«Malheureusement oui», répond avec une pointe d’amertume Carolina Costa. Pasteure dans l’Eglise protestante de Genève, elle attendait beaucoup de ce pape. Et elle n’était pas la seule. «Un grand nombre de pasteurs se reconnaissaient dans ses propos et ses gestes hautement symboliques, lorsqu’il s’est rendu à Lesbos ou lorsqu’il accueillait des migrants au Vatican, par exemple. Nous pensions qu’il avait remis l’Evangile au centre. Nous étions les témoins d’un souffle bienfaisant sur l’Eglise catholique.»
Et puis il y a eu sa visite à Genève, le 21 juin dernier, et l’absence totale des Eglises réformées de la liturgie célébrée à Palexpo. Un regret pour la pasteure genevoise et bon nombre de protestants avec elle, mais «pas vraiment une surprise».
«Que reste-t-il des espoirs nés d’une soirée d’élection?»
En comparant l’avortement au recours à un tueur à gages, mercredi dernier, un nouveau palier a été franchi. Des propos «désolants» qui témoignent d’une «méconnaissance de ce qui se passe dans la réalité», soupire Carolina Costa. En tenant un tel discours, «c’est comme si le pape avait mis un coup de gomme sur tout ce qui avait suscité notre espérance».
«Sur la question de l’avortement, le pape François est dans la ligne de l’Eglise catholique, affirme de son côté la politicienne socialiste Ada Marra. Mais sa manière de l’exprimer est maladroite. On lui est tombé dessus à bras raccourcis, ce que je comprends. Mais il ne faut pas oublier qu’il vient d’un continent où l’avortement est tabou».
«Rome persiste à condamner l’IVG. Par contre, beaucoup de prêtres autour de moi se montrent plus libéraux sur cette question complexe», atteste la conseillère nationale vaudoise, qui ne cache pas sa foi catholique. «L’Eglise catholique est mise sous pression. Contrairement à ce qu’on pense, beaucoup de choses vont évoluer». Dans ce contexte, «François reste l’homme de la situation».
«N’attendez pas de moi des éloges du pape François.» Le Père Jean-Michel Moix est remonté. «Ce pape souhaite changer la morale de l’Eglise, lance le vicaire de Val d’Illiez. Voyez Amoris Laetitia qui ouvre l’accès à la communion aux divorcés remariés. C’est comme un cheval de Troie ou un virus informatique. Il s’introduit dans la morale de l’Eglise et ruine le tout».
Pourtant, François a aussi fait preuve d’allégeance aux partisans d’une tradition spirituelle séculaire. «Quand on ne confesse pas Jésus-Christ, on confesse la mondanité du diable», affirmait-il dans son homélie inaugurale, au lendemain de son élection sur le trône de Pierre. Plus récemment, il demandait aux fidèles réunis sur la place Saint-Pierre de «prier saint Michel archange pour repousser les attaques du diable qui veut diviser l’Eglise».
Des citations utilisées à dessein, selon l’abbé Moix. «François sait qu’il ne peut pas tout abolir d’un coup. Il doit le faire progressivement. Il fait mine de vouloir consolider la note conservatrice de l’Eglise, mais il n’a pas l’amour de la tradition. Sous couvert de miséricorde, il chamboule les règles morales de l’Eglise et y introduit sa révolution».
Un changement que d’autres, dans le clergé romand, appellent de leurs vœux. «J’espérais que tout irait plus vite, confie le chanoine Claude Ducarroz. La réforme de la curie, la décentralisation de l’autorité, l’élargissement des ministères, la place de la femme dans notre Eglise, des avancées œcuméniques significatives: que c’est lent!», s’attriste le prêtre fribourgeois.
Le chanoine Ducarroz reconnaît toutefois que François «a réussi à faire bouger les lignes. Dans la société, avec son encyclique sur l’écologie, avec sa solidarité affichée et cohérente avec les migrants en perdition.»
Et dans l’Eglise? «C’est tellement difficile. Le synode sur la famille a mieux promu une pastorale de la miséricorde. Très bien. Dans les affaires de pédophilie, François semble maintenant au clair et efficace. Quant aux grandes réformes internes, j’attends davantage. Après 5 ans et 26 séances prolongées avec son conseil rapproché, le groupe des 9 cardinaux, qu’est-il sorti jusqu’à ce jour? Pas grand-chose, semble-t-il. On devine beaucoup de résistances.»
Le théologien jurassien Noël Pedreira cherche lui aussi à inscrire les récents propos du pape François au sujet de l’avortement ou de l’homosexualité dans un contexte plus large.
«Ceux qui ont une compréhension superficielle du pape François peuvent être surpris. Si on le considère comme un altermondialiste limite gauchiste, on peine à comprendre de telles déclarations. Pour moi, elles se noient dans un ensemble de paroles bien plus vaste qu’il faut considérer dans leur globalité. François, c’est aussi le pape qui console un gamin qui vient de perdre son chien et lui assure qu’il est au paradis.»
«Sur la place publique, conservateurs et progressistes se déchirent, tirant chacun sur la soutane du pape selon qu’on le trouve trop rigide au plan moral ou trop social en politique», observe pour sa part Philippe Becquart, théologien de l’Eglise catholique dans le canton de Vaud.
Il s’interroge: «Que reste-t-il des espoirs nés d’une soirée d’élection où la grâce s’invitait dans le visage humble de cet homme, jésuite au nom franciscain, qui, aussitôt présenté au balcon de Saint-Pierre, invitait le ›peuple de Dieu’ à prier pour lui?»
Au-delà des guerres partisanes, la réponse tient en un mot: «synodalité». «Une manière de gouverner insistant sur la consultation, la réflexion en commun et la collégialité. François donne sa vision de l’Église comme ›peuple de Dieu’ en marche». Aux yeux du théologien, «C’est la base de toutes les mutations à venir dont l’Eglise a besoin». (cath.ch/bl/pp)
Pierre Pistoletti
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