L’Eglise en Suisse romande prend effectivement ses responsabilités en matière d’abus sexuels, souligne à Lausanne le responsable de la prévention de l’association ESPAS, l’Espace de soutien et de prévention pour les personnes concernées par les abus sexuels. L’association a d’abord été sollicitée par l’Eglise catholique à Fribourg et les premiers cours ont été dispensés dès 2013. Suite aux échos favorables, l’évêque a demandé qu’ils soient obligatoires pour tout le diocèse.
Le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) fait depuis 5 ans appel aux services d’ESPAS pour mener un travail de conscientisation. L’association basée à Lausanne (avec des antennes à Fribourg et à Sion) a ainsi mis sur pied des cours à destination des personnes au contact d’enfants: catéchistes, prêtres, religieux et religieuses, assistants pastoraux et séminaristes.
«Toute personne travaillant pour l’Eglise dans le diocèse est tenue de suivre des cours de prévention des abus sexuels, assurés par l’association ESPAS», peut-on lire sur le site du diocèse de LGF. L’association de prévention donnera de tels cours pour le diocèse de Sion dès le début de l’an prochain.
«Dès son arrivée sur le siège épiscopal de LGF, Mgr Charles Morerod a été confronté à la problématique des abus sexuels. Il a pris les choses à bras le corps: il a manifesté la volonté claire que les abus ne finissent pas cachés sous le tapis», assure le psychologue, qui a déjà une longue expérience dans ce domaine.
Marco Tuberoso précise qu’ESPAS – une trentaine de personnes travaillent au sein de l’association, dont cinq à la prévention – n’entre pas dans le débat sur les valeurs éthiques ou morales. C’est l’affaire des parents, des organisations ou des institutions, car les valeurs sont différentes selon les communautés et les groupes.
«On ne prêche pas la morale, ce n’est pas notre rôle! On est là pour parler de ce qui est légal et de ce qui est illégal, du point de vue du droit pénal. Si c’est pénal, on rappelle qu’il est obligatoire de transmettre l’information à son supérieur. Le diocèse de LGF a mis en place un schéma d’intervention en cas d’allégations d’abus sexuel. Dans chaque vicariat épiscopal, une personne est en charge de cette problématique et est en contact direct avec l’évêque».
Dans ces formations, à chaque fois d’une durée de trois heures, on dissèque des cas concrets et on propose les attitudes adéquates à adopter. Les intervenants d’ESPAS expliquent par exemple comment aborder la prévention dans telle ou telle organisation: clubs sportifs, camp de vacances, milieux religieux, domaine du handicap.
Les prestations des spécialistes d’ESPAS s’adressent principalement aux adultes qui encadrent des enfants, des jeunes ainsi que personnes en situation de handicap, de manière tant bénévole que professionnelle.
Dans ces cours, qui se donnent, pour le diocèse de LGF, à travers les vicariats épiscopaux de Fribourg, Genève, Lausanne et Neuchâtel, il s’agit de permettre aux responsables et encadrants de réfléchir à ce qu’est un contact adéquat, de situer la limite avec le contact inadéquat et ce qu’est un abus sexuel, et de donner des outils pour savoir réagir en cas de soupçons ou d’abus sexuels avérés (adultes sur jeunes ou jeunes entre eux).
En général, les divers cours permettent ainsi de réfléchir aux relations qui se jouent entre les adultes et jeunes dans le cadre des diverses activités, notamment quand sont en jeu des relations asymétriques, de pouvoir, comme c’est par exemple le cas dans le sport d’élite entre un entraîneur et un jeune athlète (cela concerne aussi les adultes).
Les enfants et les jeunes en situation de handicap sont plus susceptibles que d’autres populations d’être victimes d’abus ou de violence de toutes sortes. Leur méconnaissance des comportements sexuels appropriés, leurs difficultés de communication, leur forte dépendance vis-à-vis des personnes qui les entourent sont autant de facteurs qui font d’eux des cibles encore plus vulnérables face à l’abus et la manipulation.
En milieu d’Eglise, note ESPAS, la référence à Dieu peut conduire à une dépendance accrue de certains vis-à-vis de la personne reconnue par la communauté comme ayant une proximité particulière avec Dieu et des connaissances importantes en relation avec la foi. Ceci peut entraîner une asymétrie dans les relations entre cette personne et la communauté. Il faut donc garder à l›esprit que ce déséquilibre peut conduire à des projections d’amour et/ou de désir des deux côtés de la relation. «Il est donc utile que les ‘encadrants’ en soient conscients. Nous leur donnons les outils pour qu’ils sachent comment y faire face».
Certes, admet le psychologue, les humains sont des êtres de contact, mais l’attitude de la société a évolué durant ces dernières décennies. La bulle des abus sexuels a commencé à éclater dans les années 1990, et certains comportements, qui étaient tolérés ou tus, ont été dénoncés.
On est devenu très sensible aux abus de pouvoir et aux abus sexuels. Les abus de ceux qui sont dans une position supérieure ne sont plus tolérés. «Même si la majorité des situations sont anciennes, on ne peut pas faire comme si de rien n’était…»
«C’est malheureux, mais dans l’Eglise, des individus en position supérieure ont dépassé les limites, et cela a jeté le discrédit sur toute l’institution. Surtout que l’Eglise se voulait garante d’une certaine morale depuis 2000 ans. De plus, sa manière de communiquer a été inaudible pour la société contemporaine! A cela s’ajoutent des réflexes corporatistes, pour protéger l’institution, qui n’ont rien arrangé», constate Marco Tuberoso. Qui veut éviter de tomber dans l’une ou l’autre dérive, la négation du problème ou les réactions exagérées: «On pourra toujours continuer à se comporter de manière chaleureuse et adéquate, en sachant où sont les limites, et en prenant conscience du fait que l’attitude de la société dans ce domaine a changé». JB
Après avoir été psychologue scolaire, intervenant dans le cadre des Points rencontre/droit de visite, éducateur en foyer pour adolescents, assistant social au Service de protection de la jeunesse (SPJ) de l’Etat de Vaud et psychologue LAVI (Loi fédérale sur les victimes d’infractions) dans les auditions d’enfants victimes, Marco Tuberoso travaille actuellement comme responsable prévention à ESPAS – Espace de Soutien et de Prévention – Abus sexuels, et comme intervenant avec une pratique de suivi de victimes et d’adolescents auteurs.
En parallèle, il est également formateur dans le cadre de diverses formations pour des travailleurs sociaux. (cath.ch/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/le-psychologue-marco-tuberoso-non-pretre-nest-pas-egal-a-pedophile/