Brésil: Jair Bolsonaro ou la tentation de l’extrême droite

Candidat ultra-conservateur aux élections présidentielles brésiliennes d’octobre 2018, nostalgique de la dictature, taxé de racisme, de misogynie et d’homophobie, Jair Bolsonaro, ex-catholique devenu évangélique, est en tête des sondages à mois d’un mois du scrutin.

La scène se passe le 21 juillet 2018 à Rio de Janeiro, lors de la convention du Parti social libéral (PSL – droite à extrême droite). Désigné pour représenter ce parti aux prochaines élections présidentielles brésiliennes (n.d.l.r. dont le premier tour aura lieu le 7 octobre prochain), Jair Bolsonaro exulte. «Ma candidature est une mission, lance t il aux 3000 militants qui l’acclament avec ferveur. Je suis ici parce que je crois en vous, et si vous êtes ici c’est parce que vous croyez au Brésil». Et de poursuivre: «De quoi avons-nous besoin? D’un homme ou d’une femme qui soit honnête, qui ait Dieu dans le coeur et soit un patriote».

Il y a quelques mois encore, imaginer que Jair Bolsonaro puisse accéder aux plus hautes fonctions du plus grand pays d’Amérique du Sud paraissait improbable à la grande majorité des observateurs. Pourtant, si l’on en croit les sondages, le sulfureux député a toutes ses chances. Ces derniers le désignent régulièrement comme large vainqueur du 1er tour, avec de 26 à 30% des intentions de votes.

«L’effet attentat»

L’hypothèse s’est encore renforcée après que le Parti des travailleurs ait désigné pour le représenter, le 11 septembre 2018, Fernando Haddad, ancien maire de Sao Paulo et ex-ministre de l’Education. Il aura la très lourde tâche de se substituer à l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2010), qui a jeté l’éponge après le refus du Tribunal suprême électoral de le laisser se présenter aux élections. De quoi changer la donne, puisque Lula était toujours favori des sondages, alors même qu’il purge depuis avril 2018 une peine de douze ans et un mois de prison pour corruption.

L’autre raison pour laquelle Jair Bolsonaro pourrait s’imposer tient au «capital sympathie» qu’il pourrait capter suite à l’attentat dont il a été victime le 6 septembre. Alors qu’il prenait un bain de foule à Juiz de Fora, dans le sud-est du pays, le «Trump Tropical», comme il est surnommé au Brésil, a en effet été poignardé par un homme de 40 ans. Opéré d’urgence pour une «lésion à l’abdomen», les jours du politicien de 63 ans ne sont pas en danger. Selon ses premières déclarations, l’agresseur, aurait agi  »pour des motifs religieux, de type politique et également en raison des préjugés que montre Bolsonaro à chaque fois qu’il parle de race, de religion et des femmes».

 Nostalgique de la dictature

Il est vrai que le candidat d’extrême droite a tout du «vilain petit canard», comme il aime lui-même à se présenter. Né en 1955 à Campinas, dans l’Etat de Sao Paulo, de parents d’origine italienne, Jair Bolsonaro a obtenu son diplôme de l’école militaire des Agulas Negras en 1977. Devenu capitaine de l’armée de terre, il a mené en 1986 un mouvement de protestation contre les salaires trop bas des militaires et a écopé d’une peine d’emprisonnement de 15 jours, pour »insubordination».

L’ancien soldat n’a jamais caché son admiration et sa nostalgie pour la dictature militaire (1964-1985) qu’il a régulièrement qualifiée de «révolution démocratique». Au point de dédier, le 31 août 2016, son vote pour la destitution de la présidente Dilma Rousseff  «à la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra». Ce militaire est accusé d’avoir été un des principaux tortionnaires durant la dictature brésilienne. Critiqué et objet de plaintes pour «apologie de la torture», Jair Bolsonaro a été jusqu’à vanter les mérites de l’ancien dictateur Augusto Pinochet, dans la presse chilienne, en novembre 2017.

Partisan de la torture

De fait, Jair Bolsonaro se présente volontiers comme un homme «hors du système politique». Il a pourtant été réélu sans arrêt député fédéral de Rio de Janeiro depuis 1990, sous les bannières de sept partis politiques différents. «Bolso mito» (littéralement «le mythe Bolso(naro)»), un surnom affectueux qu’utilisent ces partisans, est souvent qualifié de «nationaliste» et de «populiste». Il se présente lui-même volontiers comme un «conservateur de droite». Il fait partie de la très conservatrice (et majoritaire) Bancada B.B.B (»balle, Bible, bœuf»), qui regroupe les parlementaires liés aux intérêts de l’agrobusiness, des églises évangélistes et de la police militaire. Un volet sécuritaire qui constitue d’ailleurs un axe fort de son programme politique.

