Via Francigena: purgatoires et paradis entre Sainte-Croix et Yverdon (1/7)

Entre la fraîcheur des forêts et la fournaise des plaines, de Sainte-Croix à Yverdon-les-Bains, cath.ch inaugure la série d’été consacrée à la Via Francigena.

Ils se figent tels des statues en me voyant arriver sur le chemin. Ami ou ennemi? Les cinq chamois, plutôt que d’attendre la réponse, dévalent prestement la pente. Je ne pensais pas me muer en photographe animalier en arrivant, quelques heures auparavant, à la gare de Sainte-Croix, sympathique bourgade à flanc de Jura.

Encouragé par un soleil matinal radieux mais indulgent, je me réjouis de commencer mon aventure touristico-journalistique de 18 kilomètres. En sortant de la gare, je tourne un peu en rond avant de découvrir un panneau avec le petit pèlerin jaune indiquant la direction de Rome. Juste au dessus, un autre écriteau signale curieusement que la ville d’Aspindza, en Géorgie, est à 96 jours, 8 heures et 40 minutes de marche.

Chasse au chamois

A la sortie de Sainte-Croix, je me retrouve un peu déçu. Je chemine au bord d’un axe routier, sur une bande herbeuse qui ne correspond pas vraiment à l’image idyllique que je me faisais d’un sentier pédestre.

Il faut en outre traverser la route, à des endroits peu praticables, voire dangereux. Après un virage, la crainte est plus forte lorsque je suis contraint de longer la route sur une bande de béton que l’on ne peut guère qualifier de trottoir.

Mais ce trajet inconfortable n’était qu’une forme de purgatoire avant le paradis. En entrant dans la forêt, je suis accueilli par les chants du peuple du ciel. La lumière joue sur les mousses, les troncs courbés et les rochers calcaires blancs typiques du Jura.

Un éden où tous sont les bienvenus, même les bêtes à cornes. C’est ainsi qu’un peu plus tard je croise la route de ma harde de chamois, trois adultes accompagnés de deux petits. Voulant rapporter quelques bons clichés, je les poursuis un moment sur les pentes escarpées. Mais je n’ai pas le pied aussi agile. Et je remonte en me souvenant que je suis père de famille et que cath.ch attend mon article pour la semaine suivante.

Colère du ciel

Après la pause de midi, les nuages s’amoncellent. Des plic-plic caractéristiques résonnent sur le feuillage. Je fais alors ce que tout pèlerin a dû faire un jour: sortir de son sac sa meilleure compagne: la bien nommée pèlerine. Le ciel se déchaîne, je m’abrite sous un arbre avec l’intuition que ce n’est qu’un accès de colère passager. 20 minutes plus tard, les gouttes s’espacent en effet petit à petit, jusqu’à disparaître. A mon grand contentement, l’astre du jour revient lui aussi.

Juste après cet épisode humide, j’aperçois le clocher de l’église de Vuiteboeuf, petit village blotti au pied de l’arc jurassien. L’eau qui s’évapore au soleil nappe les rues d’une brume fantasmagorique.

Suivent des kilomètres de plat, sous le cagnard. La fatigue et la soif commencent à me persécuter.

Soleil de plomb

Les épisodes de forêts qui regorgent de fleurs et de papillons sont les bienvenus. Après le peuple du ciel, celui de l’herbe entame sa mélodie.

Puis viennent les grands axes bétonnés longilignes bordés de cultures. La marche se fait plus lente. Le panorama des contreforts du Jura, qui distillent les teintes de vert, offrent un certain réconfort. Je traverse Valeyres-sous-Montagny, puis Montagny-près-Yverdon. Je fais une halte près de l’église protestante, à l’architecture sobre mais élégante.

Le dernier tronçon pour rejoindre Yverdon est éreintant. Sous un soleil de plomb, je perds des litres d’eau et mes membres me font souffrir. J’arrive donc avec satisfaction dans la ville balnéaire. Je flâne un moment dans les rues de la vieille ville, soulagé d’avoir terminé mon périple. Coup d’œil sur le temple, qui me fait l’effet d’un amalgame architectural assez enthousiasmant.

