Quels sont vos petits et vos grands bonheurs?
Mes petits bonheurs sont par exemple les tours à vélo que je fais en Suisse. Je suis dans le partage avec la nature et la variété des paysages. Il y a aussi l’adrénaline lorsque je réussis à passer un col, à franchir un obstacle.
Pour les grands bonheurs, c’est plus difficile (silence). J’aime l’échange et le partage avec les gens, dans la joie de vivre et le rire.
«J’ai pris conscience qu’il y a une part de choix dans le bonheur»
«Il faut apprendre à être heureux, ne fut-ce que pour montrer l’exemple», écrivait le poète Louis Aragon.
Au plan personnel, il y a eu un moment où j’ai pris conscience qu’il y a une part de choix dans le bonheur. Le choix d’un certain regard, d’une certaine perspective, le choix de baisser le niveau de ses attentes, de l’humilité. C’est un travail, nous avons tous envie d’être heureux. Le bonheur n’est pas toujours donné gratuitement. Dans certaines situations de vie, il est très difficile de le trouver, mais on en revient à cette question de perspective.
En tant que femme, jeune et Verte, vous êtes triplement minoritaire au parlement. Cela n’engendre-t-il pas beaucoup de frustrations?
Il faut arriver à composer avec elles, mais je ne peux pas cacher que parfois cela me ronge. C’est un monde de confrontation, de compétition. Il faut savoir trouver et garder son calme pour ne pas se faire emporter dans cet ouragan. Dans l’autre sens, en tant que jeune femme, je bénéficie aussi d’une certaine attention notamment médiatique. Je sors un peu du lot et cela suscite de la curiosité. Cela me permet de faire passer certains messages.
L’insatisfaction ressentie est aussi un moteur pour mon engagement. Il y a une part d’utopie, de vision d’un autre monde vers lequel aller et de l’autre côté cette part d’indignation devant des situations inacceptables.
«Il y avait une sorte de ‘friction’ entre moi et le monde»
D’où vous vient ce désir d’engagement? Comment est-il né?
L’origine de mon engagement est essentiellement familiale. Ma famille était très sensible à l’écologie. Mon père était militant chez les Verts et conseiller municipal. Chez nous, on parlait partage des tâches, tri des déchets, économie d’énergie, mobilité douce. Jeune, j’ai appris à prendre des douches rapides pour économiser l’eau, à éviter de prendre l’avion. J’ai ainsi été assez tôt confrontée à l’opposition entre ce mode de vie respectueux de l’environnement et les ‘valeurs’ mises en a avant par la société de consommation. Il y avait une sorte de ‘friction’ entre moi et le monde. Je n’étais pas tout à fait dans la norme, même si je n’étais pas seule. Cela m’a poussée à me questionner sur le pourquoi et le comment. A réfléchir comment convaincre, mais aussi comment apprendre des autres.
Cet engagement s’est concrétisé notamment au parlement des jeunes de Versoix, à Genève.
Le parlement des jeunes répondait au constat que la moyenne d’âge des responsables politiques de la commune était assez élevée et qu’il fallait défendre des projets en faveur de la jeunesse: plus de trains, des bus de nuit ou l’organisation de festivals. L’engagement au parti des Verts s’est fait dans l’enchaînement.
J’ai été aussi sensibilisée aux questions sociales, notamment celles de l’asile autour de diverses votations. La question de la solidarité globale m’a toujours préoccupée. Comment s’inscrire dans un monde où chacun a suffisamment? Comment notre comportement ici a-t-il un impact négatif ailleurs? Comment mieux répartir les richesses? Comment lutter contre la faim et la pauvreté?
Vous défendez un engagement dans les structures institutionnelles pour les changer de l’intérieur.
Peut-être est-ce lié à notre système politique suisse, mais je ne suis pas une révolutionnaire. J’ai beaucoup de peine avec des idées de renversements, de conflit, de chaos.
