Unique en son genre, le cimetière confessionnel israélite tire indûment son nom de la commune de Veyrier, à Genève. En effet, la majeure partie des tombes se trouve en territoire français, sur la commune d’Etrembières, seule l’entrée principale se situant du côté suisse. Le cimetière historique de Carouge devenu trop petit et la loi genevoise de 1876 interdisant l’agrandissement ou la construction de nouveaux cimetières confessionnels, la Communauté israélite de Genève a donc trouvé un subterfuge afin d’inhumer ses morts à sa convenance. Profitant de la législation française n’interdisant pas l’inhumation en terrain privé, elle fait l’acquisition en 1920 d’un terrain disposant de parcelles continues situées en France voisine, au Pas-de-l’Echelle.
De nombreux juifs ont profité de cette situation géographique privilégiée pour fuir l’extermination nazie. A cet endroit, la frontière était en effet gardée, de novembre 1942 à octobre 1943, par les troupes italiennes, moins «motivées» que les troupes allemandes à pourchasser les juifs. Les réfugiés étaient souvent soutenus dans leur fuite par des habitants des environs et même par le gardien du cimetière. «Sur les 25’000 juifs recueillis officiellement en Suisse, on estime que près de 12’360 sont passés par la frontière genevoise», avance l’historien Jean Plançon, responsable du cimetière, et guide lors de cette visite. Un cimetière unique au monde, dont Genève peut se vanter.
L’histoire du «ghetto» juif de la ville est, elle, beaucoup moins évoquée. Bien avant le premier ghetto juif attesté par l’historiographie, le Conseil de Genève décide par décret d’assigner à résidence les juifs durant la nuit. En 1428, un siècle avant le premier «quartier fermé» de Venise, Genève bâtit deux nouvelles portes, afin de fermer le quartier situé entre la Place du Grand Mézel et la rue de l’Ecorcherie. En vieille-ville, proche de la Cathédrale Saint-Pierre, naissait l’ancêtre des ghettos qui se multiplieront au XVIe siècle. Il ne porte pourtant pas ce titre-là, le terme de «ghetto» n’apparaissant qu’en 1516 avec celui de Venise. Il est appelé «Cancel», ce qui signifie barreaux ou balustrade. La situation se gâte pour «la juiverie» de Genève. En 1490, les filles de joies sont déplacées dans le Cancel par manque de place. Les autorités laissent croire que l’initiative est à la demande des juifs. La population est scandalisée et pousse à leur expulsion. Ce n’est que trois siècles plus tard que les juifs pourront revenir dans les environs de Genève, devenue entre-temps protestante, mais pas forcément plus tolérante.
La fondation de Carouge, en 1754, suite à la signature du traité de Turin, donne au Royaume de Sardaigne les terrains situés le long de l’Arve et ouvre par la même occasion de nouvelles possibilités aux familles juives jusqu’alors exilées. Sous l’impulsion de quelques personnalités politiques carougeoises, naît l’idée d’ériger une ville capable de concurrencer sa puissante et austère voisine. Carouge la catholique fait appel aux étrangers de tous bords. Les protestants, les francs maçons, puis les juifs sont accueillis à bras ouverts. Ils participent activement à l’essor économique, possèdent le droit de culte et disposent d’un terrain privé pour enterrer leurs morts. Les juifs y jouissent d’une totale liberté, ce qui est peu commun dans l’histoire européenne. Rien ne semble troubler cette quiétude, jusqu’au rattachement de la cité sarde à la Confédération, en 1816. Genève exclut, encore une fois, la citoyenneté à tous ceux qui ne sont pas de confession chrétienne. Le combat politique des juifs pour accéder à la pleine citoyenneté durera encore près d’un demi-siècle. (cath.ch/myb/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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