Suicide des prêtres: «un acte symboliquement grave»

Soupçonnés de «comportement inapproprié», deux prêtres français de 38 ans se sont donnés la mort en l’espace d’un mois. Comment expliquer un tel geste de la part d’un prêtre? Eléments de réponses avec Christine Pedotti et l’abbé Joël Pralong.

«C’est un moment d’épreuve tragique et de souffrance», déclarait l’évêque d’Orléans, Mgr Jacques Blaquart, le 22 octobre 2018 en conférence de presse. Il évoquait les circonstances qui ont conduit, deux jours plus tôt, un prêtre de son diocèse, Pierre-Yves Fumery, 38 ans, à se donner la mort. En cause, des «comportements inappropriés envers des adolescents de 13, 14 ans» signalés par ses paroissiens, une «proximité physique» et un «comportement pas ajusté avec une jeune fille qu’il a prise dans ses bras et raccompagnée plusieurs fois en voiture».

Autre fait similaire. Le 18 septembre, c’est l’archevêque de Rouen, Mgr Dominique Lebrun, qui annonçait à la presse le suicide de l’abbé Jean-Baptiste Sèbe, 38 ans lui aussi. Il avait été dénoncé par une femme qui l’accusait de comportements indécents et d’agression sexuelle sur sa fille majeure. La jeune femme de 21 ans n’a pas déposé plainte, alors qu’une enquête préliminaire du chef d’agression sexuelle a été ouverte.

«L’un d’eux était mon ami»

«C’est une tragédie, déclare l’écrivaine et journaliste française Christine Pedotti à cath.ch. Je suis ‘troublée’ – et le mot est faible – à plus d’un titre par le suicide de ces jeunes prêtres. D’une part, l’un était mon ami. Et d’autre part, ils avaient tous deux 38 ans, à l’instar de ‘mon curé de campagne’ [le protagoniste du roman 38 ans, célibataire et curé de campagne]. Un ami séminariste du Père Jean-Baptiste Sèbe – qui a entretemps quitté le séminaire – m’a confié sous le coup d’une infinie tristesse: ‘ils ont préféré la mort, plutôt que d’affronter la vie'».

Comment expliquer un tel geste de la part d’un prêtre? «L’acte du suicide n’est jamais un choix», observe l’abbé Joël Pralong, supérieur du séminaire pour le diocèse de Sion. Pour cet auteur d’un livre sur le suicide des jeunes, le passage à l’acte résulte d’un désespoir profond qui pousse la personne à quitter la souffrance, à tout prix, afin de retrouver la paix.

La fragilité de l’homme

«Comme tout homme, le jeune prêtre est fragile, explique l’abbé Pralong. D’autant plus lorsqu’il est envoyé dans un monde redoutable. Son désir d’être un exemple l’emmène parfois vers un déni d’humanité. Je constate régulièrement une raideur chez certains jeunes prêtres – sur la doctrine, sur la morale, sur l’habillement –, qui leur sert souvent à cacher leur fragilité. A vouloir viser un modèle qui est au-delà de nous-même, la fragilité finit toujours par nous rattraper. Et nos problèmes de sexualité mal réglées avec. C’est l’image qui craque.»

La rareté des vocations a mis le prêtre sur un piédestal, selon Christine Pedotti. «On en a fait des élus! Si vous avez une vision idéalisée de vous-même, comment ne pas s’effondrer lorsque que vous réalisez que vous n’êtes pas à la hauteur de l’image que vous renvoyez?»

L’intimité du prêtre

Pour l’intellectuelle catholique, on se focalise à tort sur la sexualité des prêtres. Il s’agit avant tout de se questionner sur l’intimité. «La vie de famille ne protège certes pas du suicide, mais elle est un rempart contre une vie inhumaine. On a tous besoin d’une épaule sur qui se reposer».

La solitude est terrible pour le prêtre, qui préfère parfois régler seul ses problèmes, afin de ne pas briser son image, poursuit Joël Pralong. «Dans le contexte généralisé de dérapages sexuels dans l’Eglise, on est devenu légaliste. Le moindre geste est devenu suspect. Les évêques sont mis à rude épreuve. Heureusement que tous ne cèdent pas à ce légalisme ambiant et continuent d’offrir un réel accompagnement à leurs prêtres, même lorsque ceux-ci sont suspectés, à tort ou raison».

Le soupçon qui devient un poison

A la tête de la Conférence catholique des baptisé-e-s francophones (CCBF), Christine Pedotti a toujours milité pour que l’Eglise fasse «son nécessaire boulot de transparence», que ce soit concernant les abus sexuels ou les scandales de pédophilie. «En l’absence de clarté, dit-elle, le soupçon qui pèse [sur l’image du prêtre, ndlr] devient immanquablement un poison. Et il finit par confondre tout le monde».

«Quels que soient les comportements déviants, avérés ou non, personne ne peut souhaiter la mort d’un prêtre, ajoute la directrice de la revue Témoignage chrétien. Le suicide d’un prêtre est symboliquement grave. Cela veut dire qu’on ne se pardonne pas à soi-même».

«Dans le don de soi, rappelle Joël Pralong à ses séminaristes, la mission première du prêtre n’est pas d’abord de chercher à être aimé par les autres. Mais d’être témoin de l’amour de Dieu pour tous les hommes. Cela passe par une acceptation de soi comme un être fragile. Tant que l’on a pas accueilli ses propres faiblesses, on ne peut pas se pardonner à soi-même».

Un cri d’alarme

Pour Christine Pedotti, le seul triste bénéfice lié à cette tragédie est que l’Eglise pose désormais un regard lucide sur cet interdit majeur qu’est le suicide. «Lors des conférences de presse, les évêques ont été très nets sur les circonstances des drames. Ils n’ont pas chipoté sur les mots. On peut supposer que les proches de jeunes suicidés ne craindront plus d’être jugés par l’Eglise, lorsque celle-ci propose d’accompagner leurs souffrances».

«Ces suicides de prêtres sont un cri d’alarme, s’exclame Joël Pralong, de son côté. Un cri d’alarme qui doit remonter jusqu’aux évêques et ne jamais s’éteindre. Tout ce qui arrive aujourd’hui doit nous rendre plus humains. Et nous rappeler que l’Eglise est là pour proposer un chemin d’humanisation. Le Christ dit: Il faut renoncer à soi-même pour me suivre. Renoncer à soi-même ne signifie pas de renoncer à son humanité, mais bien de renoncer à ce qui nous empêche d’exercer librement notre humanité». (cath.ch/gr)

Grégory Roth

Portail catholique suisse

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