Gianluigi Nuzzi: «La promesse de tolérance zéro du pape François n'est que du marketing»

Blanchiment d’argent par millions, des jeunes filles et des enfants de chœur qui disparaissent subitement et sont violés pendant des années… Le journaliste italien Gianluigi Nuzzi rend compte de ces sombres réalités du Vatican dans son quatrième livre Peccato originale (péché originel). Il était de passage à Zurich, début octobre 2018, pour en présenter l’édition en allemand.

C’est votre quatrième livre sur le Vatican. Trois, ce n’était pas assez?
Gianluigi Nuzzi: Il n’y a que quatre publications de documents du Vatican sur les cent dernières années de l’histoire du Vatican. Et mes quatre livres. Donc non, trois n’étaient pas assez.

Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire ce dernier livre?
J’ai rencontré un garçon qui prend une douche 16 fois par jour. Parce qu’il se sent sale. Il a été abusé pendant des années, par des ecclésiastiques. Quand tu te trouves devant quelqu’un comme ça, tu ne peux pas faire comme si tu ne l’avais pas entendu.

Cependant, le livre n’est pas seulement un ouvrage sur les abus.
Non, il est aussi question d’argent et de sang. L’histoire de ce garçon, cependant, ne m’a jamais quitté. Elle m’a aussi rappelé que j’ai une certaine responsabilité, lorsque j’entends de telles histoires.

Était-ce un sens chrétien des responsabilités?
Je fais mon travail de journaliste… et avec une sérénité chrétienne.

Néanmoins, n’avez-vous pas perdu la foi avec toutes les saletés que vous avez découvertes?
Vous savez, il n’y a pas de plan B. Je n’ai rien contre l’Église. J’ai seulement quelque chose contre les bandits. Et c’est de cela qu’il s’agit dans ce livre. De bandits qui exploitent les autres derrière les murs de l’Eglise, blanchissent de l’argent, travaillent avec la mafia et violent des enfants.

Concernant les abus, le pape François prône la tolérance zéro. Tient-il sa promesse?
Pas du tout, les promesses du pape François sont vides. C’est une farce marketing.

Qu’entendez-vous par là?
Je me souviens du soir où le pape François a été élu. Quand il est sorti sur le balcon de la place Saint-Pierre, il a refusé de mettre les vêtements typiques du pape, comme les chaussures rouges. Puis il a salué la foule avec un «buona sera» chaleureux et leur a même demandé de prier pour lui. Génial! Mais en réalité, il ne peut rien faire changer. Ni tenir la promesse de tolérance zéro.

Son prédécesseur, Benoît XVI, qui était plus conservateur, a fait beaucoup dans la lutte contre les abus: il a banni des centaines de prêtres pédophiles de l’Église, il a exigé une compensation financière pour les victimes. Aux États-Unis, un certain nombre de diocèses ont été mis en faillite en raison de tous les paiements versés aux victimes.

Que devrait donc faire le pape François pour poursuivre la lutte de Benoît XVI?
Il y a deux choses à faire. Tout d’abord ouvrir les archives. Ces portes sombres derrière lesquelles des centaines de dénonciations de victimes d’abus sont gardées. Il doit continuer ce que Benoît XVI avait commencé. D’autre part, et c’est la deuxième étape, le niveau auquel les abus sont combattus doit être changé.

De quelle façon?
En gros, l’Église catholique peut être divisée en trois niveaux : Les paroisses, les diocèses et le Vatican. Jusqu’à présent, comme Benoît XVI l’a fait, les prêtres ont été condamnés. Une lutte, donc, au niveau des paroisses.

Mais ce n’est pas suffisant, comme le montre la réalité. Vous connaissez le film Spotlight (sur les scandales d’abus sexuels dans l’archidiocèse de Boston, aux Etats-Unis NDLR). Des journalistes ont révélé comment des prêtres pédophiles étaient transférés d’une paroisse à l’autre. Imaginez ça! Les violeurs sont simplement relâchés pour trouver ailleurs de la ‘viande fraîche’ au lieu d’être poursuivis et démis de leur ministère. Il ne suffit donc pas de prendre des mesures contre les pédophiles, ceux qui savaient doivent aussi partir.

L’ex-nonce Carlo Maria Viganò a récemment demandé la démission du pape François. Il l’accuse de protéger certains cardinaux qui avaient connaissance d’actes pédophiles commis par d’autres personnes. Croyez-vous que cela est vrai?
Tant qu’il n’y a pas de preuves, je ne spécule pas. Mais Viganò n’est pas en mesure d’exiger la démission du pape. C’est un acte politique qui n’est pas théologiquement tenable. On ne peut pas exiger la démission du vicaire du Christ, comme le pape l’est du point de vue catholique.

Le pontife est l’homme le plus puissant de l’Église. Pourquoi ne met-il pas fin à la souffrance de victimes?
C’est vrai seulement en théorie. La pratique est différente. Le pape François est entouré de gens qui n’ont pas les mêmes intérêts que lui. Ils le bloquent, lui posent des pièges, par exemple en le conseillant mal. De plus, il y a le lobby gay et ceux qui menacent les gays de mettre au grand jour leurs préférences sexuelles.

Alors, le pape François a-t-il complètement échoué?
Non. C’est le meilleur pape pour notre époque. Il a réussi à orienter la mentalité derrière les murs du Vatican dans une direction différente. En fin de compte, si les gens ne changent pas leur façon de penser, toute réforme sera inutile. (cath.ch/ft/mp)

Gianluigi Nuzzi: Péché originel, Paris 2017, Flammarion

Maurice Page

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