«Depuis le début de sa campagne politique, Jair Bolsonaro met l’accent sur l’importance de la sécurité publique, s’affirme comme un partisan du port d’armes, de la réduction de la majorité pénale à 16 ans, de la peine de mort et de l’utilisation de la torture contre les trafiquants de drogue», rappelle Mauricio Santoro, professeur en sciences politiques à l’Université d’État de Rio de Janeiro. Une posture radicale résumée lors d’une récente conférence de presse. Interrogé sur les violences policières dans les favelas, Jair Bolsonaro a en effet estimé que »si (un policier) tue dix, quinze, vingt personnes, il doit être décoré, pas poursuivi». En 2008, le député du PSL, avait même proposé, pour réduire la criminalité et la pauvreté, de contrôler les naissances à travers la stérilisation forcée des pauvres sans éducation et des criminels.

Catholique puis évangélique

Sur le plan économique en revanche, Jair Bolsonaro est moins disert. Et pour cause. Dans un entretien publié en août 2018 dans le journal O Globo, il a admis «ne rien y comprendre à l’économie», mais avoir pleine confiance en son ami Paulo Guedes, économiste formé à l’école libérale de l’Université de Chicago. Le candidat a néanmoins affirmé qu’il était favorable aux privatisations, «y compris de certains secteurs de Petrobras», la compagnie pétrolière au coeur d’un vaste scandale de corruption. Il a également affiché sa volonté de fusionner les ministères de l’Agriculture et de l’environnement, gage de soutien des très puissants propriétaires terriens.

Dernier volet à même de séduire une partie des Brésiliens, le profil moral et religieux, voire même hostile à la laïcité de Jair Bolsonaro. Sur le bandeau de sa page Facebook suivie par plusieurs millions d’internautes, celui qui se déclare être un farouche opposant de l’avortement écrit: «Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous». Pourtant, ses détracteurs s’interrogent sur la sincérité des convictions religieuses du personnage. Il est vrai que né et baptisé catholique, Jair Bolsonaro affiche depuis son troisième mariage une foi évangélique fervente. Mais cette foi serait, pour certains, entachée d’opportunisme et destinée avant tout à capter les voix des électeurs évangélistes, dont le nombre est en forte progression -autour de 30% de la population dans certaines régions du Brésil- et dont les leaders sont de plus en plus influents.

Homophobe et mysogyne

Jair Bolsonaro a par ailleurs du mal à cacher son homophobie. Dans un entretien accordé à Playboy,  en 2011, il avait même affirmé qu’il »ne pourrait pas aimer un fils qui serait homosexuel» et qu’il préférerait »le voir mourir dans un accident». Fin août 2018, lors d’une interview sur la chaîne Globo, il a assuré être opposé à l’union civile entre des personnes de même sexe. Il a brandi la version portugaise du Guide du zizi sexuel, illustré par le dessinateur suisse Zep. Il a affirmé que le livre, qui vise à expliquer la sexualité aux enfants, faisait partie d’un »kit gay» diffusé dans les écoles brésiliennes pour promouvoir l’homosexualité.

Autres cibles favorites de Jair Bolsonaro ? Les femmes. En 2003, il avait lancé à la députée de gauche Maria do Rosario qu’il »ne la violerait même pas» parce qu’elle est »très laide». Il avait été condamné à une amende de 3000 euros par la Justice. Aujourd’hui, il estime toujours que »la femme doit gagner un salaire moindre parce qu’elle tombe enceinte». Un discours qui passe mal auprès des Brésiliennes. Si Jair Bolsonaro est le candidat préféré des hommes (30%), il n’est ainsi adoubé que par 18% des femmes, selon un sondage de l’Institut brésilien d’opinion publique et de statistiques (IBOPE). Et 43% d’entre elles affirment qu’elles ne voteront jamais pour lui.

«Le candidat de l’exaspération»

Reste que Jair Bolsonaro surfe actuellement sur une vague qui semble devoir, au moins, lui assurer une participation au second tour. «Son succès est porté par la colère et l’exaspération d’une partie de l’opinion des classes aisées et moyennes, mais aussi d’ex-électeurs de Lula, face à la corruption systémique des politiques, mais aussi au climat de violence et d’insécurité qui n’a cessé de grandir ces dernières années dans le pays», estime Mauricio Santoro. Pour de nombreux Brésiliens, le candidat autoproclamé «anti-système» représente donc une alternative crédible. Lors de la convention du PSL, un participant avait d’ailleurs déclaré à la presse: «Notre pays est dans un tel état que seul Bolsonaro peut faire la différence. Seul Dieu est notre sauveur, mais Bolsonaro est notre espoir». (cath.ch/jcg/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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