Dans cette métropole en grande majorité sunnite, l’environnement reste hostile, bien que les djihadistes aient été chassés de la ville qui a été – en théorie du moins – totalement libérée en juillet 2017. Malgré la tension toujours palpable, une cinquantaine de familles chrétiennes sont pourtant déjà revenues. Le Père Emmanuel espère que d’autres suivront, car il veut faire renaître sa paroisse, totalement vidée de ses fidèles à l’arrivée des djihadistes de Daech, l’Etat islamique (EI), le 10 juin 2014.
L’existence d’une église en fonction, affirme-t-il, est une garantie pour les chrétiens, qui sentent qu’ils ont un lieu de refuge dans une situation troublée. Le Père de rite syro-catholique officie pour le moment également en rite chaldéen, car les fidèles de cette communauté n’ont pas encore de prêtre. La paroisse syro-catholique d’al-Bichara est située sur la rive orientale du Tigre, qui partage en deux l’ancienne capitale du «califat islamique» instauré par Daech, à quelque 400 km au nord de Bagdad.
Cette métropole au riche passé abrite dans ses faubourgs les ruines de l’ancienne ville assyrienne de Ninive. Peuplée de chrétiens depuis les premiers siècles, siège de deux archevêchés catholiques (chaldéen et syriaque) et d’un archevêché syro-orthodoxe, elle est surnommée « la ville des Prophètes», de Jonas – Nabi Younès – en particulier. Le tombeau de ce prophète des trois religions monothéistes a été dynamité dès les premières semaines de la conquête de la ville par les djihadistes.
Sur la rive droite du Tigre, dans le centre historique de la ville, après avoir passé le pont provisoire qui enjambe le fleuve en remplacement du large pont de béton en partie détruit par les bombardements, l’arrivée dans le quartier d’Al-Meidan est apocalyptique.
Le squelette de l’église chaldéenne d’al-Tahira (Notre-Dame de l’Immaculée Conception), complètement dévastée, émerge au milieu des restes de maisons méconnaissables et des tas de gravats de couleur ocre. C’est dans cet endroit aujourd’hui effacé de la carte que les habitants de Mossoul, les Mossouliotes, chrétiens ou musulmans, venaient rendre grâce à la Vierge pour la protection de la ville.
Les terroristes islamiques, qui ont détruit toutes les croix sur les clochers, ont d’ailleurs fait de même avec la grande statue de Notre-Dame qui trônait au sommet du clocher de l’église, dont la coupole a été soulevée et retournée par les explosions.
Pour retrouver l’agitation coutumière d’une grande ville, il faut repasser sur l’autre rive, car dans cette zone, où s’étaient retranchés les derniers combattants de Daech, ce n’est plus qu’une suite d’édifices éventrés, de maisons aplaties par les bombardements, où tous les cadavres n’ont pas encore été dégagés des amas de ruines.
Agé de 45 ans, seul prêtre revenu s’y installer après la libération de sa ville natale en juillet 2017, le Père Emmanuel espère que davantage de chrétiens vont revenir. Le curé syro-catholique avait accompagné ses paroissiens dans leur fuite vers le Kurdistan, chassés par les djihadistes de Daech lors de la prise de la ville en juin 2014.
Ancien directeur du grand camp de déplacés chrétiens d’Ashti, à Erbil, au Kurdistan, le Père Emmanuel y avait fait construire en 2015, grâce à l’aide de l’ONG française Fraternité en Irak, une église démontable et transportable. Elle est actuellement remontée à Mossoul à l’emplacement même de son ancienne église, trop abîmée par le passage de Daech et les pillages du voisinage.
Dans la ville, les églises décapitées par les djihadistes, qui y ont fait flotter leur drapeau noir, ont été utilisées pour entreposer ce qu’ils avaient pillé dans les villages chrétiens et yézidis de la Plaine de Ninive, toute proche. Daech a aussi vendu nombre de bâtiments confisqués aux communautés chrétiennes, devenus «propriété de l’Etat islamique», à des entrepreneurs locaux. Les nouveaux «propriétaires» ont commencé à démolir les murs pour réutiliser les fers à béton.
