Il était 3 heures du matin lorsque des gardes armés au service de la firme sucrière dominicaine Central Romana Corp. ont fait irruption dans le village de Maria Magdalena Alvarez Galvez. Des dizaines d’autres personnes ont été victimes d’évictions forcées afin de récupérer leur terrain pour y planter de la canne à sucre.
«Nos maisons ont été détruites par des tracteurs et nous n’avions personne pour nous défendre», explique Maria Magdalena, des sanglots dans la voix. «Nous sommes allés à la Radio Seybo, qui appartient aux frères dominicains et qui émet dans la région d’El Seibo (A l’Est de l’île, où vivait Maria Magdalena, ndlr)». Alors que le gouvernement s’évertuait à faire taire les victimes, les Frères dominicains les ont écoutées.
Les religieux ont dénoncé à maintes reprises les exactions commises par Central Romana Corp. Mais depuis 2016, aucune des soixante familles victimes n’a été indemnisée. «La corruption est la principale cause de cet immobilisme», affirme le Frère Damian. «Les évêques dominicains ne soutiennent pas notre cause, car la majorité des bâtiments ecclésiaux sont financés par l’industrie du sucre», analyse-t-il. Maria Magdalena ajoute que la plainte que les familles ont déposée a été classée. «Il n’existait selon les juges pas suffisamment de preuves pour démontrer une violation des droits humains».
«Le sucre que nous mangeons est le résultat d’amères conditions de vie», se désole Damian Calvo Martin, Frère dominicain et directeur du Centro de Teologia Santo Domingo de Guzmán en République dominicaine. Impliqué depuis plus de vingt ans dans le combat pour les droits humains, le religieux dépeint une situation bien différente de l’image paradisiaque que bon nombre d’Européens et de Suisses se font de ce petit Etat des Caraïbes.
Central Romana Corp., et Grupo Vicini sont deux des plus grands producteurs de sucre du pays. Agissant en toute impunité, l’impact de leurs activités sur les droits humains et l’environnement est préoccupant. Une utilisation massive de produits phytosanitaires tels que le glyphosate, des conditions de travail comparables à de l’esclavage moderne, un recours à la main d’œuvre mineure et des évictions forcées à l’aide de milices armées, sont notamment dénoncés.
«Ce petit Etat des Caraïbes est exemplaire au niveau du nombre de traités ratifiés à l’ONU en rapports avec les droits humains», explique Carlos Lopes de la Commission internationale de juristes, une ONG chargée de la défense des droits de l’homme. «Ce qui se passe sur le terrain est pourtant bien différent».
Les témoignages de Maria Magdalena et du Frère Damian sont synonymes de petites victoires pour Dominicans for Justice and Peace, investie dans le combat pour faire valoir les droits des familles spoliées par l’industrie sucrière. La délégation de République dominicaine, cordialement invitée à se joindre à la session organisée hier au Palais des Nations Unies, ne s’est pas présentée. «Le gouvernement dominicain ne veut pas que le monde découvre le revers de cette façade paradisiaque», ironise le Frère Damian.
L’image idyllique de l’île est très utile à l’industrie du tourisme, tout aussi florissante que celle du sucre. Mais cette façade se fissure peu à peu, «le soutien international est croissant grâce à la présence de l’ONG à Genève», précise le dominicain. D’ailleurs, la rapporteuse spéciale sur le droit à un logement convenable a écrit au gouvernement dominicain et à Central Romana Corp. afin de savoir de quelle manière ils comptaient répondre à la situation des évictions forcées.
Suite à ce courrier la délégation dominicaine a pris contact avec l’ONG par peur du scandale. Elle n’a cependant pas encore indemnisé les victimes. Comme le proposait un auditeur présent à la session, il faudrait peut-être indiquer au consommateur la valeur du sucre en terme de coût humain. (cath.ch/mb/bh)
Dominicans for justice and peace
Basée à Genève et active, entre autres, au Burundi, en Colombie, aux Philippines, en République démocratique du Congo, au Pakistan ou en République dominicaine, l’ONG Dominicans for Justice and Peace est une organisation confessionnelle, non gouvernementale et sans but lucratif. Elle représente l’Ordre des Prêcheurs auprès des Nations Unies. L’organisation défend les droits de la personne auprès des Nations Unies, et soutient les communautés dans le besoin au niveau local.
L’objectif principal des Dominicans for Justice and Peace est d’approfondir l’engagement des dominicains et dominicaines dans la recherche de solutions pacifiques des conflits, d’analyser les causes profondes de diverses situations critiques, de promouvoir et défendre les droits de l’homme et de rendre justice aux personnes dont les droits ont été violés. MB
Bernard Hallet
Portail catholique suisse
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