Théologien de premier plan, auteur prolifique, Von Balthasar n’aura jamais eu de charge d’enseignement et aura longtemps entretenu des relations tendues avec la hiérarchie. Il reste considéré comme un des précurseurs du Concile Vatican II.
Né en août 1905 à Lucerne, Hans Urs von Balthasar s’oriente vers la théologie après maints détours. Sa biographie théologique est marquée du sceau de la diversité, à un point tel qu’il reste difficile aujourd’hui d’ordonner ses positions. Cerner son œuvre, d’une centaine d’ouvrages et d’environ 500 articles, est une entreprise délicate.
Le cardinal Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, a souligné dans ses mémoires qu’il n’a jamais croisé de «personne avec une formation théologique, spirituelle et historique aussi complète» que celle de Balthasar et de son maître le jésuite français Henri de Lubac.
Le moteur de la pensée de Balthasar est la question du juste chemin pour l’Eglise. Avec des images saisissantes et des pensées lumineuses, il a promu la notion de communion: les chrétiens doivent devenir frères et sœurs de toute l’humanité.
Le pionnier du dialogue a étayé théologiquement sa préoccupation: l’Eglise a, «depuis trop longtemps, joué au Jugement Dernier et n’a pas suffisamment considéré que le Dieu qui émet ce jugement est le même qui, en Jésus-Christ, est descendu dans l’impiété de tous…. de ceux qui, dans toutes les communautés, sont tombés dans l’abîme d’une solitude impie et inhumaine».
Von Balthasar a d’abord étudié l’allemand et la philosophie à Zurich, à Berlin et à Vienne. Le grand jeune homme, doté de l’oreille musicale absolue, adorait Mozart et Mahler. Et il jouait du piano à quatre mains avec le théologien protestant bâlois Karl Barth (1886-1968).
L’amour de Balthazar pour la musique lui a donné accès à une façon personnelle de parler de Dieu. Toujours à la recherche d’une perspective holistique, il a conçu une théologie à l’aide de catégories musicales.
Sa théologie s’est développée plus tard, en prenant des formes du théâtre, suite à une «théodramatique». Balthasar disait lui-même que la Révélation était «dramatique dans toute sa forme, tant dans ses grandes que dans ses petites parties». Elle était «l’histoire de l’engagement de Dieu pour son monde, une lutte entre Dieu et sa créature pour sa signification et son salut».
Après ses études, Balthasar devient novice chez les jésuites en octobre 1929. Il a décrit ses études à Lyon comme une «lutte acharnée avec la désolation de la théologie». La théologie est figée dans un corset de pensée néo-scholastique, issue de la pensée de Thomas d’Aquin.
Les jeunes étudiants du professeur Henri de Lubac (1896-1991), personnalité d’un grand rayonnement, sont d’autant plus enthousiastes. Sa préoccupation pour les Pères de l’Eglise et la redécouverte du christianisme qui leur est associée ouvrent un nouvel horizon théologique pour Balthasar.
Son livre «Die Schleifung der Bastionen» (Raser les bastions) de 1952 est écrit dans cet esprit. Il est accueilli par beaucoup, comme une libération, des années avant que le Concile Vatican II (1962-1965) n’ouvre les fenêtres vers l’extérieur. Selon le Lucernois, l’Eglise catholique, qui n’est pas ouverte au monde dans son ensemble, a cessé d’être l’Eglise du Christ.
Après avoir longtemps travaillé comme aumônier d’étudiants à Bâle, il quitte l’ordre des jésuites et fonde la Communauté de Saint-Jean, un institut séculier, avec la théologienne mystique suisse Adrienne von Speyr (1902-1967).
En outre, Balthasar ouvre sa propre maison d’édition en 1947, qui, entre autres choses, publie les oeuvres de Speyr. A Zurich, il trouve un endroit modeste où vivre sans revenu fixe et garde la tête hors de l’eau grâce à des tournées de conférences. Il a refusé les chaires d’enseignement. Incardiné comme prêtre diocésain, en 1956, il est autorisé par son évêque à revenir à Bâle.
Balthasar en appelle au dialogue au-delà des clivages confessionnels et idéologiques, même avec des communistes athées militants – et pas en position de supériorité dogmatique ou de «possession capitaliste de vérités religieuses». Il apprécie beaucoup son dialogue littéraire avec l’œuvre de l’auteur dramatique allemand Bertolt Brecht.
Dans les années du Concile Vatican II (1962-1965), auquel il n’a pas été invité, il rectifie sa demande d’ouverture de l’Eglise au monde. Le chrétien ne doit pas se conformer au monde. Il réclame de manière véhémente une réflexion sur ce qui différencie le chrétien.
Son biographe Thomas Krenski écrit: «Pour beaucoup de ses contemporains, il était clair que Balthasar pensait qu’il s’était aventuré trop loin, le forçant à se replier derrière des bastions protecteurs qu’il demandait autrefois de démolir.»
Beaucoup de théologiens du Concile ont vu en lui un théologien conservateur proche de la papauté. Selon Krenski, cela provient du fait qu’il se positionnait volontiers de manière polémique, mais sans du tout penser à ériger de nouveaux bastions. Son problème fut qu’il avait commencé à éclore presque 20 ans plus tôt que la plupart des autres. (cath.ch/kna/bl)
Maurice Page
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