«Tout ce qu’il y avait dans notre église a été volé, il ne restait plus que les murs. C’étaient les gens du quartier, un pillage organisé. Ils ont pris tout ce qu’ils pouvaient dans les maisons des chrétiens… même après la libération de la ville. Dans l’église chaldéenne du Saint-Esprit, comme dans les autres églises, ils ont descellé les marbres, pour les revendre». Le prêtre a mis sur pied un comité avec les services de sécurité et l’armée pour récupérer des dizaines de maisons chrétiennes occupées illégalement par des musulmans.
«On pouvait voir à la vente, partout sur les marchés, des objets de seconde main portant des inscriptions chrétiennes, des frigos, des machines à laver, etc., qui avaient été dérobés dans les maisons des chrétiens», confirme le Père Paulus Sati. Natif de Mossoul, en Europe depuis 1997, il est responsable de la communauté chaldéenne à Anvers et au Luxembourg, et désormais à la tête de l’éparchie catholique chaldéenne du Caire. Il accompagnait une délégation de l’organisation catholique Aide à l’Eglise en Détresse (AED-ACN) visitant Mossoul et les villages chrétiens en reconstruction dans la Plaine de Ninive. (*)
L’insécurité demeure dans le quartier: les terroristes, actuellement silencieux, maintiennent des «cellules dormantes» dans cette métropole à l’islam traditionnaliste. Le Père Emmanuel veut cependant reconstruire sur les lieux mêmes de son ancienne paroisse un centre paroissial qui accueillera, outre l’église du camp d’Ashti, une résidence pour les étudiants chrétiens fréquentant l’Université de Mossoul toute proche et des logements pour les prêtres.
Quand les djihadistes de Daech sont arrivés, ils ont écrit sur le mur «propriété de l’Etat islamique», explique-t-il, avant de montrer aux visiteurs la grande croix métallique qui ornait le clocher de son église avant leur arrivée. «Ils ont enlevé toutes les croix sur les églises de la ville, profané les lieux saints, mutilé les statues, martelé les croix de pierre, ravagé les cimetières chrétiens…»
Un peu plus loin, toujours à Mossoul-Est, l’église St-Paul des chaldéens a été saccagée par Daech, mais elle avait été déjà fortement endommagée par une voiture piégée quelques années auparavant. L’édifice abrite la tombe de l’archevêque chaldéen de Mossoul, Mgr Paulos Faraj Rahho, enlevé le 29 février 2008 par des hommes armés qui tuent trois de ses gardes du corps et exigent une importante rançon. Son corps est retrouvé le 13 mars suivant, enterré près de Mossoul.
«Mgr Rahho avait bâti cette église en 1985-86, c’était son église et il voulait y être enterré. Quand les djihadistes ont vu sa tombe, ils l’ont détruite. Ils avaient fait un grand trou dans le mur de l’église, pour y cacher leurs véhicules, pensant que la coalition alliée n’allait pas bombarder un lieu de culte», précise le Père Paulus Sati. De jeunes volontaires, chrétiens et musulmans, ont prêté main forte aux ouvriers pour remettre l’église en état.
«Il ne faut pas mettre tous les musulmans dans le même panier, car certains ont aidé les minorités persécutées par Daech, que ce soient les chrétiens, les yézidis ou les shabaks (musulmans chiites, ndlr)», témoignent, sous couvert d’anonymat, deux religieuses de la Fraternité des petites sœurs de Jésus. Elles ont travaillé à Mossoul avec des familles musulmanes, et à Bashiqa, village mixte de la Plaine de Ninive, où depuis des siècles cohabitaient des chrétiens, des yézidis et des shabaks.
Fortement engagées dans le dialogue avec les musulmans, suivant la spiritualité de Charles de Foucauld, les religieuses relèvent, dans un français parfait, que nombre de musulmans ont souffert des djihadistes. Et de citer ces médecins assassinés pour avoir dénoncé le sort des filles et des femmes yézidies vendues sur les marchés par les djihadistes, pour devenir leurs «esclaves sexuelles».
