Norbert Valley, pasteur solidaire amendé

Norbert Valley vient de recevoir une ordonnance pénale pour avoir aidé un sans-papiers togolais. Un «délit» qui lui a valu une amende de 1000 francs. Portrait d’un pasteur qui ne peut «annoncer l’Evangile à un ventre vide».

Impossible, pour Norbert Valley, de dissocier l’amour de Dieu de l’amour du prochain. Alors, quand la loi des hommes cherche à tordre l’évidence qui structure sa vie de pasteur, il en paie le prix: un nouveau combat et un surcroît de fatigue.

La fatigue. C’est ce qui frappe en premier lieu lorsque l’on rencontre ce sexagénaire à la belle barbe blanche et au regard d’un bleu profond. Dans sa petite voiture qui nous emmène vers les locaux de l’église évangélique de Morat, on le découvre un peu usé par une charge pastorale éreintante. Il partage son temps entre Le Locle et Morat, ses deux «paroisses». «40’000 kilomètres par année» et d’innombrables allers-retours entre les montagnes neuchâteloises et le bord du lac de Morat, où il a élu domicile.

La solidarité est l’antidote de l’injustice, pour Norbert Valley.

Mais l’onéreuse charge de travail n’a pas atteint la détermination, seconde caractéristique de l’homme de Dieu. Elle se lit dans son regard et s’exprime jusque dans ses doigts qui prolongent agilement le fond de sa pensée. Elle s’engage toute entière dans son opposition à l’ordonnance pénale du ministère public neuchâtelois qui lui inflige 1000 francs d’amende et 250 francs de frais pour infraction à l’article 116 de la loi sur les étrangers, cette «loi grotesque» ciblant les personnes qui facilitent l’entrée, la sortie ou le séjour d’illégaux en Suisse.

Des antécédents

Norbert Valley n’en n’est pas à son coup d’essai. En 2015, après avoir organisé une manifestation à Berne, il envoyait 700 permis F à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga pour protester contre «la loterie» de l’asile. «Deux Syriens arrivent en Suisse en même temps et pour les mêmes raisons. Le premier obtient l’asile, l’autre est renvoyé», regrette le pasteur.

A ces coups d’éclat s’ajoute la charité des jours ordinaires: cours de français, traductions, démarches administratives à l’ORP ou aux services sociaux en faveur «des plus pauvres, ceux qui n’ont plus personne sur qui compter».

La solidarité est l’antidote de l’injustice pour Norbert Valley. Jeune pasteur à Porrentruy, il a accueilli des toxicomanes dans son foyer. «Ma femme confectionnait 600 repas par année pour eux.» Quelques années plus tard, au gré des aléas de la vie pastorale, le couple se retrouve avec ses quatre enfants à Gland dans le canton de Vaud. Norbert Valley récidive. Il aide un ami indien dans sa lutte contre la justice vaudoise. En vain. Après un divorce conflictuel, l’ami en question se verra retirer son permis de séjour – et le droit de voir son fils. «On l’a retrouvé pendu quelques jours après la décision du juge».

A la Chaux-de-Fonds, lorsqu’il rencontre son ami togolais, le souvenir du drame se dresse en toile de fond. Il décèle chez le jeune sans-papiers la même fragilité. Alors il l’aide. Un toit, parfois. Et «pas grand-chose, 500 francs tout au plus» à coup de billets de 20 ou 50 francs. «Je gagne à peine 5000 francs par mois, je ne pouvais pas faire plus». Mais lorsque cet ami se voit signifier son expulsion, la charité devient illégale.

La suite est connue, elle a été reprise par plusieurs médias ces derniers jours. Lors d’un contrôle de police, l’ami togolais apeuré transmet le nom de son bienfaiteur. Nous sommes en décembre 2017. En février, des policiers viendront cueillir le pasteur en plein culte, un dimanche. «Je leur ai demandé pourquoi ils ne m’avaient pas convoqué par téléphone, je serais venu au poste». Réponse des gendarmes: «nous n’avons pas trouvé votre numéro» – inscrit dans l’annuaire.

Eloge de la diversité

«Excusez-moi un instant, interrompt le pasteur en glissant sa main dans sa poche. Je suis obligé de répondre. Oui. Les semis? Regarde s’ils sont sortis et si c’est le cas tu peux désherber.» «On s’occupe d’un jardin en permaculture et il y a beaucoup à faire ces jours», explique-t-il en raccrochant. La terre n’échappe pas à la solidarité du pasteur. «La monoculture intensive a fait beaucoup de mal. C’est un non-sens. La nature nous enseigne la diversité. On se détruit dans l’unicité».

Et si l’on pousse l’analogie jusqu’à Dieu, peut-on tenir à cette diversité jusqu’au religieux, Monsieur le pasteur? «Je crois que Jésus est le sauveur de tout homme. Mais ce serait pervers d’aider les gens avec un agenda de conversion, ajoute-t-il avant de réfléchir un instant. Il y a quelques jours, je tenais dans les bras le dernier né d’amis musulmans. Je leur ai simplement demandé si je pouvais le bénir. Ils ont accepté, je l’ai fait. C’est aussi simple que cela».

Le 25 octobre prochain, Norbert Valley fera face à la procureure du canton de Neuchâtel pour avoir aidé cet ami togolais dont il a aujourd’hui perdu la trace. Il entend contester l’ordonnance pénale pour plusieurs raisons. Notamment parce que cette décision de justice est en contradiction directe avec sa conscience, cette petite voix obstinée qui lui rappelle que le service de Dieu dissocié de l’amour du frère est une absurdité. (cath.ch/pp)

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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