Ne dites pas à Willy Fellay qu’il est le pionnier de la Via Francigena. «Non! La première fois que j’ai entendu parler de la Via, c’est en mai 1996. Le jour de l’Assemblée générale de Valrando au Bouveret». Présent, Giancarlo Gorbellini, responsable de la revue italienne Trekking, lui parle de l’antique Via Francigena, «la Voie des Français». A ses côtés, des marcheurs: un Allemand, un Espagnol et un autre Italien, Luigi Crazzioli. «Ce sont eux les pionniers de la Via», estime Willy Fellay, modeste.
Crazzioli avait tenté, dans un topoguide, de décrire le tracé emprunté en l’an 990 par Sigéric, l’archevêque anglais de Canterbury, à son retour de Rome. «Lorsque Gorbellini et son groupe sont repartis vers Rome, nous les avons escortés avec quelques amis, de Villeneuve au Grand-St-Bernard. Et quelqu’un du Val d’Aoste les a conduits du Grand-Saint-Bernard vers la vallée italienne…». L’épisode serait banal s’il n’était le prélude à une aventure exaltante: la renaissance de la Via Francigena.
Vingt ans plus tard, le 2 septembre 2017, au Col du Grand-St-Bernard, est célébré le 20e anniversaire de la liaison Martigny-Aoste. «Au début des années 1990, la commune de Martigny veut créer une liaison pédestre Martigny-Aoste, indique, Willy Fellay, président à l’époque de Valrando, l’association valaisanne de la randonnée pédestre. De Sembrancher à Aoste, en passant par Orsières, le chemin existait en partie. Par contre, dans la gorge entre Martigny et Sembrancher, il a fallu le créer de toutes pièces …». L’itinéraire St-Maurice-Aoste est inauguré en 1997. Les dix communes valaisannes acceptent de baliser le chemin avec le petit Pellegrino, le pèlerin logo de la Via.
D’Aoste à Rome, il reste du travail. Seuls indices, les lieux où l’évêque Sigéric a séjourné ainsi que les itinéraires établis par Luigi Crazzioli. Les compagnons de Willy Fellay, avec l’aide de Palmira Orsières, active Valdôtaine, vont convaincre progressivement les communes de la vallée transalpine de la nécessité du balisage.
Le 29 avril 2000, c’est la fête à Saint-Maurice. Mgr Joseph Roduit, Père-Abbé de Saint-Maurice, bénit la Via Francigena. A l’apéro, «Josy» interpelle son cousin Willy: «Si on allait à Rome à pied à partir du Grand-St-Bernard? – D’accord, mais en partant de chez toi, à Saint-Maurice jusque chez le Polonais [le pape Jean Paul II, ndlr]! – Ça marche!». Les deux compères vont être les moteurs d’une formidable épopée, conviviale de surcroît. De 2001 à 2006, 35 pèlerins partiront de Saint-Maurice à Rome, par tranches de huit à dix jours. Avant de faire le chemin vers l’Angleterre, entre 2007 et 2012.
Willy Fellay se souvient de l’arrivée à Rome, en 2006. «Pour la dernière étape, après six ans d’efforts, de cohabitation, de sueur… et d’ampoules aux pieds, avec 900 kilomètres dans les jambes, nous avons été accueillis par Benoît XVI» [Jean Paul II étant décédé en 2005, ndlr].
Si le trajet entre la Suisse et Rome a été gagné, celui qui traverse la France vaut encore bien des déboires. Là aussi, les seuls lieux connus sont ceux notés par Sigéric. La voie entre la frontière franco-suisse et Calais est à créer.
Willy Fellay se souvient: «Avec Jean-Pierre Biselx, nous avons consacré un mois et demi, bénévolement, pour créer la Via Francigena en France. Nous avons rencontré les Comités départementaux de la Randonnée pédestre des huit départements traversés. Il s’agissait de faire des reconnaissances et de mettre au point les cartes».
En 2007, la radio italienne Rai 3 accompagne la première étape des pèlerins suisses, entre St-Maurice et Besançon. Année après année, ils cheminent vers Canterbury. Et le 23 mai 2012, le groupe animé par Joseph Roduit et Willy Fellay est reçu «somptueusement» par le doyen de la cathédrale anglaise. Un grand moment après 12 ans de marche.
Aujourd’hui que reste-t-il de ces années de pérégrination? «Avec Josy [décédé en décembre 2015, ndlr], on s’était partagé les tâches, dit son cousin. On disait: ›Toi Josy, tu t’occupes des chemins célestes et moi des chemins terrestres’». Le soir, à l’étape, l’itinéraire est choisi avec si possible un lieu tranquille pour marcher une heure en silence. Pour un temps d’intériorité animé par Mgr Roduit. Ce dernier expose un thème, puis les marcheurs vont méditer, en silence, pendant une heure.
«Josy répétait toujours: ›Le pèlerinage est une marche sur terre. Mais surtout une marche qui va du cœur à la tête et de la tête au cœur’», se souvient Willy Fellay. Ce dernier a retenu la leçon: «Suivez le conseil de Josy, cela vous fera beaucoup de bien.» (cath.ch/bl)
Bernard Litzler
Portail catholique suisse
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