Lors du 71e Festival du cinéma de Locarno, la religion est redevenue un sujet fort dans la réalisation internationale de films. Tour d’horizon.
Deux films en compétition (section Concours international) traitent de l’Inquisition en Italie et du judaïsme ultra-orthodoxe en Israël. Dans le film le plus remarquable du festival (section Histoire(s) du cinéma), First Reformed de Paul Schrader, un pasteur se retrouve au cœur de l’intrigue. L’actrice et réalisatrice Barbara Miller, quanr à elle, se concentre sur le traitement de la sexualité féminine dans différentes religions avec son documentaire #Female Pleasure (section Semaine de la critique). Le jury œcuménique décerne de son côté son prix au film Sibel (Concours international) qui montre l’émancipation d’une jeune femme en Turquie
L’acteur américain Ethan Hawke incarne dans First Reformed un pasteur entré dans une profonde crise existentielle et spirituelle. Sa dépendance à l’alcool nuit à sa santé, mais il rejette toute aide. En rencontrant un jeune couple engagé pour l’environnement, il est confronté à sa déchéance, mais découvre aussi un sens nouveau à son ministère. A l’occasion de la commémoration du 250e anniversaire de son Eglise, la «First Reformed», historiquement significative dans l’état de New York, le pasteur affronte avec des moyens périlleux les problèmes existentiels et environnementaux du monde.
Stylistiquement, le réalisateur Paul Schrader fait penser à Bergman et Bresson. Avec First Reformed, Paul Schrader est au zénith de son œuvre. Il montre un drame surprenant et captivant qui agit comme un coup de tonnerre et laisse une trace profonde. Cette histoire d’un ecclésiastique dévasté a quelque chose de déroutant pour le public d’un festival international.
Le meunier Menocchio vit en Italie à la fin du 16e siècle, dans un village du Frioul. Figure charismatique, il a une grande influence sur les habitants de son village, et même davantage que le curé du lieu. Cependant, sa foi et ses convictions ne coïncident pas avec les enseignements de l’Église catholique romaine. Il plaide pour une vie de pauvreté et pour le respect de la nature. Menocchio témoigne avec force devant un tribunal qu’il n’accepte pas l’autorité et que, par rapport à l’Evangile, il se sent égal au pape. Cela le conduit aux limites de la condamnation à mort, avant qu’il ne révoque ses idées. Sa vie est sauve pour le moment, mais en raison de ses hérésies il subit une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Dans un clair-obscur expressif, le réalisateur Alberto Fasulo met en scène l’histoire d’un hérétique. De nombreuses séquences se jouent dans la pénombre ou la nuit. Seules les images de tribunal sont en lumière, mais ne conduisent pas à la vérité. À propos de ce procès, il existe des actes détaillés, vérifiés historiquement. Le film cependant, jette un regard très individuel sur le personnage principal. Menocchio apparaît ainsi comme une figure moderne de l’agnosticisme. Il pense par lui-même et risque sa vie pour ses convictions.
Yolande Zauberman a trouvé un personnage fascinant avec Menahem Lang. Dans son documentaire, elle accompagne le jeune homme sur le chemin de la réconciliation avec ses parents et avec sa communauté juive d’origine. Il a souffert de choses terribles. Il a été violé à de multiples reprises pendant son enfance. Lorsqu’il a parlé publiquement de ces faits, il a été expulsé de sa communauté juive des Haredim à Bnei Berak, près de Tel Aviv. Depuis, il cherche désespérément son identité.
Le film parvient à pénétrer ce monde interdit. Grâce à la volonté de dialogue de Menahem, des hommes ultra-orthodoxes se mettent à parler. Plus le film progresse, plus la vérité devient horrible. Plusieurs juifs ultra-orthodoxes ont déclaré avoir eux-mêmes été violés et se tourner maintenant vers des abus d’enfants. Une spirale de violence dans une société fermée devient évidente. Le film examine ces mécanismes et crée de nouvelles perspectives. Menahem rencontre ses parents et parle pour la première fois depuis des années avec eux devant la caméra. Qu’un tel film ouvre la voie à la réconciliation, c’est possible grâce au travail empathique de la réalisatrice
#Female Pleasure accompagne cinq femmes de cinq religions du monde. Barbara Miller montre sa lutte pour une sexualité féminine autodéterminée et pour une coexistence égale et respectueuse entre les sexes. Le film dépeint les mondes dans lesquels vivent Deborah Feldman, Leyla Hussein, Rokudenashiko, Doris Wagner et Vithika Yadav. On découvre leur engagement en faveur d’une clarification de l’autonomie et de l’émancipation de la femme dans un univers à la fois hypersexualisé et séculier.