En reprenant le train, je médite sur le cimetière de Vuiteboeuf, et sur l’inscription qui orne son portail: «Je suis la Résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort». L’occasion de se souvenir que, malgré les purgatoires qui jalonnent notre vie, le paradis est toujours au bout du chemin. (cath.ch/rz)


De Canterbury à Rome

En 1985, Giovanni Caselli, spécialiste italien d’archéologie routière, reporta sur des cartes topographiques l’itinéraire de l’archevêque Sigéric de Canterbury. Le prélat anglais était venu à Rome en 990 pour recevoir le pallium du pape Jean XV. L’archevêque avait succinctement recensé les 80 étapes dans son journal de voyage.

Ce trajet de la Via Francigena (VF) a ensuite été proposé par le gouvernement italien et adopté en 1994 par le Conseil de l’Europe comme deuxième itinéraire de pèlerinage, après celui de Compostelle. En 1997, l’Association international Via Francigena (AIVF) a été créée à Martigny (VS), pour redonner à la voie historique sa dimension européenne et la promouvoir en Suisse, en France et en Angleterre, où elle était totalement inconnue.

L’antique route, établie par Jules César en 58 avant Jésus-Christ, a longtemps été l’épine dorsale du système routier de l’Europe occidentale, en tant que liaison la plus courte entre la mer du Nord et Rome. La ville était devenue la principale destination des pèlerins chrétiens à la suite de la domination arabe de Jérusalem, en 640. Le chemin de pèlerinage tomba ensuite en désuétude au début du culte de saint Jacques, à Compostelle, au Xe siècle.

Remis au goût du jour à la fin du XXe siècle, des dizaines de milliers de personnes arpentent désormais chaque année au moins une partie de cette voie historique. En Italie, en 2017, 50’000 pèlerins ont passé au moins une nuit sur l’itinéraire. Seulement 1’200 courageux font néanmoins chaque année le parcours complet de Canterbury à Rome, principalement à cause des difficultés en France et la crainte de prix élevés en Suisse, explique Adélaïde Trezzini, fondatrice de l’AIVF.


Une voie en pleine mutation

Le célèbre chemin de pèlerinage connaît actuellement de grands changements, en tout cas sur sa partie suisse, souligne Adélaïde Trezzini. C’est ainsi qu’un trajet parallèle entre Jougne (France) et Orbe (VD) est désormais proposé, à la place de Sainte-Croix-Yverdon.

Ces modifications font suite à un effort soutenu des responsables de la VF pour offrir aux pèlerins des itinéraires plus courts, moins ardus, plus intéressants et surtout plus «historiquement corrects». Des spécialistes se penchent en effet depuis longtemps sur le véritable parcours réalisé par l’évêque Sigéric en 990. Si dans un premier temps, l’hypothèse d’un passage par Sainte-Croix et Yverdon avait été retenu, il a été par la suite réfuté. Le prélat britannique a beaucoup plus probablement emprunté un itinéraire passant par Jougne et Ballaigues (VD), plus au sud. Le balisage de Sainte-Croix à Yverdon doit ainsi être retiré en août 2018.

Les nouveaux parcours proposés entendent faire profiter les pèlerins des sites architecturaux et religieux importants de la région, nombreux entre Jougne et Orbe, mais plutôt rares entre Sainte-Croix et Yverdon. «Les nouveaux chemins en Suisse romande ne se veulent toutefois pas ‘excursionnistes’ précise Adélaïde Trezzini. Le principe est plutôt d’allier au maximum l’aspect spirituel et ‘touristique’ de la marche avec la rapidité de la progression vers Rome, à l’instar des voyageurs de l’époque, qui voulaient s’attarder le moins possible».


Le Temple d’Yverdon

Le Temple d’Yverdon fut construit entre 1753 et 1757 sur l’emplacement d’une ancienne église gothique médiévale dont il reste le clocher. Il contient cinq cloches datant du XVe siècle et une du XVIe. Sa façade est réalisée avec des pierres de couleur chaude venant de Hauterive, dans le canton de Neuchâtel. La grande façade de l’église donne sur la grande place du marché, encadrée par le Château et par l’Hôtel de ville, deux autres bâtiments typiques du XVIIIe siècle.

L’église abrite un grand orgue construit par le facteur français Adrien Joseph Potier en 1766. On peut également y admirer des vitraux de Charles Wehrli (1899) et des stalles de 1502, récupérées de l’ancienne église gothique. Le Temple d’Yverdon est inscrit comme bien culturel suisse d’importance nationale.

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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