Cela dit, je suis en faveur d’un changement radical. Si nous voulons préserver notre environnement pour continuer à vivre sur cette planète, nous devons revoir complètement les rapports économiques. Le modèle productiviste qui épuise les ressources dans une compétition poussée à l’extrême n’a pas d’avenir. Même si je suis très souvent minorisée au parlement, défendre cette position est essentiel. L’enjeu est aussi de définir de nouveaux indicateurs de prospérité basés non plus sur le Produit intérieur brut (PIB) mais sur la solidarité, l’entraide, la liberté personnelle. Que nous cessions d’être gouvernés par les grandes entreprises pas démocratiques, plus soucieuses de profits à court terme que des droits humains.
«En politique suisse, nous souffrons d’une obsession du ‘pragmatisme'»
On a souvent l’impression qu’une majorité de jeunes aujourd’hui ne vit et ne réfléchit qu’en termes de consommation. Tout peut se résoudre par un acte d’achat.
C’est dramatique. De mon point de vue, cette idéologie est terrible. Nous ne sommes plus des citoyens du monde, mais des consommateurs. Ce système s’est profondément implanté, mais je vois quelques îlots de résistance qui proposent et vivent des alternatives. Des jeunes cherchent à développer des projets non-marchands pour renforcer le lien social: coopératives d’habitations, jardins urbains, projets intergénérationnels, réseaux d’échange de services. Nous devons nous détacher de la course à l’argent et de la peur du manque. Etre capables de prendre des décisions moins exclusivement orientées sur le porte-monnaie. Ces projets existent, mais agir l’échelle locale ne suffit pas. Nous devons passer un cap et pour cela changer le cadre de la loi. C’est le rôle de la politique.
La politique est-elle vraiment capable d’ouvrir des visions d’avenir?
En politique suisse, nous souffrons d’une obsession du ‘pragmatisme’ souvent confondu avec le statu quo. Mais face aux constats actuels, notamment sur le changement climatique, le pragmatisme au sens propre du terme exigerait précisément de prendre des mesures radicales. Le système suisse est très récalcitrant au changement. Dans le discours officiel, pratiquement plus personne ne nie les changements climatiques, mais très peu sont prêts à faire les efforts qui s’imposent pour les contrer. La technique ne peut pas tout résoudre. Nous vivons dans un monde fini avec des ressources finies. Et avec une population mondiale qui revendique à juste titre une vie digne.
Votre constat est plutôt négatif, reste-t-il un espoir?
Relever ces défis représente aussi une chance en terme de liens, d’entraide, de quête de sens. Je lis actuellement un livre de Pablo Servigne intitulé «L’entraide, l’autre loi de la jungle». Pour lui, nous sommes programmés biologiquement pour nous entraider, pour collaborer. C’est de cette manière là que l’espèce humaine survit le mieux. (cath.ch/mp)
Lisa Mazzone: une carrière politique déjà riche
Lisa Mazzone a grandi à Versoix. Son père est conseiller municipal pour le Parti écologiste de Genève. Outre la nationalité suisse, elle a conservé la nationalité italienne de ses grands-parents.
Sa carrière politique débute en 2006 avec la fondation du parlement des jeunes de Versoix. Elle adhère aux Verts genevois en 2008 et présidera le parti de 2014 à 2016. Depuis 2016, elle est vice-présidente du parti suisse.
Elle se fait connaître aussi comme coordinatrice pour l’association Pro Vélo. Elle est vice-présidente de l’Association transports et environnement (ATE) à partir d’avril 2015.
Elle siège au conseil municipal du Grand-Saconnex de 2011 à 2013, avant d’être élue au Grand-Conseil genevois la même année. Elle est élue au Conseil national, en octobre 2015, où elle entre à l’âge de 27 ans.
Elle devient co-présidente de CIVIVA, la Fédération suisse du service civil en mars 2017. (cath.ch)
Maurice Page
Portail catholique suisse
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