«Qu’est-ce que la spiritualité et à quoi ressemble la pratique religieuse qui l’accompagne?» Telle a été la question centrale posée au panel d’experts par la modératrice Martina Bär, professeure à l’Université Libre de Berlin et spécialiste en dialogue interreligieux. Pour la musulmane Jasmina El-Sonbati, auteure et enseignante, la spiritualité est «un moment de contemplation et de silence où l’inspiration peut survenir». L’écrivaine d’origine autrichienne est partisane d’un islam libéral. «Idéalement, les idées ou les modèles qui alimentent une communauté en énergies positives émergent de ce silence», a-t-elle assuré. Le Coran est pour elle une source centrale de spiritualité, même si elle admet qu’il existe diverses façons de le lire.
Peter Hüseyn Cunz avait également une histoire intéressante à raconter. Il y a quelques années, l’ingénieur de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETH) a rencontré la fille d’un imam indien. Quand ils se sont mariés, Peter Cunz s’est converti à l’islam. Après avoir lu le best-seller de Reshad Feild La voie de l’invisible, il s’est tourné vers le côté spirituel de l’islam. «Pour moi, une personne spirituelle est une personne qui a conservé son désir et sa curiosité pour la source d’où il vient», a affirmé l’adepte du soufisme. Ecouter la voix d’Allah est selon lui d’une importance capitale. Il a également appelé à «dire adieu à ces versets qui n’ont plus rien à voir avec notre réalité et développer davantage ceux qui donnent des impulsions positives à notre communauté».
Pour Niklaus Bratschen, ancien directeur de la maison de ressourcement spirituelle Lassalle de Bad Schönbrunn (ZG), la spiritualité est une question d’attitude, une façon de vivre. A la fois jésuite et maître zen, il a parlé de ce concept d’un point de vue chrétien et bouddhiste. «Comment est-ce que je me comporte au quotidien avec moi-même et avec les autres?», s’est interrogé l’auteur. «Quelle est ma force de conviction dans ce vécu? Est-ce que je respire de façon plate et superficielle ou profondément?» Niklaus Bratschen vit continuellement selon la devise ignatienne: «Chercher et trouver Dieu en toutes choses».
Samuel Behloul, responsable pour le christianisme à l’Institut zurichois pour le dialogue interreligieux (ZIID) et professeur d’études religieuses à l’Université de Lucerne, estime que les personnes spirituelles sont celles «qui prennent leur religion très au sérieux et qui ont une pensée sociale critique». Au risque de perturber leur entourage.
C’est exactement ce qu’a fait Nicolas de Flüe, qui a justement vécu sa spiritualité érémitique au Ranft. Markus Amrein, qui joue actuellement Frère Nicolas dans la pièce de théâtre «Der Ranft-Ruf» (l’appel du Ranft), a été forcé de comprendre l’ambivalence du personnage afin de pouvoir complètement l’incarner. «Je crois que Nicolas de Flüe n’a jamais eu l’intention de devenir Frère Nicolas, ni même un artisan de paix. Il était tout simplement dépassé par la mesure de son être et par ce que cela impliquait»
Mais d’où les grands mystiques tels que Nicolas de Flüe tirent-ils la force de mener une vie souvent marquée par de grandes privations? Niklaus Bratschen pense que l’ermite du Ranft, qui aurait vécu plus de vingt ans sans manger, se «nourrissait de lumière». Il assure connaître des personnes qui ont vécu plusieurs années de la sorte.
Peter Cunz souligne que, dans le soufisme également, il y a cette phase d’ombre où l’homme doit se confronter à ses propres abîmes: «Comme Soufi, il est important pour moi de ressentir que, dans les ténèbres, je suis soutenu». Le musulman a vivement intéressé l’assistance en expliquant le Sema, un rituel que les adeptes de l’ordre des Mevlevi exécutent en tournant sur eux-mêmes, à l’instar des derviches. «Ce rituel doit nous purifier des énergies négatives», a souligné Peter Cunz. Le cheikh à l’allure de banquier rencontre quatre fois par an d’autres soufis à l’église réformée Saint-Jacques de Zurich, pour une cérémonie de Sema.
Le groupe de spécialistes a finalement débattu de la capacité d’une attitude spirituelle à contribuer à la paix entre les religions. Samuel Behloul a estimé que le principal était que chacun commence par lui-même et travaille sur son propre comportement. «L’homme doit demander que ce changement se fasse en lui-même. C’est ainsi qu’il peut déclencher une nouvelle dynamique en son for intérieur et chez les autres», a souligné le théologien catholique et expert en islam.
Niklaus Brantschen a, lui, insisté sur le pouvoir d’encouragement de la communauté. «C’est la seule façon pour les individus d’avoir le courage et la force de s’impliquer dans la politique sociale. Je me fiche de l’intériorité qui ne se manifeste pas publiquement», a martelé le jésuite.
Jasmina El-Sonbati a renchéri sur l’importance de l’action publique. «Les personnes spirituelles ont leur rôle à jouer dans cette société très individualisée. Ils peuvent et doivent contribuer à la construction de la société civile».
Niklaus Brantschen a finalement fait part de son optimisme pour l’avenir des «Rencontres du Ranft», estimant que quelque chose de nouveau et d’encourageant allaient en sortir. «Ces discussions pourraient bien se transformer en un petit mouvement», a suggéré le maître zen.
Les participants ont conclu la journée par une promenade dans le jardin du «Zentrum Ranft» et dans les gorges voisines. (cath.ch/kath/vr/rz)
Raphaël Zbinden
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