Le pasteur Andrew Brunson, au coeur de la crise entre les Etats-Unis et la Turquie

Le président Recep Tayyip Erdogan crie au «complot» américain pour expliquer la chute vertigineuse de la livre turque. La crise économique s’approfondit alors que Washington exerce de fortes pressions  pour obtenir la libération du pasteur Andrew Brunson, embastillé depuis le 7 octobre 2016 à Izmir. Retour sur l’itinéraire de ce citoyen américain au coeur de la crise.

Accusé pêle-mêle de «soutien à une organisation terroriste» (au profit des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK) et «d’espionnage politique ou militaire», le pasteur Andrew Brunson, 50 ans, clame en vain son innocence. Il risque la prison à vie s’il est reconnu coupable par les tribunaux turcs. L’indépendance et l’intégrité de l’appareil judiciaire turc ont été gravement remises en question par le gouvernement d’Erdogan après le putsch manqué du 15 juillet 2016, dont le prédicateur Fethullah Gülen, qui vit aux Etats-Unis, aurait été le cerveau.

Prisonnier de conscience

Le pasteur américain se trouve sur la liste des «prisonniers de conscience» de la Commission des Etats-Unis sur la liberté religieuse internationale (USCIRF). Cet organisme fédéral bipartisan, fondé d’après la Loi sur la liberté religieuse internationale (IRFA), a pour but de surveiller la situation de la liberté religieuse dans le monde et de désigner les Etats qui violent le plus ouvertement cette liberté fondamentale.

Andrew Brunson, un citoyen américain qui vit en Turquie depuis 23 ans, est pasteur de l’église Izmir Diriliş (Résurrection), une petite congrégation évangélique presbytérienne dans la ville d’Izmir. Le pasteur avait déposé une demande de renouvellement de son visa de résidence en avril 2016. Le 7 octobre 2016, le service de police local l’a convoqué pour ce qu’il supposait être une réunion de routine pour discuter du renouvellement de son visa.

Violation de la Convention de Vienne

Toutefois, dès son arrivée, il a été placé en détention, ainsi que son épouse Norine. Il a alors été informé qu’il serait expulsé dans les 15 jours. Il est resté emprisonné au secret dans le Centre de détention d’Harmandali jusqu’au 13 octobre et n’a pas pu avoir accès à un avocat. Au départ, la Turquie a même refusé de permettre à un représentant du consulat américain de le rencontrer, ce qui constitue une violation de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. Norine a pour sa part été libérée le 19 octobre.

Un document judiciaire publié à l’audience du 9 décembre 2016 indique que le pasteur Brunson a été accusé d'»appartenance à une organisation terroriste armée». Le juge aurait mentionné des allégations selon lesquelles le pasteur serait lié au mouvement Gülen. Après avoir passé près de 20 mois en captivité, Andrew Brunson a été placé en résidence surveillée  en juillet dernier sur décision d’un tribunal. Le président Donald Trump et son vice-président Mike Pence ont appelé à plusieurs reprises à sa libération, mais Ankara prétend que la décision incombe aux tribunaux.

Campagne évangélique aux Etats-Unis

Basée à Orlando, en Floride, l’Eglise évangélique presbytérienne (EPC), à laquelle appartient Andrew Brunson, a lancé dès février 2017 la pétition en ligne «Américain oublié en Turquie» avec l’appui de la Maison-Blanche. A la même date, 78 membres du Congrès américain signent une lettre au président Erdogan, demandant la libération d’Andrew Brunson.

En mai 2017, désormais sous la pression du pouvoir, les médias turcs rapportent que le pasteur américain est accusé d’être un «sympathisant kurde» et un «güléniste». En août, les tribunaux turcs ajoutent trois nouvelles accusations, notamment celles de collecte de secrets d’Etat dans un but d’espionnage, de tentative de renverser le Parlement et le gouvernement turcs et de tentative de changer l’ordre constitutionnel. Andrew Brunson risque alors de se voir infliger jusqu’à quatre peines consécutives d’emprisonnement à perpétuité s’il est reconnu coupable.

Un «otage»

En septembre 2017, Erdogan fait une offre publique d’échange d’Andrew Brunson contre l’extradition de Fethullah Gülen, qui vit en Pennsylvanie depuis 1999. Les 7 et 8 octobre 2017, l’EPC lance un appel à la prière et au jeûne pour marquer un an d’emprisonnement de son pasteur. Jacqueline Furnari, la fille du pasteur, témoigne devant la Commission américaine sur la sécurité et la coopération en Europe, également connue sous le nom de Commission d’Helsinki, et devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève.

