité, le Honduras est le 6e pays le plus inégalitaire du monde, et après le Guatemala, le plus pauvre d’Amérique latine.
«L’inégalité en Amérique centrale est très forte: les 40% les plus pauvres reçoivent entre le 12 et le 17% du revenu national, alors que les 20% les plus riches en accaparent entre 53 et 62%», a déclaré aux évêques du SEDAC le Père jésuite José Maria Tojeira, directeur de l’Institut des droits humains de l’Université centraméricaine (UCA) du Salvador. Il a rappelé que «la rencontre avec Jésus Christ dans les pauvres est une dimension constitutive de notre foi».
Au Honduras, les statistiques indiquent un taux de natalité de 2,5%, avec un taux de mortalité infantile de plus de 20 pour mille. Plus de 30% des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition chronique, et une grande partie des enfants en âge scolaire n’a pas accès à l’éducation primaire. Les données de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) révèlent que 64,5% de la population hondurienne vit dans la pauvreté, dont 42,6% dans une pauvreté extrême, soit plus de 3,5 millions de personnes.
Selon l’Institut national de la statistique (INE), 60% de population active travaille dans le secteur informel, ce qui limite les rentrées fiscales et provoque l’instabilité sociale et l’insécurité économique. «Plus de 30% des jeunes n’étudient pas et ne travaillent pas, ce qui augmente le nombre de migrants et, malheureusement, l’implication de cette population dans le crime organisé», déplorent les religieuses qui viennent en aide à ces populations.
Elles estiment qu’entre 80’000 et 100’000 Honduriens quittent chaque année le pays à la recherche de moyens de survie dans d’autres pays, principalement aux Etats-Unis, au Canada, au Mexique, au Costa Rica ou d’autres pays voisins.
L’assemblée du SEDAC 2018 était placée sous le signe de saint Oscar Romero, assassiné par les «escadrons de la mort» salvadoriens le 24 mars 1980, et des trois martyrs du Guatemala récemment béatifiés, le Père Stanley Rother, le Père Tulio Maruzzo et le laïc Luis Obdulio Arroyo. Pour les évêques présents à l’assemblée, ces martyrs «montrent le chemin d’une foi de disciples engagés pour la vie et la dignité des personnes». (cath.ch/be)
Cath.ch, qui participait à une visite aux Eglises d’Amérique Centrale au sein d’une délégation de l’œuvre d’entraide catholique internationale Aide à l’Eglise en Détresse (AED/ACN), a rencontré le cardinal Oscar Maradiaga lors de l’assemblée annuelle du SEDAC, tenue fin novembre 2018 à Valle de Angeles, près de Tegucigalpa, la capitale du Honduras.
Jacques Berset
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