Le documentaire de Barbara Miller, qui a remporté un prix à la «Semaine de la critique», a la volonté de représenter les religions du monde et leur tendance à marquer une domination sur le corps féminin. Les cinq femmes ne se retrouvent pas à la même enseigne. Considérer les mutilations génitales en Afrique pour décrire l’islam est problématique. De même, le sort de Doris Wagner, qui a vécu longtemps dans la communauté archi-catholique «The Work» et a été abusée par un prêtre. Néanmoins, le message de base du film est fort. Barbara Miller montre que les changements dans des questions telles que le sexisme et les abus ne sont possibles que si les femmes et les hommes travaillent ensemble pour trouver de nouvelles manières de vivre. (kath.ch/cm/ak/pp)
Locarno et spiritualité: «la force de ce qu’on ne voit pas»
André Kolly
La spiritualité consiste à lire ce qui prend du sens en émergeant des événements les plus ordinaires. Ce pourrait être une manière de comprendre l’insistance des Eglises à être présentes dans les festivals de cinéma. Ce qu’illustrent avec plus ou moins de force ou de discrétion les prix œcuméniques.
A Locarno, le Jury œcuménique a mis en évidence des films qui ne rejoignaient que très peu la série des 25 Prix officiels. D’ailleurs, ces prix qui ont la gloire d’un jour – et tout de même quelques belles espèces en francs suisses – ne correspondront pas forcément à des possibilités de voir ces films dans nos salles. Plus d’un journaliste spécialisé l’a souligné dès l’annonce du verdict samedi soir.
Parmi toutes les manifestations, parallèles aux visionnements, aux conférences de presse, aux négociations d’achats, un expert en festivals confiait: «Participer aux événements organisés par les Eglises est très agréable, car c’est l’un des seuls lieux où la parole n’est pas conditionnée par les influences, les tractations intéressées, les rendus pour prêtés».
Intéressant donc que lors de la réception officielle organisée par les Eglises, le président du Festival de Locarno, Marco Solari, ait abondamment cité Don Italo Molinaro qui, le dimanche précédent, prêchait à la célébration œcuménique du Festival. L’abbé soulignait cette particularité du Dieu d’Israël qui ne se laisse voir que de dos, alors que, ajoute Marco Solari, les dieux grecs ne fonctionnaient que dans la visibilité des amours et des batailles. Cela nous interroge sur la fragilité de l’image et la force de la parole. Le cinéma, ajoutait le président, citant aussi Rimbaud et Shakespeare, nous pousse à distinguer «la force de ce qu’on ne voit pas, de la banalité de ce qu’on voit». Et Dieu sait si on en a vue en 286 films projetés à Locarno. Pas que des lieux communs, mais aussi énormément de convictions fortes, d’engagements pour les autres. Et une fois encore, ce qui a l’apparence la plus explicitement religieuse n’est pas forcément la plus spirituelle.
De la moisson de Locarno, il y a peu de chance que nous trouvions en nos salles La Flor, un film argentin d’une durée de 14 heures! En revanche le prix du public décerné à juste titre à BlacKKKlansmann sort en Suisse romande le 22 août et nous révèlera beaucoup sur le racisme endémique étasunien. Et d’autres seront annoncés. Mais parmi les films ovationnés à Locarno : Les Dames de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond sera à voir dès le 26 septembre. C’est le cheminement surprenant et captivant de cinq femmes célibataires, veuves ou divorcées… de chez nous.
Le prix du jury œcuménique au Festival de Locarno attribué au film Sibel
Le prix du jury œcuménique du 71e Festival de Locarno a été décerné à la coproduction franco-turque Sibel. Le jury a justifié son choix dans les termes suivants: «Le film raconte l’histoire d’une jeune femme vivant dans un village de la région turque de la mer Noire. Il y existe une tradition de s’exprimer par le sifflement et d’anciens rituels. Parce qu’elle est un peu sauvage, Sibel est marginalisée par la société. Elle passe le plus clair de son temps dans les bois à la recherche d’une liberté qu’elle ne trouve pas dans le village. La rencontre amoureuse avec un mystérieux fugitif est le point de départ d’un processus émancipateur à travers lequel elle se découvre en tant que femme. Le film montre une image puissante d’une figure qui interroge les structures et les identités patriarcales, illustrant ainsi la dignité des autres femmes de la communauté. »
Le prix est doté de 20 000 CHF et est lié à la distribution de films en Suisse. La somme est fournie par les Eglises évangéliques réformées et par l’Église catholique romaine de Suisse. (kath.ch/cm)
Pierre Pistoletti
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/locarno-la-religion-interesse-a-nouveau-les-realisateurs/