Le Département d’Etat américain déclare en avril dernier suivre de près le cas d’Andrew Brunson et affirme n’avoir «aucune preuve crédible que M. Brunson est coupable d’un crime». Il se dit convaincu qu’il est innocent. En réponse au maintien en prison d’Andrew, les sénateurs américains James Lankford (R-Okla.), Jeanne Shaheen (D-N.H.) et Thom Tillis (R-N.C.) présentent le même mois un projet de loi visant à empêcher le transfert en Turquie du chasseur F-35 fabriqué par Lockheed Martin et à bloquer le rôle d’Ankara en tant que dépôt d’entretien de l’avion.

Interventions politiques

D’autres sénateurs interviennent pour tenter de sanctionner la Turquie en juillet dernier en limitant les prêts des institutions financières internationales à la Turquie «jusqu’à ce que le gouvernement turc mette fin à la détention injuste des citoyens américains». Ils ordonnent aussi au secrétaire à la Défense de soumettre au Congrès un rapport évaluant la participation de la Turquie au programme d’avions de combat F-35.

Malgré les pressions de plus en plus fortes, le pouvoir turc n’entend pas céder aux injonctions américaines. Par décision judiciaire, le pasteur Brunson, après plus de 600 jours de détention, a pu quitter fin juillet la prison de Kiriklar. Il a été assigné à résidence jusqu’à la prochaine audience fixée le 12 octobre prochain, avec interdiction de quitter le territoire.

«Régression démocratique»

Rappelons que la Turquie, en raison de «la régression démocratique» suivant le coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016 et de la concentration des pouvoirs opérée par Recep Tayyip Erdogan depuis le référendum constitutionnel du 16 avril 2017, est dans le viseur du Conseil de l’Europe. Cet organisme, dont fait partie la Turquie, est chargé de la protection des droits de l’homme, du renforcement de la démocratie et de la prééminence du droit en Europe. La Turquie avait déjà fait l’objet d’une procédure de suivi entre 1996 et 2004.

L’Assemblée du Conseil de l’Europe déplore que le gouvernement turc, prenant prétexte du coup d’Etat manqué, fasse taire toutes les voix critiques et génère un climat de crainte «parmi les citoyens ordinaires et les universitaires, au sein des organisations non gouvernementales et des médias indépendants, au risque d›ébranler les fondations d’un Etat démocratique».

Le pasteur américain, «une monnaie d’échange»

Dans une question au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, le député espagnol José Ramón García Hernández a dénoncé en janvier dernier le fait que «ce pasteur chrétien» soit devenu «une monnaie d’échange pour la Turquie, puisque le président Erdogan a récemment demandé, contre la libération du pasteur Brunson, la remise de Fethullah Gülen, qui a trouvé refuge aux Etats-Unis et que le président turc tient pour responsable de la tentative du coup d’Etat de juillet 2016».

Ces événements ont eu lieu alors que la Turquie, Etat membre du Conseil de l’Europe et partie à la Convention européenne des droits de l’homme, a pris des engagements internationaux et conventionnels, dont celui de respecter et appliquer les droits de l’homme sur son territoire et envers les personnes placées sous sa juridiction. Ces droits incluent plus particulièrement la liberté de pensée, de conscience et de religion, ainsi que le droit à la sécurité et à la liberté, le droit à un procès équitable et l’application du principe «pas de peine sans loi», et bien d’autres qui sont actuellement refusés au pasteur Brunson par les autorités turques, déplore le député membre du Groupe du Parti populaire européen (PPE/DC).

La petite minorité chrétienne déstabilisée

Pays essentiellement musulman, en grande majorité sunnite, avec des minorités alévies et chiites et un tout petit pourcentage de chrétiens (arméniens, grecs-orthodoxes, catholiques romains, orthodoxes bulgares, chaldéens, syriaques, évangéliques, etc.), la Turquie prétend que la liberté religieuse est respectée dans le pays. La République de Turquie est certes laïque, mais certains milieux chrétiens évangéliques n’hésitent pas à parler de persécution religieuse. «Je suis en prison uniquement parce que je suis chrétien», a ainsi écrit Andrew Brunson, en mars 2018. Depuis l’arrivée au pouvoir en 2002 du Parti de la justice et du développement AKP, qui montre des tendances de plus en plus  islamistes et nationalistes conservatrices, les défenseurs de la laïcité s’inquiètent.

Malgré une certaine stabilité apparente durant ces dernières décennies, la situation de la petite minorité chrétienne reste précaire dans un pays où le nationalisme turc ne laisse aucune place à une identité différente de celle de la société dominante. (cath.ch/be)

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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