«Nous voulons retourner à Mossoul, mais pas tout de suite. Nous donnons nos vies pour les musulmans, nous avons gardé l’amitié de certaines familles. Mais il est vrai que de nombreux musulmans ont salué la prise de Mossoul par Daech. Ce n’est certainement pas facile d’avoir confiance après ce qui s’est passé… " (cath.ch/be)
L’arrivée de Daech, relève le Père Emmanuel, a signifié la fin des chrétiens dans cette ville qui comptait 2,7 millions d’habitants avant l’invasion américaine de l’Irak en 2003. A Mossoul cohabitaient, aux côtés d’une majorité sunnite, des minorités chrétiennes, shabaks, yézidis, kurdes, assyriennes, arméniennes et turkmènes. Mossoul comptait alors plus de quarante églises et monastères.
«La persécution des chrétiens n’a pas commencé avec l’arrivée de Daech, car la ville était devenue, après la chute de Saddam Hussein, un bastion d’al-Qaïda en Irak (AQI) et de l’intégrisme wahhabite sunnite. Dans les années 2000, la ville comptait quelque 50’000 chrétiens, mais sitôt après la disparition du régime baathiste, la persécution des chrétiens s’est déchaînée. «Quand je sortais du centre paroissial pour une activité pastorale à l’extérieur, je ne savais pas si j’allais pouvoir rentrer vivant…», déclare le Père Emmanuel.
Pendant les années de terreur, un millier de chrétiens ont été assassinés et il ne restait plus que 2’500 chrétiens à l’arrivée de Daech.
La petite minorité chrétienne qui n’avait pas encore fui devait se terrer, cible des enlèvements, des demandes de rançon et des assassinats. Le Père Raghid Ganni, un jeune prêtre chaldéen de 35 ans, et trois sous-diacres, étaient abattus, le 3 juin 2007, tout près de l’église du Saint-Esprit, puis ce fut le tour de l’archevêque chaldéen Paulos Faraj Rahho. Auparavant, en octobre 2006, le prêtre orthodoxe Paulos Amer Iskandar était décapité par des terroristes. Il avait refusé de se convertir à l’islam, faisaient savoir ses ravisseurs…
La ville connaissait alors quotidiennement enlèvements et attentats sanglants. Les kidnappings de prêtres et de religieuses pour obtenir des rançons étaient courants. C’était là, avec le pillage des édifices chrétiens, un des moyens de financer les organisations terroristes. JB
L’architecte Zaid Al Niser, représentant de l’Eglise syriaque orthodoxe au sein du Comité pour la Reconstruction de Ninive (CRN), confie que, pendant cette période, il se rendait de temps en temps à Mossoul pour y visiter son oncle. «Il fallait cacher son ordinateur, car les gens d’AQI pensaient que celui qui se promenait avec un portable travaillait pour les Américains. Ils assassinaient ceux qui travaillaient pour eux, notamment les traducteurs ou les chauffeurs».
Une majorité de la population de la ville a applaudi l’arrivée des djihadistes de Daech, car les sunnites de Mossoul se sentaient opprimés par le pouvoir de Bagdad, aux mains des chiites, relève Zaid Al Niser. Mais quand ils ont vu le régime rigoriste qui leur était imposé et auquel ils devaient se plier sous peine de mort, beaucoup ont vite perdu leurs illusions. Nombre de musulmans sunnites ont fui la terreur, mais beaucoup ont collaboré.
Les chrétiens qui voulaient rester ont été mis en face d’un choix crucial: se convertir à l’islam, partir, ou être tués. Leurs maisons ont été marquées de la lettre «N» en arabe (N pour Nasara, à savoir chrétiens), avec la mention «Propriété de l’islam». Les chrétiens n’ont rien pu emporter de leurs biens.
Certaines personnes âgées, qui ne voulaient pas partir à l’arrivée de Daech, ont accepté de se convertir à l’islam, faute de quoi elles étaient exécutées. Plusieurs l’ont été pour le simple fait de ne pas s’habiller selon les préceptes de l’islam rigoriste imposé par le nouveau régime, ou pour tenir une salle de fitness, activité considérée comme «haram», interdite, par les «nouveaux maîtres» de la ville. (cath.ch/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
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